La Nature contre la Culture (Théodora)

La rue Bourbon baignait dans la lumière de la lune et des quelques commerces encore ouverts en ce début de soirée. Beaucoup étaient sur le point de fermer, ce qui n'empêchait pourtant pas aux quelques âmes présentes de lorgner sur les vitrines avec cette même lueur de convoitise de regard. Que l'individu soit une compagne en extase devant une parure, un jeune bavant face au nouveau jeu de sa license favorite ou même un vénérable devant une cravate de bonne facture, tous semblaient trouver leur bonheur au marché français. Claire ne faisait pas exception à la règle, bien que l'objet de ses convoitises s'avérait être une personne. Un humain esseulé et probablement proche de la trentaine. À en juger par son smoking de gamme moyenne et son air épuisé, il sortait probablement d'une réunion éprouvante. Cet homme avançait dans la rue, sans jamais s'arrêter pour parler à qui que ce soit. De temps à autre, il jetait un bref coup d'oeil à son smartphone et s'arrêtait pour pianoter dessus. Pendant ce temps, la vampire le suivait comme son ombre, s'arrêtant parfois devant les échoppes afin de ne pas le dépasser.

Lorsqu'elle fut certaine qu'aucune autre âme ne se situait à moins de deux ou trois mètres de sa cible, Claire s'en approcha prudemment, les mains dans les poches. Une fois à portée, elle libéra l'une d'entre elles pour venir la poser sur l'épaule gauche du salaryman dont l'attention fut ensuite captée par quelques mots prononcés avec une intonation gênée.

« Excusez-moi, est-ce que vous sauriez où trouver la joaillerie des Mille Et Une Nuits ? Je viens de l'autre bout de la rue et je ne l'ai toujours vue. »

Un prétexte inventé à l'instant. Il n'y avait pas besoin de l'excuse la plus solide qui soit pour parler à un inconnu. Une simple demande de renseignement faisait parfaitement l'affaire. L'homme se retourna donc naturellement, curieux de voir qui venait de lui adresser la parole, et tomba nez à nez avec la femme à la taille bien inférieure à la sienne, ce qui le poussa à baisser les yeux pour lui faire face. Un détail relativement important, une erreur qu'il n'eut pas le temps de réaliser puisqueles pupilles de Claire s'étaient déjà mises à luire d'un rouge surnaturel.

« Hoche la tête, souris et enlace-moi comme ta promise, lui ordonna-t-elle en premier lieu. Il ne mit pas bien longtemps à s'exécuter, offrant ainsi une nuque dans laquelle Claire aurait bien mordu s'il n'y avait pas encore quelques autres individus non loin. Au lieu de ça, elle donna de nouveaux ordres à sa proie. Lâche-moi, prends-moi la main et suis-moi. Tant que je marche, tu me raconteras comment s'est passée ta journée. »

Victime de l'hypnose, il ne put qu'obéir et suivre Claire une fois toutes les conditions remplies. Pendant ce temps, la vampire fit mine de s'intéresser au récit de son interlocuteur en le ponctuant de quelques exclamations. Aux yeux des autres passants qu'ils rencontrèrent parfois, ils formaient un couple tout à fait banal. Pourtant, il ne s'agissait que d'une araignée tissant sa toile autour d'un papillon déjà pris au piège. La marche se poursuivit alors pendant quelques minutes, jusqu'à ce que Claire attire soudainement sa proie dans une autre rue, plus étroite et nettement moins éclairée puisque située entre deux façades sans portes, et se jeta dans les bras de son prétendu aimé pour venir l'embrasser. Et une fois à l'ombre de la rue principale, les lèvres de Claire se posèrent sur le cou de l'homme. Elle dévoila progressivement ses crocs, à présent prête à le mordre, mais fut dissuadée par son ouïe qui l'alerta de la présence d'une âme curieuse. Sans doute un autre passant. Alors elle reprit son acte, se contentant pour le moment d'embrasser ce cou tout en prétendant ne rien avoir entendu.

« J'ai tellement hâte d'être à la maison... Pas toi ? »

Théo rentrait de sa journée qui ne fût pas de tout repos pour une fois. Elle ne savait pas quelle mouche avait piqué les étudiants, mais tous s’étaient passé le mot pour venir emprunter des ouvrages aux archives. Cela fût tendu à des moments, mais elle a su gérer la situation et satisfaire la majorité des demandes, celles n’ayant pût avoir satisfaction étaient dû au fait que l’établissement ne possédait pas les ouvrages demandés. Ce qui avait créé une tension avec certains étudiants qui passèrent leur frustration sur Théo. Ce n’était donc pas l’esprit des plus serein que Théo prenait la route du retour, fatiguée, passablement énervée, ce n’était pas son jour et ça n’allait pas être sa soirée non plus.

Elle marchait d’un pas quelque peu pressé, elle voulait être au plus vite dans son nid à elle, avec ses livres, sa musique pour l’accompagner et un bon « repas ». Une boite de sang animal bien frais fera l’affaire. Théo était en train de tergiverser sur le sang de la boite, biche, sanglier, ou bien vache ? Théo ne revint qu’au moment présent quand un trait rouge passa dans son champ de vision. Elle regardait l’objet de cette vision : une jeune femme accrochée au bras d’un homme marchait tranquillement au milieu de la foule. Qu’est-ce qui faisait qu’elle s’occupait de chose qui ne la regardait pas ? Pourquoi cette fois-ci elle irait sauver un humain d’une potentielle mort ? Habituellement, même si elle porte un grand intérêt à la vie humaine, elle évitait de s’occuper des affaires des autres, mais pas ce soir. Ce soir elle allait sauver un humain, sa journée ayant été assez nul de son point de vue, sauver un humain lui permettrait de rendre sa journée moins morose.

Elle décidait de suivre le couple le plus discrètement possible, restant à bonne distance, jusqu’à une rue adjacente, sombre où elle voyait le « couple » enlacé, la femme le visage dans le coup de l’homme. Théo imaginait très bien les dents pointues se dévoiler et entrer délicatement dans la chair de sa victime. Elle se dévoilait en tapant dans une canette, aucun faux semblant, par son geste totalement assumé, Théo lançait le message dont elle sait très bien ce qui se passait entre les deux personnes. S’approchant, dominant la jeune fille avec sa taille, air sombre sur le visage. Elle glissait son visage à côté de celui de la jeune femme :

« Libérez-le et aucun mal ne vous sera fait chère damoiselle. »

Théo était prête à attraper la jeune femme et à la séparer de l’homme si elle refusait de coopérer.

Une voix finit par s'élever pour lancer une injonction. La tête toujours cachée dans le cou de l'homme, Claire ne put retenir une grimace qu'elle effaça à peine deux secondes plus tard. L'autre personne n'était pas qu'un simple passant mais bien quelqu'un ayant pour but de l'empêcher de se régaler. Elle soupira puis se retourna vers l'autre individu, indéniablement plus grand mais dont elle n'avait pourtant pas peur, confiante en ses propres capacités. Elle passa quelques instants à l'observer de haut en bas tout en humant très légèrement l'air les séparant. Le nouvel arrivant n'était pas humain.

« Allons, mon beau. Ce n'est pas parce que tu te sens jaloux que tu dois empêcher les autres de partager un moment privilégié. »

Elle ricana, visiblement d'humeur encore sortable malgré les faits. Elle ne cherchait pas vraiment à dissimuler les faits en mentant, elle voulait simplement s'amuser un peu histoire de tuer la pointe d'énervement qui commençait à poindre. Alors elle coopéra pour l'instant, sommant l'homme de s'éloigner de quelques pas par un « attends-moi au bout de la rue, chéri ». À présent, elle avait tout le loisir de s'occuper de l'énergumène pendant que l'humain suivait la directive comme le plus décérébré des zombies.

« Je me demande bien ce qui te pousse à agir de la sorte. Complexe du héros ? Manque d'attention ? Une promesse faite à un proche ? Enfin... Dans tous les cas, tu ne devrais pas chercher à m'imposer ta volonté. Fais ce que tu veux de ta vie mais ne m'importune pas. »

Son sourire s'effaça au profit d'une mine plus ennuyée. Après avoir passé un peu plus de temps face à ce roux, Claire put enfin déterminer qu'il s'agissait d'un de ses pairs, ce qui la poussa à réellement s'interroger sur les motifs de son vis-à-vis. Faisait-il partie de ces détestables végétariens qui baissaient les yeux face aux humains et à leur législation erronée ? Sans doute. De quoi l'irriter un peu plus alors qu'elle se demandait comme un être supérieur pouvait-il tomber aussi bas. Curieuse, elle croisa les bras sous sa poitrine, leva le menton pour dévisager son interlocuteur et lui accorda le bénéfice du doute, au moins le temps d'avoir plus d'indications quant à son comportement qu'elle ne put se retenir de questionner.

« Dois-je en déduire que ça te convient de courber l'échine devant tes maîtres auto-proclamés, de t'affaiblir consciemment pour leur faire plaisir, tout comme un chien ferait le beau ? »

La confiance se lisait sur le visage de la jeune femme… Enfin « jeune » physiquement, mais peut-être était-elle plus âgée que Théo ? Nôtre noble n’avait pas l’air de s’en soucier, car ce qui compte pour elle n’est pas l’âge, mais le rang de la personne, si celle-ci n’est pas de la noblesse pourquoi devrait-elle lui montrer plus de respect par ce qu’elle est plus âgée ? D’autant plus si cette même personne est sur le point de prendre la vie d’un innocent. Une déclaration aux allures de pique ou peut-être une tentative d’énerver Théo ? Si c’était le second but, il a été atteint, la vampire fulminait intérieurement.

« À quel moment se faire croquer est un « moment privilégié » ? »

Sifflait-elle entre ses dents serrées, son mécontentement non dissimulé. Néanmoins, l’autre vampire coopérait et demandait à son repas d’aller l’attendre un peu plus loin. Celui-ci s’exécutait, Théo comprit que le pauvre homme était sous hypnose. Elle n’avait décidément aucun respect. Une fois l’homme à l’écart, sa prédatrice s’adressait sans aucune retenue à la noble. Tirade emplie de reproches et de piques. Théo restait la plus calme possible, l’écoutait sans broncher. Lorsqu’elle avait fini, celle qui se faisait passer pour un homme prenait la parole à son tour :

« Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais ! »

Phrase toute faite, mais qui prenait tout son sens après les dires de la jeune femme. Théo reprenait après avoir replacé quelques mèches rebelles :

« Cela n’a pas l’air de vous déranger d’imposer votre volonté à des personnes qui ne vous ont rien demandé. »

La jeune femme croisait ses bras sous sa poitrine, Théo ne pouvait pas cacher le fait qu’elle venait de la reluquer en bonne et due forme. Des seins ! Elle a une très belle paire de seins, veinarde, pansait Théo dissimulant à peine la jalousie dans ses yeux. Perdue dans la contemplation des atouts de la belle jeune femme, Théo avait perdu le fils de la conversation, elle revenait dedans que lorsque la belle prononçait « chien ferait le beau ? ».

« Veu… veuillez m’excuser ! »

Disait-elle tout en massant ses tempes pour calmer les images d’elle-même avec la poitrine de la femme en face d’elle qui inondait son esprit.

« J’étais perdu dans mes pensées et je n’ai pas écouté ce que vous disiez. »

Théo était rouge de honte, se laisser aller ainsi en public, vraiment.

« Qu’importe ! Vous ne devriez pas vous abaisser à vivre tels un animal que vous n’êtes pas, un peu de dignité ! »[/color][/color]

Dans un coin de son esprit, Claire faisait le compte des minutes qui passaient afin que son repas ne s'échappe pas. La tâche demeurait encore suffisamment aisée puisque celui l'ayant importunée ne se montrait pas violent pour le moment. Si on ne lui demandait que de parler, estimer la marge qu'il lui restait avant que l'hypnose prenne fin n'était pas si compliqué que ça, quoique l'éternelle eût parfois l'impression de se perdre en analyses inutiles lorsque son interlocuteur se mit à agir suspicieusement. Le propos de l'homme, bien que compréhensible, perdit toute crédibilité aux yeux de Claire dès l'instant où les yeux de son opposant se perdirent à un endroit qu'elle n'eût aucun mal à déterminer.

« Il serait plus convenable de me regarder dans les yeux, avança-t-elle finalement pour faire un reproche non-dissimulé à l'homme et son comportement. Enfin... Sauf si mes capacités te font peur. À défaut, tu pourrais au moins regarder autre chose que ma poitrine. Non pas que ça me déplaise, mais ça ruine entièrement ta crédibilité, mon beau. »

Elle ne manqua évidemment pas de ricaner aux propos du roux, les trouvant au moins aussi absurdes que son attitude. Les idéaux de Claire étaient, somme toute, radicalement opposés à ceux de l'homme lui faisant face. Pour elle, il ne faisait que brasser de l'air et n'arriverait sans doute jamais à la convaincre. Dans le meilleur des cas, il serait en mesure d'obtenir un petit hochement de tête de la part de la brune, bien que cela ne vaille pas la moindre promesse ou le moindre engagement.

« Il y a une énorme différence entre ma volonté et la leur. Ne penses-tu vraiment pas que notre opinion devrait primer sur la leur ? Nous sommes supérieurs aux humains, pourquoi est-ce que ce serait à nous de nous soumettre à eux ? Crois-tu qu'un maître se plierait aux ordres de son chien alors qu'il a tous les outils pour le dresser ? De même, crois-tu que je vais obéir aux humains alors que je suis capable de les plier à ma volonté en tirant profit de mes capacités naturelles ? »

Elle s'avança ensuite de quelques pas pour réduire l'écart entre elle et l'énergumène en face d'elle, au moins assez pour qu'il ne puisse plus se perdre en reluquage sans avoir à baisser la tête de façon évidente. Totalement décomplexée, Claire ne ressentait pas la moindre gêne à s'approcher aussi près de qui que ce soit, qu'elle ait des arrières pensées ou non.

« Un animal, hein ? Entre celui qui exploite sa nature à son plein potentiel et celui qui se fait pucer, c'est réellement ce premier que tu définis comme un animal ? Intéressant mais absurde. Je vois que la propagrande humaine a eu de bons effets sur toi. »

Toujours sans la moindre gêne, elle leva ensuite une main pour la porter sur l'une des joues de son confrère vampire. Elle y déposa quelques caresses du pouce tout en le fixant droit dans les yeux, sans dissimuler sa pitié envers celui qu'elle estimait comme un être supérieur s'étant égaré du droit chemin. Ca la frustrait. Au fond d'elle, Claire avait envie de faire ouvrir les yeux à ce phénomène.

« Comme je te plains... Tu aurais pu prétendre à plus qu'une vie de misère, tu pourrais être libre et ne jurer allégeance qu'à toi-même et tes frères. Au lieu de ça, tu obéis aux dogmes d'êtres strictement inférieurs, tu ruines ton potentiel, tu t'auto-flagelles pour les beaux yeux de ces maîtres auto-proclamés, tu renies ce que tu es. Pourquoi ? »

» Un vent de fraicheur | Ft. Théodora D.
» Théodora de Dieuleveult dit Théo.