Boy, you're gonna get high (Jayden)

Rares étaient les rassemblements autorisant implicitement la présence de surnaturels non-pucés. Beaucoup d'humains s'en méfiaient de plus en plus, en particulier depuis les nouvelles directives que la Fédération a réussi à faire passer. Tout visait à resserrer l'étau autour des capricieux ne voulant à se plier à ce système pourtant si injuste aux yeux de beaucoup. À cause de ces tensions, nombreux étaient les nightclubs s'étant soudainement mis à scanner les puces dès l'entrée, atrophiant ainsi les êtres supérieurs en les privant petit à petit de plaisir. Mais Claire savait, elle demeurait persuadée que certains êtres comme elle continueraient de servir d'hôtes pour des soirées permettant à n'importe qui d'oublier sa journée de merde. L'ancêtre s'était donc renseignée à ce sujet, passant plusieurs nuits à glaner des informations sur ces quelques endroits très spéciaux afin d'un dresser une liste. Et ce soir, elle allait expérimenter.

Comme d'habitude, il lui fallut atteindre la tombée de la nuit pour s'échapper du Manoir Hale. Sans un bruit, sans un mot, ele s'échappa tout simplement de la grande demeure pour ensuite traverser une partie de la ville, jusqu'à atteindre le lieu de ses convoitises ; une maison de Burgundy Street qui, de temps en temps, était utilisée pour abriter des fêtes où l'alcool et la drogue coulaient à flot. Son propriétaire avait engagé quelques indépendants pour faire office de personnel. On pouvait ainsi trouver des videurs, quelques rares barmans et des artistes de tous les bords.

Claire paya son entrée sans rechigner et s'invita à l'intérieur de cette maison de laquelle sons et lumières s'échappaient. Elle fut surprise de sentir des humains ici, en plus de surnaturels. Comme quoi certains n'avaient pas les idées en place. Son propre sang ne fit qu'un tour. Elle laissa le tambourinement incessant de la musique s'emparer d'elle, passa de longues minutes à se déhancher au milieu d'autres et prit finalement une pause pour aller s'installer au bar. Ses ongles rongeaient le bois du comptoir en l'attente du breuvage qu'elle avait commandé. Ses yeux bruns roulèrent dans leurs orbites pour se poser sur l'entité se trouvant à sa gauche. Un type à l'air sauvage, plutôt grand et surtout seul. Claire passa sa langue sur l'une de ses canines, plus par automatisme que par réelle envie de mordre où que ce soit, et fit glisser son tabouret pour l'approcher de celui de l'homme.

« Seul ? L'alcool se savoure mieux à plusieurs, gamin, lui lança-t-elle, loin de vouloir le rabaisser pour le moment. Elle doutait simplement que cet homme soit plus vieux qu'elle, aussi étrange que ça puisse paraître. Sacrées balafres, sinon. Ca te dérange d'en parler à une inconnue prête à te payer un autre verre, ou t'as pas encore assez d'alcool dans le sang pour ça ? »

Pour l'heure, l'identité de son vis-à-vis ne lui importait que peu. Les miraculeux effets d'une quête de plaisir totalement désintéressée, car rares étaient les instants lors desquels Claire s'adressait à un étranger comme s'il pouvait être son égal. Et en général, ils ne duraient que très peu de temps.

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L’atmosphère de l’habitation est étouffante. Chargée. Et si les lueurs clignotantes des néons qui agressent ses rétines de flashes agressifs appellent à ses tempes les prémices d’un mal de tête, elles lui permettent au moins d’oublier pour un temps la solitude qui lui colle à la peau, l’étouffe, parfois. Alors il se concentre sur la foule, sur les voix, l’obscurité factice qui donne aux silhouettes pressées les unes contre les autres des airs de mystère. Les odeurs sont puissantes, lourdes, dures à déchiffrer au milieu des fragrances de nourriture et de boisson qui saturent l’environnement.

Le nez penché sur un verre de whisky, il s’enivre des nuances fumées de l’alcool, les basses insistantes de la musique lui abrutissant les tympans. Il ne l’entend pas venir, retient un sursaut lorsqu’il relève la tête vers sa voisine, le regard surpris, agacé, déjà, de s’être laissé approcher à son insu. Il la contemple un moment en silence, avant de lui consentir un sourire crispé.

« Y’a des réponses qui sont pas faites pour ce genre de soirée. » souffle-t-il dans sa direction, sans parvenir à se départir de la tension subite qui lui noue les épaules. Tout en elle crie à l’imposture, mais il ne parvient pas encore à mettre le doigt sur ce qui le dérange. « P’têtre dans quelques verres . » ajoute-t-il ensuite, portant sur elle l’intensité de son regard cobalt. Après tout, c’est bien pour ça qu’il est venu, adoucir la soirée en reléguant dans un coin la torture constante des transformations redoutées. Il ne s’en sort pas si mal, n’a encore agressé personne, et se sent presque capable, étourdi par l’alcool, de tenir une conversation le temps de quelques heures, sans qu’une irrépressible envie de sauter à la gorge de son interlocutrice ne se fasse sentir.

« Tu cherches quelque chose de précis ce soir ? C’est pas une fête pensée pour la conversation de ce que je peux voir. » confie-t-il en déportant ses prunelles sur la salle, ne revenant à l’inconnue que lorsque son odeur le frappe, lui arrachant un frisson d’inconfort.

« Qu’est-ce que… » commence-t-il avant de froncer les sourcils, la dévisageant avec plus d’attention, comme pour décrypter ce qui lui échappe encore. Il a du mal à se concentrer, à focaliser ses idées dans une même direction, et si l’impression d’un danger latent se fait de plus en plus forte, il n’a pas envie de l’écouter, pas encore, pas alors qu’une soirée moins morne se profile. Ennuyé, il glisse ses doigts autour du verre, porte ce dernier à ses lèvres et le termine d’une lampée rageuse avant tourner le mauvais côté de son visage vers la femme.

« C’est beau à voir ? Ça te plait ? C’est la marque d’un clébard. » jette-t-il finalement entre eux, le timbre enroué et mâtiné d’une agressivité sourde. Tant pis pour les implications. Qu'elle fuit en hurlant. Ou qu'elle rameute ses semblables, il s'en moque. Il a renoncé à la cacher. Encore plus à l’effacer. Trop d’efforts, pour un stigmate qui lui sert finalement de motivation lorsque rien d’autre ne parvient à le maintenir debout. Alors il s’immobilise, offre sans plus de pudeur la vision des balafres qui lui mangent le visage, dont les lumières accentuent les contours pour en magnifier le dessin.

« Satisfaite ? » Il la provoque maintenant, étire un sourire furieux en plantant dans les siennes l’éclat de deux iris colériques.

Si la première réponse de l'inconnu ne s'était pas avérée satisfaisante aux yeux de Claire, cette dernière n'allait certainement pas baisser les bras si rapidement. Au contraire, les hostilités venaient tout juste d'être entamées. Cette patience finit par payer puisque l'homme accepta enfin la proposition, ne l'ayant au final laissée en suspens que pendant quelques courtes secondes. Claire frappa alors le comptoir de ses phalanges pour interpeller l'un des deux barmans en service et fit la commande de deux verres pour commencer. Un pour elle, l'autre pour lui. Elle glissa un billet sur la table après l'avoir sorti d'une des poches de son jean délavé, exprima son refus de s'encombrer de petite monnaie en offrant un pourboire et choppa les verres en pleine glissade pour ensuite passer l'un d'entre eux au balafré.

« Une bonne rasade délie toutes les langues. Tu finiras bien par l'apprendre à tes dépens. »

Elle soutint le regard de son interlocuteur tout en se faisant la réflexion qu'il serait si facile de l'hypnotiser là, de suite, tout ça dans le but d'obtenir absolument tout ce qu'elle souhaitait de lui. Une perspective qui, bien que plaisante, lui retirerait alors toute la satisfaction apportée par le petit jeu dans lequel elle s'était lancée. Pour le moment, Claire avait encore suffisamment de patience pour se permettre d'être bonne joueuse. Elle chassa donc sa dernière idée d'un battement de cils. Autrement, son expression demeura la même jusqu'à ce que l'interrogation de l'homme lui étire ses lèvres maquillées d'un noir relativement transparent, à peine visible.

« De la compagnie, quelqu'un avec qui me foutre une mine et passer un peu de temps pour oublier à quel point ce monde pue actuellement la merde. »

Tant de choses qui n'allaient pas et auxquelles elle pouvait penser, qu'elle pouvait citer. Mais elle se retint, conservant ses opinions politiques pour une autre fois. Pas ici, pas maintenant. Pour l'heure, Claire se contenta donc d'attraper son verre et d'en descendre la moitié cul sec. Il en fallait bien plus que ça pour qu'un vampire devienne ivre ; autant en profiter. L'éternelle demeura d'ailleurs bien assez consciente pour remarquer la tension soudaine qui s'installe chez son interlocuteur. Ainsi se serait-il compte de ce qu'elle était. Un ricanement échappa à l'hérétique qui tâcha toutefois de ne pas plus alerter son vis-à-vis pour le moment, se contentant alors de l'observer calmement sans entreprendre le moindre geste supplémentaire. Elle ne passait toutefois pas ces secondes à rien faire ; elle l'analysait, observait les moindres mimiques de son sujet pour tenter d'en discerner d'abord les pensées puis les traits qui forment son visage et se cachent derrière ses cicatrices.

« Tu devrais en tirer profit, ça a un certain charme, lâcha-t-elle spontanément, sans même faire preuve de sarcasme. Mais je t'avoue que si un clebs m'avait fait ça, il aurait fini six pieds sous terre, et peut-être avec quelques organes en moins. »

Un bref éclat de rire lui échappa finalement, laissant brièvement entrevoir ses canines éclairées par le reflet tamisé des néons colorés. Cependant, Claire se rendit bien vite compte de la situation dans laquelle elle mettait son interlocuteur. Ce genre de question n'était peut-être pas approprié pour un premier jet entre eux. Tant pis, le mal était déjà fait. Elle haussa les épaules et s'attaqua à la deuxième moitié de son verre qu'elle écoula tout aussi rapidement avant de recentrer son attention sur sa rencontre du soir.

« Claire. Et toi ? J'espère que je vais pas devoir te payer un autre verre pour obtenir ton nom. Et commence par te détendre, sinon. Je vais pas te bouffer. Ou pas de la manière dont tu devrais avoir peur, en tout cas. »

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Vampire. Le soupçon flotte dans son esprit, et la défiance lui électrise la peau. Il ne l’a sentie qu’une fois, cette odeur, depuis sa transformation. Et maintenant, la fragrance l’obsède. Il devrait sortir, prendre l’air, et chasser de sa tête le regard de la femme. Il y revient pourtant, plonge dans l’abime qu’elle lui offre sans même s’en douter, s’efforce de la considérer autrement que comme une ennemie potentielle.

Il rattrape le verre qui file vers lui avec un demi-sourire, y trempe les lèvres avant de reporter son attention sur sa compagne. « Si tu le trouves si naze, ce monde, il ne tient qu’à toi de le rendre meilleur. » souffle-t-il en admirant sa descente. De ses anciens compagnons de beuverie, aucun ne pouvait tenir son rythme, mais la jeune femme semble être une concurrente sérieuse. Son sourire s’étire légèrement, bien que sa méfiance ne s’endorme pas, et qu’il reste tendu, dans l’expectative du moindre mouvement un peu trop franc de la part de sa voisine.

« Un charme ? » L’idée l’amuse visiblement, lui tire même un éclat de rire sec avant que la fin de la phrase ne lui parvienne, chassant toute hilarité de son visage. Comme ça, sans transition, il retrouve son air farouche, pose sur la vampire un regard qui ne cille pas en articulant nettement. « Peut-être que c’est déjà le cas. Peut-être également que tu le rejoindras bientôt, si tu continues de me chercher. » Le ton n’est pas menaçant, le propos, si.

Il ricane à son tour quand elle poursuit, mais l’amusement qui s’échappe de sa gorge en une vague grondante n’a aucune chaleur. « Et quelle manière me ferait peur, selon toi ? Vous autres n’êtes qu’une bande de parasites. Vous ne méritez même pas le nom de prédateurs. » Dans l’obscurité que les néons griffent, son propre sourire se fait tranchant.

« J’suis pas contre un autre verre, j’ai pas les finances pour faire le pilier de comptoir en c’moment. » lâche-t-il ensuite comme si le sujet était clos, comme s’il ne venait pas de l’insulter le plus calmement du monde, simplement pour voir si son calme n’est qu’un artifice, au même titre que sa présence ici, fondue parmi des humains qui ne se doutent sûrement de rien. Le whisky endort ses émotions, calme ses nerfs et lui permet, à défaut de rester raisonnable, d’examiner la situation sous un nouvel angle.

La situation qu’il cherche depuis des semaines se présente enfin à lui, bien que la cible ne soit pas la bonne. Il pourrait aussi bien l’entraîner dehors, ailleurs, loin des yeux innocents pour lui régler son compte. Et une saloperie de moins foulerait alors ce monde dont elle ose se plaindre. L’idée lui plait, le tente assez pour qu’il lance l’invitation, sans savoir encore jusqu’où il se sent prêt à aller réellement.

« Jayden. Si tu te sens d’humeur aventureuse, Claire, peut-être qu’on pourrait sortir après ce verre, et régler nos comptes là où on ne risque pas de voir débarquer le moindre gêneur. A moins que tu ne préfères que nous échangions des banalités ici, là où je ne risque effectivement pas de te sauter à la gorge. »

Il sourit de plus belle, se retourne sur son tabouret pour observer la salle dans laquelle les gens poursuivent leurs danses et leurs beuveries, et il les envie un moment leur aisance avant de revenir faire face à son interlocutrice. « Alors ? Est-ce que mon charme agit suffisamment ? Ou est-ce que c’est toi qui risque d’avoir besoin de verres supplémentaires ? »

L'autre savait tenir une conversation, ou au moins assez pour que Claire ne décide pas subitement cesser de l'écouter pour entreprendre une action probablement regrettable. Les mots de son vis-à-vis parvinrent même à lui arracher quelques éclats de rire. Il en avait de l'audace, ce petit qui lui mettait pourtant une tête entière. Peut-être même un peu trop. Dans un autre contexte, la vampire aurait sans doute pris la peine de lui faire comprendre qu'on ne pouvait pas lui parler de la sorte. Heureusement, l'alcool l'aidait à se calmer. Ca et la musique qui lui tambourine les oreilles depuis tout à l'heure. Actuellement, Claire n'avait qu'une seule envie, à savoir celle de prolonger ce curieux instant et d'en profiter autant que possible avant de devoir sortir d'ici pour coller une bonne fessée à son interlocuteur.

« Pfft. Tu devrais mâcher tes mots, ou boire un peu plus avant de l'ouvrir. J'ai probablement plus de dix fois ton âge et ton expérience. »

Autant irritée qu'amusée, elle parvint à évacuer toute sa frustration en s'enfilant un autre verre demandé à l'instant, cette fois-ci d'une traite. La montée soudaine d'alcool dans son organisme lui claqua un bon coup de fouet tout en anesthésiant ses envies de se jeter à la gorge du balafré. Pas ici, pas devant tout le monde, un peu de civilité. Il ne fallait pas donner plus de raisons aux humains pour rejoindre la cause de la Fédération.

« Je ne pense pas que mes mots suffiront à te faire peur, et heureusement. Des gestes seraient plus appropriés. Par contre, tu devrais surveiller tes propos si tu ne veux pas que l'un de ces parasites vienne te forcer le pas dans la tombe par exsanguination. Ce serait sacrément con de mourir des crocs d'un non-prédateur. »

L'adrénaline se mit à monter. Maintenant que l'éventualité d'un face à face hantait son esprit, Claire ne put se résoudre à simplement chasser cette idée. Au contraire, elle pensait déjà à bien mieux pour faire de cette soirée un instant mémorable. Son sourire s'élargit alors qu'elle aligna suffisamment d'argent pour offrir un autre verre à Jayden. Une bien maigre dépense par rapport à la compensation qu'elle avait actuellement en tête.

« Hmm... C'est tentant. Mais je me lasse de simplement terminer ceux comme toi, qui pensent pouvoir me faire face. Ca n'a rien d'amusant, et je ne pourrais même pas garder ton sang pourri pour ma propre consommation. Dans ce cas, parions. Exige ce que tu veux de ton côté mais sache que si je gagne, je te trimballe pour le reste de la nuit et te fais subir tout ce qui me traverse l'esprit, que ça te plaise ou non. »

Elle s'assura ensuite de s'approprier les dernières gouttes de liqueur qui salissent le rebord de son verre, repoussa ce dernier et s'appuya brièvement contre le comptoir pour entamer une soudaine rotation sur son tabouret. Maintenant face à lui, Claire posa un coude sur le meuble et fit reposer sa tête contre son poing fermé en l'attente d'une réponse du challenger. Évidemment, elle émanait une confiance certaine, assurée quant à l'issue d'un tel match. Comment pourrait-il lui tenir tête ? Peut-être qu'elle le sous-estimait, mais elle n'arrivait pas à se voir perdante de l'affrontement. Au contraire, elle visualisait déjà sa récompense.

« Le parasite t'attend, chiot. »

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L’âge et l’expérience, autant de concepts qu’il ignore depuis que sa vie a pris un tournant sur lequel il n’a aucune prise. Danser contre le vent, et claquer des crocs à la gueule d’un monde qui s’acharne de toute façon à exclure ceux qui, comme lui, prennent des chemins trop différents. Il méprise les surnaturels, ne se reconnait en eux pas la moindre parenté, et n’a pas l’intention de se gêner pour celle qui lui fait face.

« On meurt tous de quelque chose. » gronde-t-il sans saisir la perche, dans un sourire narquois, les cicatrices frémissant sur sa joue. Il se saisit du verre, s’en envoie le contenu avec une vivacité à peine réduite par l’alcool déjà ingurgité, le repose sur le bar dans un claquement sec en jetant son regard à l’assaut de celui de Claire.

« Y’a rien chez toi qui m’intéresse, suceuse. J’ai rien à exiger d’une créature de ton espèce. J’me satisfais de l’idée d’te voir réduite à te planquer pour assouvir tes instincts. »

D’un mouvement de bras, il englobe la salle derrière eux, prunelles embrasées toujours liées à celles de la vampire « Regarde les, tous à ta portée, pourtant, tu peux t’en faire aucun sans risquer ton existence. Pas de bol, hein ? » Il ricane, s’appuie contre le comptoir à son tour, le cuir de la veste dont il ne s’est pas débarrassé craquant dans la manœuvre.

« Ça fait quoi alors d’être un parasite de l’ombre ? Ça pose pas trop de problème d’ego ? »

Il se lèche les lèvres, en chasse le gout fumé, prêt à tout perdre finalement, sur un simple coup de tête, l’envie viscérale de voir le sourire s’effacer du beau visage en vis-à-vis en taisant le fait que si elle n’est à ses yeux qu’un charognard, il se considère lui-même comme pire encore, noie dans les excès les contours brisés de ses certitudes.

Il se lève brusquement, siffle entre ses dents quand la pièce tangue devant ses yeux plissés, crache un nouvel éclat de rire avant de lancer en se dirigeant vers la sortie. « Amène-toi beauté. »

Il ramasse un verre à l’une des tables, se l’enfile avant de le déposer sur une autre, bouscule les danseurs sans se soucier des récriminations avalées par la musique trop forte, se retrouve d’un coup sur le pas de la porte, face à un escalier dans lequel la gravité manque le précipiter. Quitte à mourir ce soir, autant que ce ne soit pas d’une chute idiote, songe-t-il vaguement en descendent prudemment les marches, un sourire toujours fiché au coin des lèvres.

Dans l’air froid qui lui griffe les poumons, l’envie de se battre s’étiole, et l’ampleur de sa connerie lui apparaît. Il ne se démonte pas pourtant, attend tranquillement qu’elle le rejoigne, l’hypothèse confirmée quant à la nature de la femme ne lui laissant à la place de la rage savamment entretenue qu’un arrière-gout de défaite inconfortable.

Tant pis. Il ne parvient pas à s’inquiéter, et ses nerfs si prompts à se jouer de lui, à appeler ce qu’il redoute le plus, se taisent pour l’heure, domptés par le whisky, muselés par les bravades, aussi, derrière lesquelles il masque l’appréhension d’un combat qu’il pressent à son désavantage.

D'apparence, Claire demeura calme et ne s'exprima pas plus sur le sujet pour le moment. Intérieurement, seule l'envie de faire ravaler ses mots au toutou susbistait. Si ses actes en public ne risquaient pas d'avoir des conséquences pour l'ensemble des surnaturels, elle en aurait sans doute déjà terminé. Mais au lieu de ça, la voilà à devoir supporter des mots qu'elle ne manquera pas de répéter sur un ton sarcastique une fois sa victoire certaine. Pour l'heure, seule réponse joueuse en surface lui paraissait appropriée.

« Ton bluff est à entraîner. Je sais déjà ce que tu as dans le ventre, et c'est pas du tout en accord avec ce que tu te permets de dire. Tu le regretteras une fois que tu auras perdu. »

Elle se tut alors, n'en disant pas plus. Elle en avait de toute façon bien assez dit lors de cette unique réplique. Pour Claire, c'était à présent certain ; son vis-à-vis était jeune, bien jeune. Sa mentalité ne correspondait pas à celle d'un lycan ayant vécu plusieurs décennies. Celui-ci demeurait bloqué à un stade immature, aveuglé par sa haine de la créature qui lui a laissé cette marque voire des surnaturels dans leur ensemble, compte tenu de ses propos. Et il était déjà établi et connu que les jeunes individus présentaient des dispositions physiques plus moindres que les vétérans, en plus de faire preuve d'excès de confiance en raison de leur nouvelle nature les ayant élevés à un stade supérieur. Claire le savait parce qu'elle l'avait elle-même vécu, s'étant déjà surestimée par le passé. Si elle le faisait encore aujourd'hui, c'était uniquement car son expérience lui permettait d'avancer de tels propos.

« Inutile de te répéter, j'arrive. »

Puis elle se leva enfin pour suivre le mouvement entamé. Si les quelques regards de fêtards se posant sur eux supposaient certainement un rapport intime entre les deux surnaturels, ils étaient aveuglés par l'ambiance des lieux et par l'impossibilité d'avoir entendu leur conversation. En réalité, ils étaient sur le point de se lancer dans une joute des plus brèves mais pas moins intense pour intense pour autant. Claire descendit les escaliers à son tour, sans jamais douter de ses compétences, tout en posant ses yeux sur Jayden qu'elle estimait déjà trop imprudent. Si elle l'avait souhaité, elle aurait déjà pu lancer un première assaut en bondissant depuis les marches, au moment même où il se serait retourné. Elle fit toutefois preuve de fair-play, non pas par adversité mais plutôt par l'envie de lui faire ravaler ses mots sans avoir à le prendre en traître, pour qu'il comprenne son erreur.

« N'espère pas que je me retienne juste parce que t'es un gamin. »

Une fois en bas, elle se recula uniquement de quelques pas pour créer une distance de sécurité entre eux. La vampire ne craignait pas tant son adversaire, elle préparait simplement quelque chose. Elle fit d'abord craquer sa nuque, ses épaules et enfin ses doigts. D'ailleurs, peut-être que le lycan fut en mesure de sentir cette odeur de sang au moment où les doigts de Claire craquèrent. Puis sans annoncer sa venue, elle se précipita vers lui avec une vitesse certaine et contrastant bien avec le manque d'activité dont elle avait fait preuve jusqu'alors. Une fois à portée, son petit poing remonta dangereusement en direction du nez de Jayden mais s'arrêta brusquement au dernier moment pour s'ouvrir et projeter quelques gouttes de sang. Il put alors probablement voir quelques plaies ouvertes déjà en train de se refermer, une mutilation volontaire n'ayant que pour but de libérer assez de sang pour l'en récouvrir, le marquer de sa propre odeur mais surtout pour le provoquer. Mais en aurait-il au moins les réflexes ?

« Quoique... Gagner en faisant preuve de pitié te fera réaliser ta place. »

Puis elle se recula et ricana, autant fière de son stratagème que de sa répartie, et adopta une posture plus défensive, comme pour attendre une contre attaque. L'assommer en un coup ne serait définitivement pas marrant.

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Il l’attend de pied ferme, ou presque, retient le léger tournis qui s’empare de lui s’il tourne trop vite la tête en s’appuyant contre un mur. Il n’a pas l’intention de se jeter sur elle, pas alors que la fête reste proche, que n’importe quelle paire d’yeux peut leur tomber dessus. Pas alors que la transformation se refuse, le privant du seul avantage qu’il pourrait avoir en la confrontant directement. Même s’il sent bien dans le fond qu’il est baisé quoi qu’il fasse, que le duel qui s’amorce finira mal de toute façon.

Il n’a jamais testé ses compétences sur d’autres créatures, se trouve pour l’heure aussi démuni devant elle qu’un gamin armé d’une truelle. Et il sourit pourtant, en la voyant le rejoindre, guette ses mouvements comme pour se préparer au pire, qu’il s’apprête plus à encaisser qu’à tenter de contrer vainement. Trop rapide. Elle est bien trop rapide, et à peine a-t-il le temps de percevoir son avancée qu’elle recule déjà, non sans lui laisser un avant-gout de sang juste sous les narines.

Il hausse les sourcils, fronce le nez, passe le revers de sa veste au-dessus de sa bouche pour essuyer la trace odorante qu’elle vient de lui offrir, le regard curieux maintenant, nimbé d’une trace d’incrédulité.

« Et ça, c’est pour le spectacle ? » s’enquiert-il sans vraiment comprendre l’intérêt de la manœuvre. « Ou tu t’y connais autant en lycans que moi en suceurs ? » lâche-t-il encore alors que son sourire revient lui manger les lèvres. Après tout, pourquoi pas, le changement ne lui a pas apporté la science infuse concernant les différentes espèces hantant les rues.

« Très impressionnant en tout cas pour quelqu’un qui semblait sur le point de m’arracher la tête. J’crains grave la suite, qu’est-ce que ça va être ? Tu vas m’filer une mèche de cheveux ? J’savais pas que les vampires pratiquaient la magie vaudou. » Il ricane, recueille d’un doigt une trace sanglante qu’il porte à sa bouche, récupère de la pointe de la langue en prenant tout son temps.

« Rien à foutre de ta pitié, t’étonnes pas que j’te considère comme pire qu’un animal si tu t’comportes comme tel. »

Il renifle, se laisse un peu plus aller contre le mur avant de lever les yeux vers le ciel, tente de chasser de son esprit l’odeur entêtante comme les relents d’alcool qui lui collent à la peau. Déraisonnable, comme toujours. Mais ses limites sont trop floues pour qu’il en saisisse les contours, et cette rencontre peut finalement tout à fait le servir.

« Alors bella, j’t’attends, tu comptes me montrer un jour ou tu vas te contenter de me cracher ton sang à la gueule ? Non pas que j’trouve pas ça sexy, mais y’a des trucs qui fonctionnent mieux. »

Il a la voix traînante, légèrement pâteuse, mais ses prunelles n’ont pas perdu en acuité lorsqu’il les porte sur elle, détaille tranquillement son anatomie comme s’il la désapait sur place. Une autre forme de provocation. Aussi peu subtile finalement que les insultes à peine voilées qu’il s’est plu à lui balancer.

Consternée, Claire se contenta de pousser un unique soupir. Son opposant n'a pas mordu à l'hameçon qu'elle lui avait lancé, à son plus grand déplaisir. Au contraire, il demeura bien passif pendant toute la manoeuvre, laissant penser à la vampire qu'il était soit totalement inconscient, soit incapable de réagir à temps. Elle opta finalement pour un mélange des deux, car son interlocuteur ne manqua finalement pas de lui révéler qu'il se connaissait relativement peu en vampires. Il n'y avait désormais plus de doute possible ; monsieur le ténébreux n'était qu'un petit louveteau récemment créé. Le suspense mourut aussitôt que cette certitude tomba. Claire, qui avait déjà bien confiance en elle en avant ça, se savait désormais victorieuse dans tous les cas. Elle ne parvenait pas à entrevoir un monde dans lequel ce loup immature parviendrait à la vaincre.

« Marrant, ça. Tu es bien locace pour un type qui peut se faire dévisser la tête à tout moment. »

Elle ignora royalement la question de son interlocuteur, n'ayant certainement pas l'envie de lui dévoiler ses motifs comme l'aurait fait un mauvais antagoniste. Au lieu de ça, elle profita du fait que Jayden baisse sa garde et se relaxe pour s'élancer vers lui, toujours avec la même célérité, et se planter juste en face avant de lever une main pour la porter au cou de l'homme et l'encercler d'une poigne ferme mais dont la pression demeurait juste suffisante pour le maintenir en place, pas pour l'étrangler. Aussi impulsive puisse être Claire, elle demeurait bien plus encline à parler qu'à massacrer sans sommation.

« Ne le sais-tu pas ? Seule la version des gagnants importe dans ce monde. Si je te tue ici et maintenant, tu seras l'animal. Un jeune loup qui perd le contrôle, qui devient fou et menace le quartier. Ne serais-je pas une bonne citoyenne en mettant ce chien enragé hors d'état de nuire afin de protéger ces faibles humains qui rôdent ? Qui y aurait-il pour prendre ta défense, pour nier ma version des faits ? »

Tout doucement, elle crispa ses doigts pour que ses ongles pointus viennent mordre la chair du balafré. Elle était sur le point de le faire saigner mais s'en abstint finalement, plus encline à garder ceci pour plus tard.

« Tes convictions et idées ne valent rien si tu es trop faible pour les défendre. Avant de l'ouvrir, tu devrais t'assurer de pouvoir faire valoir ton opinion tout en t'en sortant indemne. Elle rafermit une nouvelle fois sa poigne et contracta les muscles de son bras pour le maintenir en place, puis elle se dressa sur la pointe des pieds et passa brièvement sa langue sur les lèvres de son vis-à-vis tout en plongeant son regard dans le sien. J'espère que tu comprends ta position, petit chiot. Ne m'oblige pas à me débarrasser de ton joli minois. »

Soudain, les yeux de Claire se mirent à luire et virèrent au plus sanguin des rouges. Sa prise physique sur Jayden se fit bien plus douce afin de ne pas rompre la nouvelle emprise qu'elle voulait créer, celle-ci étant cependant bien plus psychologique que physique. Puis, d'une voix profonde et séductrice, la créature de la nuit exprima ce qu'elle attendait de sa proie.

« Reconnais ta défaite et agenouille-toi pour moi, veux-tu ? »