J’esquissai un sourire en secouant la tête, visiblement amusé de sa question.
- Ne vous en faites pas. Répondis-je. Cette question n’est en rien indiscrète. Ou si elle l’est, je m’excuse de toutes les indiscrétions dont j’ai pu faire preuve. Secouant de nouveau la tête négativement, je repris. Je ne suis pas réellement un homme à femme, je dois l’avouer. Ma dernière relation et la tromperie de ma fiancée m’ont bien trop marquée pour cela et je tiens les femmes en trop haut respect pour cela.
Il était vrai que si mon nom avait été Pinocchio, mon nez se serait très certainement allongé jusqu’au bout du parc tant ces paroles étaient à l’inverse de ce que j’étais réellement. Pour autant, cette femme semblait parfaite mondaine sous tout rapport. Mieux valait, donc, que je passe pour cela que pour ce que j’étais vraiment. Sa réponse à l’invitation, elle, me fit à nouveau sourire. Au moins n’était-elle pas difficile à convaincre. Avançant dans la nuit, je me surpris même à rire, lui racontant quelques anecdotes sur mon entreprise. Parmi celles-ci, j’appréciai particulièrement l’histoire de la cliente désirant un système de sécurité à base de filet de pêche et d’ordures sorties tout droit de Maman j’ai raté l’avion.
C’est donc sous ces histoires que nous arrivâmes bien trop rapidement à la Sully Mansion, l’hôtel abritant le salon. M’arrêtant devant l’entrée, je me mis de nouveau à rire de ma bêtise. Je venais ni plus ni moins d’inviter une jeune inconnue à entrer dans un hôtel… Une classe absolue, n’est-ce pas ?
- Ne vous méprenez pas. Repris-je donc. Le salon se trouve au sous-sol de l’hôtel, et non dans les chambres.
J’espérai avoir assez dédramatiser la situation alors que je faisais quelques pas en direction de l’entrée, invitant la jeune femme à me suivre.
- Comte Vladimov.
Je déposai mon manteau dans les bras d’un serveur, invitant Calista à faire de même. « Comte ». C’était peut-être là le seul endroit où mon titre, quoiqu’inventé, était encore utilisé. Cela faisait d’ailleurs partie des raisons pour lesquelles j’appréciais les lieux.
- Voulez-vous me suivre ?
Présentant mon bras à la vampire, nous fûmes rapidement installés à une table, à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes alors qu’un second serveur arrivait, les bras remplis d’une bouteille de champagne hors de prix et de deux coupes.
- Prenez ce qui vous plaira, Miss. Il est bien évident que je vous invite. La maison fait même quelques cocktail spéciaux pour vampire. J’esquissai un sourire. Alors dites-moi. Acceptez-vous souvent les invitations d’inconnus ?
Presque tous les hommes aimaient les femmes, ainsi que leur façon d’être ce qu’elles sont. La grâce, la beauté, la volupté… Leur manière de se déhancher et d’être séduisante sans même le faire exprès. Autant de qualités que l’on retrouve chez beaucoup d’entre elles et il était donc difficile pour Calista de croire qu’un homme de la trempe de Dimitri ne puisse être charmé. Son excuse ? Un amour déçu et brisé, la tragédie d’une vie et la belle vampire ne pouvait qu’être triste pour lui. Derrière cette prestance et cette confiance que l’homme dégageait se cachait un coeur sensible qui ne demandait peut-être qu’à… Être guéri ? Calista chassa cette pensée de son esprit pour se concentrer sur les drôles anecdotes qu’il lui raconta, un bon moyen de passer le temps.
Ils arrivèrent quelques minutes plus tard devant un bâtiment qui ressemblait à un hôtel et Calista haussa un sourcil avant de tourner sa tête vers son hôte. Ce dernier se justifia aussitôt et elle espérait qu’il ne la prenne pas pour une imbécile. De toute façon, elle aurait refusé d’aller dans une chambre… Certes Dimitri était très beau mais elle n’avait pas spécialement l’envie de coucher avec lui ce soir. Elle le suivit tout de même sans trop se poser de questions, après tout ils allaient juste boire un verre et rien d’autre. Accueillis par le maître d’hôtel, ce dernier reconnu aussitôt le chef d’entreprise et Calista ne put s’empêcher d’être surprise. Un comte ? Vraiment ? Cela méritait un questionnement.
Pour quelqu’un qui n’était pas un homme à femme, il savait où les emmener en tout cas ! En effet, il ne s’était pas fichu d’elle. Loin d’être vénale, la créatrice de bijoux appréciait tout de même les élans de galanterie. De plus, il était impoli de refuser, non ? Elle répondit donc par l’affirmative avant de s’adresser au serveur.
“Une coupe de champagne me conviendra très bien, merci Monsieur.”
Bien installée sur sa chaise, Calista balaya la pièce du regard et elle appréciait l'ambiance feutrée des lieux. Autour d'eux se trouvaient des clients très riches et bien accompagnés, un monde qu'elle ne fréquentait plus depuis longtemps bien qu'elle avait les moyens mais le côté "poudre aux yeux" ne l'intéressait pas plus que cela. Elle tourna ensuite son regard vers le vampire, prête à le remercier pour tant d’attention. C’est alors qu’il lui posa une question un peu gênante et elle crut un instant qu’il la prenait pour une fille facile, un mythe qu’elle se devait de briser. Il reste qu'elle n'était pas coincée pour autant, contrairement aux apparences.
“Bien sûr que non…” Répondit-elle gênée. “Je me sens simplement en confiance avec vous alors il m’a paru naturel d’accepter votre invitation, sachez que j’ai reçu une éducation d’une bonne famille et qu’il ne suffit donc pas de me faire les yeux doux pour avoir ce que l’on souhaite de moi.”
Un peu agacée, son visage se radoucit par soucis de ne faire d’esclandre alors qu’on lui offrait du champagne hors de prix puis elle se mit à réfléchir.
“Mais je peux vous retourner la même question, pourquoi avoir invité une femme à peine rencontré dans un parc ?” Demanda-t-elle l’air malicieux.
Elle laissa échapper un rire, non pas pour se moquer mais la situation était risible.
“Je vous taquine, ne vous en faites pas… Dites moi plutôt d’où vous venez, vous devez avoir une histoire incroyable.”
- Mettez nous en une autre, je vous prie. Commandais-je à mon tour en reprenant toute mon attention sur la jeune femme. Fêtons dignement notre rencontre fortuite quoiqu’agréable.
Je ne pus m’empêcher de me mettre à rire, ou tout du moins faire illusion de ma légère hilarité tant elle sembla gênée et agacée par ma question. Faire illusion, était d’ailleurs bien le terme. Il y avait bien longtemps que mes éclats de rire, aussi discrets soient-ils n’étaient plus que des façons de me faire apprécier par mes interlocuteurs, une façon d’arranger la discussion et l’ambiance de la meilleure des manières, une façon de me faire bien voir, tout simplement. C’est pour cela que j’avais appris à imiter à la perfection la moindre émotion, moi qui n’étais pas friand de cela.
- Je ne voulais pas paraître grossier, Miss. Rassurez-vous, répondis-je en secouant doucement la tête. Et je ne souhaite rien de vous si ce n’est une agréable soirée en ces lieux. Si cela, bien entendu, vous convient. Un sourire charmeur se dessina sur mes lèvres. Quant à moi, je dois vous avouer que je n’ai pas réellement l’habitude d’inviter des jeunes femmes inconnues aussi facilement, surtout en ces lieux, mais je pense pouvoir vous retourner le compliment. Vous ne semblez pas être n’importe qui, ou du moins vouloir simplement profiter de la « gentillesse » de votre hôte. Quoique mon acte n’était pas vraiment dû à la gentillesse mais à ce que j’appellerais la citoyenneté.
A sa question, j’arquai un sourcil. Parler de moi. Oh bien sûr. J’en avais l’habitude. Une réelle habitude qui était presque devenu un jeu. Le plus difficile ayant disparu en même temps que ma fortune avait pu apparaître. Après tout, je n’avais aujourd’hui plus à mentir sur ma situation pour attirer quelques petites gourdes dans mes bras. D’autant que cela ne m’intéressait réellement pas ce soir, ayant déjà presque tout ce que je pouvais vouloir.
- Si je devais vous faire le récit de ma vie, nous y passerions bien trop de temps pour que cela soit intéressant. Je ris légèrement en remerciant le serveur qui nous apportait nos coupes. Mais avant cela. Trinquons. Levant mon verre, je le fis tinter délicatement contre celui de mon invitée. Quant à moi… Je n’ai pas réellement d’histoire incroyable à vous conter malheureusement. Fils de commerçants moscovite, je n’ai que très peu de mérite dans ma réussite. Mes parents m’ont tout appris sur le commerce.
Je retins de justesse une grimace à cela. Mon père, cet immondice de la nature, ne m’avait jamais rien appris. A part peut être comment réussir à se vautrer dans la pauvreté et l’imbécilité profonde de la nature humaine. Quant à ma mère, cette putain qui ne savait rien faire que de se mettre à genoux. Elle avait été aussi inutile que le premier. D’autant qu’ils n’auraient, de toutes les manières, jamais su commercer. Eux. Paysans pauvres et sans avenir d’Omsk.
- Je suis devenu Comte peu de temps après ma transformation, pour me féliciter de l’aide apportée à l’Empire de par ma position de théologien et philosophe. Ma vie a continué, simplement. Jusqu’à l’avènement du communisme, qui m’a obligé à entrer dans l’ordre rebelle. L’histoire faisant, nous nous sommes pliés au régime, m’obligeant à travailler comme petite main dans les usines d’armement de l’URSS. C’est vers cette époque que j’ai créé ma première entreprise. La suite… Je suis aujourd’hui à la tête d’une nouvelle entreprise florissante. La plus florissante des Etats Unis, sans vouloir me vanter. Je secouai la tête. Mais cessons de parler de moi, je risquerais de vous ennuyer plus qu’autre chose. Parlez moi plutôt de vous, cela sera sûrement beaucoup plus intéressant. Alors dites-moi. Quelle est votre histoire ? J’aimerais en connaître plus sur vous... Si vous le désirez évidemment. Mais vous semblez avoir une vie bien plus intéressante que la mienne.
Ce n’était pas vraiment commun de fêter une rencontre de cette façon ou alors Calista avait raté quelque chose. Il faut dire que de par son statut élevé dans la société, Dimitri avait sûrement l’habitude d’inviter d’autres personnes pour les impressionner mais fait étonnant, il venait de confirmer qu’il n’amenait pas de femmes à peine rencontrées ici. La belle brune sourit et hocha la tête mais au fond, elle se demandait s’il était possible qu’un homme important ne profite pas des femmes agglutinées autour de lui. D’ailleurs, les paparazzis adoraient ce genre d’histoires et il n’était pas rare de voir des hommes riches ou politiques impliquées dans de sales affaires. Il faut croire qu’il existait des personnes réellement bonnes et altruistes ? Calista ne demandait qu’à être convaincue mais elle vivait dans une époque trouble ou faire confiance pouvait coûter cher. Pour l’heure, elle allait siroter tranquillement son champagne hors de prix mais tout en ressentant une certaine gêne.
“En réalité, c’est à moi de vous remercier comme il se doit de m’avoir secouru et j’espère pouvoir vous rendre la pareille un jour.”
Ce cher philanthrope n’allait peut-être pas tarder à recevoir à son bureau un panier garni de plein de bonnes choses dont du vin d’exception. Après tout, elle aussi avait de l’argent et elle ne savait pas quoi en faire, un comble, non ? Le serveur arriva avec de quoi trinquer et la vampire prit sa coupe avec un sourire avant de la faire tinter contre celle de son hôte. Elle approcha ensuite le verre à ses lèvres et goûta le précieux champagne et il faut dire que c’est meilleur quand c’est gratuit. Dimitri s’en doutait sûrement mais elle était vraiment contente et flattée d’être là. Alors elle l’écouta parler et il s’exprimait de manière si distinguée qu’elle était comme captivée par lui. Ce dernier jouait les modestes et pourtant, sa vie était fascinante alors quand il lui dit que la vie de la brunette devait être plus intéressante, son visage fit la grimace.
“Votre parcours est admirable, bien plus que le mien… Je n’ai pas vraiment la sensation d’avoir accompli quoi que ce soit alors que j’approche des cents ans. Cependant, votre discours me conforte dans l’idée qu’il n’y a pas vraiment d’âge pour faire de grandes choses, je dois simplement trouver ma voie.” Elle marqua une pause, l’air un peu gêné de parler de son passé puis reprit. “A contrario, je me dis que si j’étais restée humaine, ma vie n’aurait pas été plus palpitante et je serais devenue une mère au foyer condamnée à vivre dans l’ombre de son mari avocat.”
Calista eut un petit pincement au coeur en pensant à son ancienne vie à laquelle elle avait dû dire au revoir. Tout lui avait été arraché en l’espace d’une seule nuit et pourtant, l’amour d’un homme profondément bon l’avait aidé à remonter la pente.
“Je ne regrette rien, j’ai traversé les époques, fait le tour du monde et me voilà aujourd’hui.” Finit-elle en souriant.
La femme but une autre gorgée et une question la taraudait, comme si sa présence ici était trop belle pour être vraie.
“Soyez franc avec moi, suis-je d'un si grand intérêt au point d'avoir le droit à toutes ces paillettes ? Vous avez forcément une idée en tête, non ? Ou alors je suis en plein rêve et vous n'existez pas réellement." Elle rit nerveusement, espérant ne pas l'avoir vexé. "Excusez-moi, j'ai juste un peu de mal à accorder ma confiance."
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