- On a pas voulu nous montrer les corps. Souffla mon client. A vrai dire… Quand la police l’a découvert, elle a qualifié la scène de carnage.
J’hochai la tête tout en prenant des notes. Une sombre histoire sur laquelle j’enquêtais cette fois-ci. Une enfant de cinq ans retrouvée morte en compagnie de sa mère en mille neuf cent quatre vingt cinq. La thèse du meurtre familial avait été privilégié, et le père de famille purgeait aujourd’hui une peine et était sur le point d’être exécuté. Le couloir de la mort… Ce n’était pas la première fois qu’une famille de condamné faisait appel à moi. Ils espéraient qu’une fois l’histoire publiée, celle-ci trouverait un certain écho auprès du grand public et permettrait de faire pencher la balance. Force m’avait été donné de constater qu’il n’en était rien, ou très rarement. L’homme que ce père voulait défendre allait mourir. Mais c’était aussi là mon emploi : prendre les histoires. D’autant qu’il ne m’aurait jamais cru… Alors je me taisais, et j’écoutais.
- Vous voulez peut-être voir les objets ? J’ai lu beaucoup de chose mais… Je ne sais pas vraiment comment vous voulez procéder, s’il y a des rituels des…
Je secouai négativement la tête. Voilà bien une chose que l’on me demandait souvent : faisais-je des rituels. A vrai dire, la population purement humaine me prenait pour une sorcière, une enchanteresse, ou une charlatane, aussi. Pour ce père, j’étais sûrement une gitane ou que savais-je. Enfin un titre contrastant particulièrement avec ma tenue du jour.
- Il me faudrait simplement les objets. Dis-je en déposant mon carnet devant moi. Cela me suffira.
Rapidement, l’homme vint m’apporter un jouet, retrouvé sur la scène, dans les bras de l’enfant, ainsi qu’un édredon et un chausson.
- Tout était dans la chambre quand cela s’est produit.
J’hochai simplement la tête, laissant l’homme sortir chaque objet de son emballage afin que je n’aie pas à les toucher sans être prête. Fermant quelques instants les yeux, je me concentrais. Encore un innocent qui allait être tué. Enfin… Un à un, je touchai alors les objets. Sans réellement faire attention à ce qu’il y avait sous ma main, lorsqu’enfin, je fus envoyée directement à l’endroit voulu.
- Steven ! Entendis-je à l’étage alors que je faisais face à une petite fille d’à peine cinq ans, l’air apeuré. Arrête !
Fronçant les sourcils, j’avançai prudemment dans la maison. Je savais que personne ne pouvait ni me voir, ni m’entendre, et c’était pourtant une chose que j’avais pris l’habitude de faire. Une mauvaise chose, peut-être, car cela rendait les scènes bien plus vivante. Doucement, une à une, je grimpai les marches qui me menaient aux voix, suivie par l’enfant.
- Maman ? Appela-t-elle doucement. - S’il te plait !
Il y eut un bruit sourd, comme une lampe qu’on casserait, et des pleurs, des supplications. Là. J’avais repéré la pièce dans laquelle tout s’était passé, d’après mon client. Laissant l’enfant ouvrir la porte, je m’engouffrai dans la pièce.
- Millie ! Supplia la mère entre deux sanglots. Va t’en… Va dormir…
Qu’était-ce donc ?... La femme semblait saigner au niveau de son arcade sourcilière tandis qu’un homme, allongé près d’elle, ne réagissait pas, ou à peine, se contenant de ricaner.
- Elle va finir comme toi. Une traînée… Dit-il en se relevant difficilement.
Une scène de ménage. Plutôt violente, j’en convenais. Voilà donc ce qui m’attendait. Je soupirai. L’homme était donc coupable. Il avait tué femme et fille alors qu’il était vraisemblablement ivre. Cela était aussi simple que ça. Je m’adossai d’ailleurs au mur pour observer la fin de l’histoire. Ce n’était pas la première fois que j’observais telles histoires, aussi horribles puissent-elles être. C’était d’ailleurs sûrement en partie à cause de celles-ci que j’avais fais une croix sur tout le sentimentalisme que j’aurais pu développer. Enfin… Ah. Voilà. Il attrapait une arme à feu. Sûrement celle qui avait achevé la femme. Une balle dans la tête. Voilà ce qui l’avait tué. La fille avait dû y passer après. Puis soudain, un bruit sourd. Tournant la tête vers l’escalier, je me dépêchai en haut des marches pour observer d’où venait le bruit. Et tout se passa plus vite encore. En quelques secondes, cinq hommes débarquèrent dans la maison et grimpèrent jusqu’à la chambre. Des hurlements, des cris. J’entendis la femme se débattre, l’homme gronder des paroles incompréhensibles, l’enfant pleurer, effrayée comme jamais. Et moi. Je restai là. Dans l’encadrement de la porte. Les yeux rivés sur la scène d’horreur. A vrai dire... J’étais habituée aux meurtres, aux accidents, des fois gore, je devais l’admettre. Mais là… Ce que je vis me fit avoir des haut le cœur alors que je me retournai violemment pour faire dos à la scène. Une main sur mon bracelet que je me mis à faire tourner, et ma respiration s’accéléra à mesure que les sévices avaient lieu. Je fus renvoyé dans le présent lorsque l’enfant poussa son dernier soupir dans une douleur que je n’osai même imaginer. Et le retour fut brutal. Choquée, j’observai l’homme sans un mot.
- A… Alors ? Osa-t-il. Nous… Nous avons raison ?
Déglutissant, je ramassai mes affaires en tentant de garder contenance. Du mieux que je le pouvais, tout du moins.
- Je vous enverrai l’article une fois rédigé. Dis-je précipitamment. Je ne donne jamais les résultats sur place. Je vous enverrais le tout. Me levant je me dirigeai vers la sortie de l’appartement. Encore merci pour votre temps, Monsieur. Soufflai-je avant de quitter les lieux.
Dévalant les escaliers avec pour seule optique de quitter le lieu du crime, je me stoppai lorsque j’eus quitté l’immeuble. Dos contre le mur de ce dernier, je pris une grande inspiration. Il fallait que je me calme. Que j’oublie. Ce n’était que des visions. Rien n’était réel. Tentant de rester calme, j’avançai jusqu’à la prochaine rue passante. Ma voiture n’était pas loin. J’y serais bien mieux.
Des rires gras. Une poubelle renversée, le même bruit que j’avais entendu dans ma vision, et je me retournai brusquement, ma respiration saccadée reprenant de plus belle. Les yeux fermés, immobile en plein milieu de la rue, entourée de dizaine de dizaine de passants, je tentai à nouveau de me calmer. Rien n’y faisait.
- Miss ? Me souffla un homme devant moi alors que je me recroquevillai sur moi-même. Miss ? S’inquiéta-t-il en suivant mon mouvement. Tout va bien ? - Arrive… Pas à… Respirer… Articulai-je, prise de tremblements. Appeler…
Appeler qui ? Papa et maman étaient en vacances, ma sœur ne répondait jamais au téléphone et je n’allais certainement pas appeler mes collègues pour avoir de l’aide. Ne restait plus que…
- … Samael… Zombie…
Je n’arrivais plus à parler, me maudissant d'avoir mis le surnom de Zombiboy dans mon téléphone et tandis que l’homme fouillait mon sac à la recherche de mon portable, je fermai de nouveau les yeux, serrant fermement mes bras contre moi.
- Je… Euh bonjour… Entendis-je à côté de moi. Je suis désolé de vous déranger.... Êtes vous Samael heu... Zombiboy ? Il y a une jeune femme qui est vraiment mal en point. Une… Une crise de panique je crois… elle m’a dit de vous appeler… Nous sommes à Jackson Square. Est-ce que vous pouvez venir ou… Je vais appeler le 911 sinon… Je sentis le regard de l'homme se poser sur moi. Si vous pouviez faire vite... Je vais tenter de la calmer...
Doucement, l'homme vint s'agenouiller près de moi, me forçant à prendre sa main pour lui faire face. Mais à mesure qu'il s'approchait, son visage se troublait, laissant place aux visages des hommes que j'avais pu voir dans ma vision. Les lèvres entreo uvertes et les larmes coulant sur ma joue sans que je ne puisse ni les arrêter ni dire ce qu'il se passait, je tremblai alors encore d'avantage à mesure que le pauvre homme, bientôt rejoint pas une femme, tentaient de me calmer. Non. Ce n'était pas d'inconnue dont j'avais besoin. Pas maintenant. Pitié...
Un début de journée comme les autres. Tu te réveilles la gueule dans le cul, une inconnue dans ton pieux, tu jettes machinalement un regard à ton réveil matin. Il est quatre heures et des poussières, du matin. Tu soupires, extirpant ta carcasse marqué de morsures. Ah c'était une vamp' ? Tu t'en souvenais déjà plus. C'est plutôt douloureux, mais t'as de quoi faire passer la douleur. Tu fumes à ta fenêtre, l'air est encore frais à cette heure-ci. Tes yeux cernés regardent l'horizon sans vraiment le regarder. Tu t'étires entre deux bâillements, bon elle est où la coke déjà ? Tu saisis un petit paquet posé sur la table basse, une ligne, deux lignes. Tu te relèves, passant un doigt sous ta narine, puis secoue légèrement ta tête. Flemme de te recoucher, flemme de rester éveillé, tu décides donc de te faire un café, prêt pour comater pendant quelques heures dans le canapé. Enfin c'est ce que tu comptais faire, jusqu'à ce que la vampire logé dans ton lit, vienne se coller à toi et te susurre de revenir pour un dernier moment de plaisir avant qu'elle ne parte. Il ne te faut pas grand chose pour accepter et après un long baiser échanger, elle te traîne dans ta chambre.
Tu te réveilles quelques heures plus tard, le lit vide, le cœur vide. L'heure indiquée sur ton réveil te signale que tu vas devoir te bouger et te préparer pour le boulot. Si t'es un peu en retard, c'est pas grave dans le fond.. Mais c'est toi le Chef, alors a toi de montrer l'exemple. Tu ne traînes pas, tu as même plutôt hâte de quitter ton appartement vide. Arrivé au boulot, c'est le petit train-train quotidien, tu vas voir Vika, vous discutez surtout de choses lier à votre travail. Puis, après le petit briefing, tu rejoins ta brigade qui s'active doucement pour les préparatifs du midi. Tu passes en revue tout ce qui a été fait, ordonne d'effectuer certaines tâches, pendant que tu t'attelles avec ton sous-chef, des dernières expérimentations de repas à base de sang, pour votre clientèle vampirique.
Le temps s'écoule toujours plus rapidement quand tu le passes en cuisine, aussi, il est bientôt l'heure au restaurant d'ouvrir ses portes pour accueillir ses premiers clients. Une pause clope et bouffe pour les cuisiniers qui le souhaitent avant de bosser jusque quatorze heures minimum. Toi, tu n'as le droit qu'a une très courte pause clope, car tu dois appeler des personnes avec qui tu collabores, qu'ils soient producteurs de x produits, livreurs ou encore des artisans pour réparer une problème de plomberies ou d'une machine tombée en panne. Tu soupires dans ton petit bureau, voyant ton équipe se mettre au travail alors que tu n'en as pas terminé avec les appels. C'est ton sous-chef qui dirige en attendant que tu sois de retour. Tu lui fais confiance, sinon il ne serait pas à ce poste.
Tu raccroches, c'est bon tu vas enfin pouvoir faire autre chose que passer des coups de fil. Ou pas. Ton téléphone portable se met à vibrer, tu roules des yeux, avant de le prendre en main. Sans doute que tu n'aurais pas décrocher si tu n'avais pas vu le nom ou plutôt le pseudo "Méduse " s'afficher sur ton écran. Bizarre qu'elle t'appelle comme ça.. D'habitude vos parlez plus par messages. Plus rapide, plus facile. C'est que ça doit être urgent pour qu'elle t'appelle.. Bref. Tu décroches.
▬ Ouaip ? Qu'est-ce qui s'passe ?
Déjà, premier truc étrange, c'est une voix d'homme qui te répond. Tu fronces les sourcils. C'est quoi ce bordel ? Tu le laisses parler après avoir confirmé que tu étais bien "Zombiboy". Le résumé de la situation s'imprima directement dans ton cerveau et tu raccrochas dans un bref "J'arrive.". Ton sous-chef te héla, te demandant où tu courrais comme ça.
▬ Pas l'temps d'expliquer, urgence. Prends les commandes.
Il hocha simplement la tête et reprit le travail non sans être un peu inquiet. Tu montas dans ta voiture, il y avait une douzaine de minute entre ici et Jackon Square.. Et vu ton cardio, c'était plus rapide d'y aller en bagnole que de courir et mourir après un mètre. Tu claque-sonnais dès que tu trouvais le temps un poil trop long, parce que x ne démarrait pas rapidement après un feu passer au vert ou x qui prenait tout son temps parce qu'iel savait pas faire un créneau. Tu te garas rapidement et pas forcément très bien à un emplacement libre. Tu rappelas sur le portable de Jenny.
▬ Z'êtes où précisément ?
Tu vis un mec faire des grands signes dans le vide. Bah, ça devait être lui. Tu t'approchas rapidement, voyant Jen à terre et un petit attroupement autour d'elle.
▬ Tain mais barrez vous, elle a b'soin d'air pas de vautours.
Avais-tu gueulé dans un irlandais bien de chez toi. Le petit groupe s'écarta, de peur de se prendre un poing venant de ta part probablement. Tu te baissas à sa hauteur, tes mains saisissant son visage, forçant doucement son visage à se relever vers le tiens.
▬ Jen. Regarde moi. C'est finit. J'suis là. T'es avec moi. Ici. Pas ailleurs.
Si tu étais plus qu'agiter à l'intérieur, tu avais pourtant prononcé ses mots d'une voix posée, douce. Au moins, si c'est son pouvoir qui la faisait déconner, ce que tu soupçonnais, avec ce simple contact en peau à peau, toutes visions liées à son don cesseraient. Ton pouce gauche frottait doucement sa joue humide, ton autre bras venait l'entourer, comme pour la protéger du monde extérieur.
▬ Aller. Fais comme moi. Inspire. Doucement. Et expire. Tout va bien..
- Respirez, Miss. Ça va aller… - Mais appelez le 911 ! - Non, il lui faut de l’eau, qu’on apporte de l’eau ! - Calmez-vous, tout va bien… - La pauvre petite… - Appelez donc le 911 ! - Quelqu’un va arriver ! Gronda l’homme qui avait appelé Samael, me faisant trembler de plus belle. Non, non. Calmez-vous…
De l’air. J’avais besoin d’air et voilà qu’ils m’entouraient tous de leur corps autant que de leurs commentaires, et je n’arrivais plus à faire la part des choses. Ma main était venue attraper mon bracelet alors que les visages de ces inconnus semblaient prendre la forme des assaillants de ma vision. Et si je savais que je ne me trouvais plus dans ma vision, ayant distinctement quitté les lieux ainsi que mon client, je peinais à reprendre tout à fait conscience de ce qui m’entourait. Recroquevillée sur moi-même, la respiration saccadée, courte et presque douloureuse tant je recherchai la moindre once d’air, je sursautai d’autant alors qu’une voix forte avait pris le pas sur les autres, une voix dans une langue que je ne connaissais pas. Une voix que je reconnaissais. Les mains qui entourèrent mon visage me firent de nouveau sursauter, alors que je levai enfin les yeux vers quelque chose ou plutôt vers quelqu’un. Sam. Sans réussir à regagner mon calme, je l’observai, les larmes continuant à couler sur ma joue.
Inspirer… Puis expirer… Doucement. Suivant ses mots, je tentais de reprendre un rythme respiratoire plus régulier, plus normal. Il me fallut bien plus d’une minute pour, enfin, pouvoir réussir à articuler deux mots sans risquer de mourir de suffocation.
- Elle était… Toute petite… Dis-je entre deux sanglots. Ils l’ont… Massacré…. Comme sa mère… Et... Pire... C'était pire...
A peine eussè-je le temps de terminer ma phrase que je me ruai dans les bras du Mawu, comme pour y chercher un refuge. Comme… Non. J’avais besoin d’un refuge, d’un endroit où je me sente en sécurité là où tout ce qui m’entourait me rappelait soudainement que tout le monde pouvait nous tuer de la pire des manières. Et cet endroit, à cet instant… Ce furent les bras de l’homme qui tentait de me calmer. Fermant les yeux, sourcils froncés, ma respiration, enfin, sembla se calmer. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’odeur du Zombie et de sa cigarette m’apaisait.
- J’ai peur…
J’avais à cet instant peur. De tout ce qui pouvait m’entourer, des bruits, des voix, de ce qu’il pouvait advenir. Les images que j’avais pu voir défilaient dans ma tête sans que je ne puisse les arrêter et la boucle infernale ne semblait pas prête à me laisser en paix.
Sanglotant contre lui, je ne sus vraiment combien de temps j’avais mis pour réussir à me calmer, mais enfin, les larmes cessèrent et j’osai relever la tête vers mon « sauveur ». Là, contre lui, ma main enserrant son haut, je fronçai les sourcils, le corps endoloris et l’esprit encore embrumé, comme si je venais de me réveiller d’un cauchemar. Restant immobile quelques instants, je me reculai alors, tombant à la renverse sur le sol.
- Je suis désolée… Dis-je en retenant un hoquet. Je…
Je l’avais appelé. Du moins j’avais demandé que quelqu’un l’appelle. Mon inconscient, ou tout du moins mon instinct de survie, avait demandé à ce qu’on appelle Samael pour venir m’aider. A cet instant précis, un tas d’émotion me traversa. La peur, bien sûr, toujours présente alors que je me trouvai en dehors du sanctuaire que ses bras m’avaient offerts, puis aussi, paradoxalement, un sentiment d’apaisement, de le savoir là, y ajoutant une dose de tristesse et de douleur, en terminant par une gêne affreuse qui me prenait alors. Je l’avais appelé. Et au vu de son apparence, il n’était pas libre. Détaillant son uniforme noir bouton par bouton, je relevai les yeux vers son visage.
- Tu… Tu travaillais ?
Rapidement, comme pour me demande une contenance, je me relevai. Mal m’en fit. La tête se mit à tourner et je dus me résoudre à me rassoir, secouant la tête pour chasser tout ce qu’il y avait à l’intérieur.
- Je… Je vais rentrer. Repris-je précipitamment. Ma voiture… Elle est pas loin et… On doit t’attendre. Déglutissant, je restai assise. Je ne me relèverais qu’une fois qu’il serait parti. Désolée… Zombiboy. Soufflai-je, usant de son surnom comme signe de décontraction. Ce… C’était rien. Je crois que je suis juste un peu fatiguée.
Etais-je capable de rentrer ? Je ne le pensais pas. Je me connaissais mieux que quiconque. Mais cela ne m’empêcherait certainement pas d’essayer. Au pire ? Je me stationnerais dix mètres plus loin. Une autre crise de panique ? Et je me calmerais. Seule. Sans l’aide de personne. Je n’avais jamais eu vraiment besoin d’aide alors… Et puis non. Je ne pouvais pas l’avoir dérangé ! Idiote que j’étais… Me fustigeant, je baissai alors la tête. Tant que personne d’autre ne m’approchait, tout irait bien, après tout…
T'avais aucune putain d'idée de ce qu'il fallait faire alors.. Tu faisais comme tu pouvais. D'habitude tu gérais sans problème les mawus hors contrôle, mais là.. C'était pas qu'une histoire de pouvoir. Parce que même inactif, elle restait tétanisé, tremblant, en plein choc. Tu jetais des regard noir à ceux qui osaient s'approcher de trop prêt. Qu'ils ferment leur gueule et qu'ils se barrent ces connards. Jenny parvenait à articuler difficilement une phrase. Elle avait vu quelque chose d'horrible. Un souvenir avec une enfant. Un massacre. Elle se jette dans tes bras et tu ressens alors toute sa détresse. Tu la gardes contre toi, répétant doucement "C'est finit Jen". Tu enrages à l'intérieur parce que tu ne peux rien faire de plus.
▬ J’ai peur…
Ton étreinte se resserre, ma main caresse doucement son dos.
▬ Tu ne crains rien, personne t'fera du mal, j'te le promets.
Avec temps et patience, la mawu finit par retrouver son calme, plus ou moins. Elle s'excusa, tu secouas doucement la tête. Elle n'avait pas s'excuser. Pas pour ça. Au final, cette situation te rappelait un peu Alana. Les rêves des gens ne sont toujours très beau à voir et pour elle qui avait la sensation de les vivre réellement.. Combien de fois s'était-elle réveiller en hurlant à tes côtés ?
▬ Tu… Tu travaillais ?
▬ Oui. Mais t'en fais pas pour ça.
La blonde voulut se relever, mais prise de tournis, elle resta au sol. Elle déclara alors, qu'elle allait rentrer, seule. Bah voyons. Après ce qu'elle venait de faire ? Tu la regardas dans les yeux, fronçant les sourcils, affichant un air sévère.
▬ Non. C'est hors de questions que j'te laisse rentrer dans c't'état. J'te reconduis et c'est pas une question. T'auras tout le loisir de m'en vouloir, de râler ou tout c'que tu veux pendant l'trajet. Tu poussas un léger soupire, posant un instant ta tête contre le sien. T'vas devoir m'supporter encore un peu, après t'auras la paix, ok..? Tu te souviens où se trouve ta bagnole ? Tu penses être capable de marcher ?
Tu attendais les réponses à ta question. Visiblement, tu allais devoir l'aider à marcher jusqu'à la voiture. En soit ça ne te dérangeait pas, c'est juste que c'était physiquement compliqué.. Mais pas impossible. Tu ne pouvais pas lui offrir ton épaule, bien trop haute à atteindre, alors tu la gardais bien à côté de toi, la maintenant du mieux que tu le pouvais. Arrivé à la voiture, tu lui ouvris la portière et attendit qu'elle soit installée pour refermer la portière. Tu t'installas côté conducteur, faisant les réglages nécessaire pré-conduite. Tu te souvenais encore du chemin qui menait jusque chez elle, donc pas besoin qu'elle te serve de gps.
▬ Tu m'dis si t'as besoin que j'm'arrête à un moment.
Le trajet se passa sans encombre, tu l'avais cependant passé à lui jeter quelques regards inquiets. T'avais peur qu'elle prenne tout sur elle et.. Et en faite, ça aurait été plutôt normal. T'es personne pour qu'elle veuille se confier. Garé au plus prêt de l'immeuble, tu descendis de la voiture rapidement, lui redonnant les clés.
▬ J'te raccompagne jusqu'en haut, après.. Je m'en irais comme convenu.
T'étais pas franchement rassuré de la laisser seule et à deux doigts de lui demander de rester mais.. Tu t'étais déjà imposé alors qu'elle souhaitait rentrer seule, tu ne voulais pas l'embêter plus que nécessaire. Elle avait de calme, de repos, d'être seule.. Ou pas.
Ce fut certainement la douceur et les mots rassurants du Zombie qui vinrent à bout de ma crise, et ainsi, je me calmai. Ou presque. Je sentais que tout était encore là, proche de tout recommencer, mais sa simple présence semblait m’apaiser. Son pouvoir fonctionnait-il aussi sur les sentiments humains ? Mais tous les sentiments de bien être ont une fin, et ce sentiment, là, se termina brusquement, me faisant alors remarquer la tenue de l’homme, ce qu’il me confirma. Prise de remord, je lui indiquai donc que j’allais rentrée. Son froncement de sourcils m’indiqua le contraire. Autant que sa voix, d’ailleurs. Baissant la tête, je retins chaque parole. Tout ce que je dirais était visiblement inutile face à la décision de Sam. Je relevai néanmoins les yeux lorsque je sentis son front contre le mien, sur prise, j’hochai doucement la tête. Le supporter… Était-ce réellement le supporter que d’avoir fait appel à lui de manière presque inconsciente ? Je me refusais de répondre à cette question. Pas encore. Et puis…
- Et toi ? Soufflai-je. Comment t’es venu ?
J’habitai hors de la ville, et il le savait. Alors comment comptait-il repartir ? Y aurait-il des bus ? Avais-je assez de monnaie pour lui payer le bus ? Le tram peut être aussi ? Oui. C’était mieux. Mais cela prendrait plus de temps. Peut-être pourrais-je alors lui prêter ma voiture ? Mais dans ce cas, comment ferais-je pour me rendre à mon emploi ce soir, lorsque je devrais aller à la réunion de rédaction ? Et comment faire pour me la ramener ensuite ? Peut-être pourrais-je, moi prendre le tramway ? Oui. Voilà. C’était une idée. Les questions fusaient dans ma tête. Des questions auxquelles je ne trouvais pas vraiment de réponse, des questions par-dessus lesquelles s’ajoutèrent celles du Mawu. Un instant d’hésitation et j’hochai de nouveau la tête.
- Elle est garée là-haut. Dis-je en montrant la rue adjacente et… Je peux le faire.
Ou pas. A peine essayai-je de me remettre debout que des vertiges me prirent de nouveau. Mais Il était là. Et doucement, me laissant m’accrocher à lui comme je le pouvais, nous avançâmes jusqu’à la voiture. C’est sans un mot que j’entrai à l’intérieur, perdue entre la gêne, le soulagement d’être enfermée dans un endroit qui m’était familier. C’est d’ailleurs pourquoi je n’ouvris les lèvres du trajet. Que dire ? Le remercier ? Bien sûr, mais comment. Peut-être pourrais-je lui offrir un café, au moins. Non. Il devait retourner au restaurant. Et une promesse de sortie ? Après ce que je venais de faire ? Il devait désormais me prendre pour une folle. D’ailleurs peut être était-ce pour cela qu’il ne voulait pas s’attarder. Et je le comprenais. Nous ne nous connaissions qu’à peine et je l’avais appelé pour gérer une crise qu’il n’aurait jamais dû voir. Bien sûr qu’il devait me prendre pour une moins que rien. C’était normal. Je ne répondis pas alors que je reprenais les clés en main. Seule. J’allais être seule. Mais dans un endroit familier après tout. Et pourtant seule. La peur. Voilà ce qui revenait. A mesure que nous montions les marches, une boule se formait de nouveau au creux de ma poitrine. L’idée, soudain, me vint de lui demander de rester mais… Son travail. Je n’avais pas le droit. Il devait aller travailler au risque de perdre une journée de salaire. Et j’étais la première à connaître le prix de l’argent dans ce monde. Mais seule… Ouvrant la porte de l’appartement, je m’avançai dans ce dernier jusqu’au milieu du salon avant de baisser la tête, ma main serrée dans celle du Mawu.
- Ta journée de travail… Dis-je. Elle est payée combien ?
Voilà. Si je désirais qu’il reste, il fallait qu’au moins, je lui paye ses heures non travaillées, il ne perdrait rien. Quoique cela serait moins intéressant pour lui, sûrement. Alors avec quelques intérêts… Voilà qui suffirait.
- Je… Reste. S’il te plait. Dis-je en resserrant d’autant mes doigts. Je vais te rembourser ta journée. Et le fait de t’avoir dérangé aussi. Et ce que tu veux d’autre mais… Les larmes, à nouveau montait alors que je m’obligeai à les refréner. S’il te plait, reste avec moi.
Peut-être était-ce une façon de pensée bien particulière, je pouvais l’accorder, mais c’était là une façon de pensée des plus rationnelles. Personne ne désirerait perdre une journée de salaire pour passer du temps avec une idiote, pas même une amie, qui avait appelé pour gérer une chose des plus désagréables. Et de toutes les manières… Je me retournai contre lui, le visage enfouie dans sa blouse de travail, ma seconde main serrant le tissu entre mes doigts. Je ne voulais pas être seule. Non. Plus. Je ne voulais pas qu’Il parte. Bien sûr ne le retiendrais-je pas, mais si cela était possible, et sans que je ne veuille comprendre pourquoi Il m’était nécessaire à cet instant précis, je désirais que Samael reste avec moi. Levant la tête vers lui, les yeux humides bien que les larmes retenues de force, je l’observai alors, là, tout contre lui, en attente de sa réponse.
Tu la regarde, un peu confus. Qu'est-ce qu'elle voulait dire par là ? C'était une question random pour te faire rester un peu lus longtemps ? Ah non. C'était loin d'être random, y avait bien un but derrière cette question. Elle voulait te payer pour que tu restes. Cette pensée te fit rire intérieurement, d'habitude, c'est toi qui paye pour que celle qui partage ton lit ne parte pas. Elle revenait dans tes bras, contre toi. C'était douloureux. Douloureux, de la voir comme ça. Douloureux de la voir se rapprocher toujours plus et ne pas réussir à la repousser. Douloureux, dangereux. Tes bras se glissèrent autour d'elle.
▬ Dis pas n'importe quoi. J'vais rester, pas b'soin d'me rembourser ou quoique se soit. J'ai pas vraiment b'soin d'argent.
Allait-elle te croire ? Après tout tu vivais dans un taudis.. Mais tu ne mentais pas, ça ne se voit pas avec ton apparence négligé, mais tu croules pourtant bien sous l'argent. Un fric qui dort sur ton compte, tu sais pas vraiment quoi en foutre et tu n'as pas vraiment le besoin ou l'utilité de le dépenser dans des choses extravagantes. Tu fais un pas en arrière, prenant sa main pour la mener au canapé. Tu te mets à genoux, retirant les souliers de Cendrillon. Puis tu viens la rejoindre dans le canapé, après avoir oté tes propres chaussures, ainsi que ta blouse de travail. Ça tient chaud cette connerie avec le tee-shirt en dessous. Tu te cales confortablement avant de tirer doucement Jenny vers toi. Tes bras l'entourent à nouveau et tu restes comme ça un moment, jusqu'à ce que tu la sentes plus calme, plus détendu. Mains dans les mains, tes doigts frottaient doucement le dos de ces dernières.
▬ Tu... Tu veux en parler ? Te forces pas hein. Surtout pas.. Juste.. Si t'veux en causer j'suis là quoi.. Ou on peut parler d'autres trucs.. Ou juste rester comme ça. C'bien aussi.
Tu grognas, à ton encontre.
▬ Désolé, j'suis pas vraiment doué pour réconforter tout ça.. Dis moi juste c'que t'veux.. A part rester, parce que j'suis pas prêt de décoller. Et.. J'vais pas t'mentir, j'préfère vraiment ici. Ça me rassurait pas des masses de t'savoir seule, dans c'état..
Pas besoin d’argent disait-il ? N’était-ce pas ce que tout le monde dirait, de toutes façons ? « Je n’ai pas besoin d’argent, inutile, ne t’embête pas ». Une excuse pour ne pas paraître impoli de demander de l’argent, il allait sans dire et j’en étais convaincue. Pour autant, il allait falloir que je sois plus maline, car si Sam m’avait paru manquer de politesse et de savoir vivre lors de notre première rencontre, la vérité était, visiblement toute autre. Un chèque dans la poche discrètement. Oui. Voilà ce que j’allais faire. Lorsqu’il s’apprêterait à partir et que je serais capable d’écrire plus d’une lettre dans raturer, je lui ferais un chèque discrètement. Cela dit, il n’avait pas répondu à ma question… Combien était payé un cuisinier chef ? Je n’en savais trop rien. Mais si l’on partait d’une base à cinquante mille dollar l’année, ça me faisait arriver à un peu plus de cent trente six dollar la journée. Disons cent quarante. Ajoutons-y les frais d’essence, de dérangement, et tout le reste… Deux cent dollars. Voilà. Je lui donnerais deux cent dollars. Ça devrait suffire, et si jamais ça ne suffisait pas, j’en rajouterais. A cette idée, je grimaçai légèrement. Deux cent dollars étaient une chose que je ne me permettais jamais. Pour cause : je n’étais pas riche, et cela représentait un peu plus de deux jours de salaire pour moi. Mais, cette fois, c’était pour la bonne cause. Alors… Je ne fus ramenée à la réalité que lorsque ma tête se posa près de l’épaule du Mawu. Surprise, j’observai sans bouger autour de moi. Nous étions sur le canapé ? Et j’étais de nouveau contre lui. Quelques instants d’immobilité totale et je me remis enfin à respirer. C’était étrangement confortable, malgré sa maigreur tout du moins. Et je sentais le poids qui avait pris place sur mes épaules s’estomper au fur et à mesure des minutes que nous passions là, tous les deux.
En parler… Un frisson parcouru mon épiderme. Ce genre de frisson d’effroi lorsque l’on repense à un cauchemar. Et je baissai la tête, serrant légèrement plus sa main. Maman dit toujours qu’il faut extérioriser les visions pour qu’elle ne nous tourmente plus. C’était bien une chose que j’avais rarement fait dans ma vie. Je détestais extérioriser. Je n’en voyais pas de réel intérêt autre que de se faire mousser ou plaindre auprès des autres. Or, les autres, je les fuyais plus que tout, alors pourquoi me serais-je amusé à leur raconter ce que je pouvais voir ? Je soufflai néanmoins. Mais cette fois, sûrement ma mère avait elle raison. Les images tournaient encore, et peut être que mettre des mots m’aideraient à oublier, ou, à défaut, à passer à quelque chose d’autre.
- Je… Commençai-je. Je suis allée chez un client. Il voulait que j’aie la preuve que son fils était innocent dans le meurtre de sa femme et de sa fille. Je secouai négativement la tête, fronçant les sourcils. Au début, ça ne m’a pas étonné. Une scène de ménage, un homme violent et complètement ivre, une petite fille perdue. J’avais déjà vu ça. Mais des hommes sont entrés et… Je tremblai de plus belle, laissant quelques larmes s’échapper sur mes joues. Ça a été un massacre ils ont pris la mère pour une… Pour une quoi ? Je n’avais pas de mot pour décrire ce qu’ils lui avaient fait. Et la petite fille… Elle avait mal et… A nouveau je secouai la tête, fronçant les sourcils. Je pouvais rien faire… Rien du tout… Et le père était trop saoul… Il est resté à regarder…
Enfin, je me tue. Je n’avais rien d’autre à dire. Je ne savais pas quoi dire d’autre. Tous les mots que je pourrais trouver ne refléterait pas la violence des actes dont j’avais été témoin dans ma vision. Et maintenant, j’allais même devoir le coucher sur papier, comme pour tous mes rendez-vous. Alors même que je n’arrivais pas à en parler distinctement. Cela dit… Je devais bien avouer que malgré une petite appréhension, cela était, pour le moment, le cadet de mes soucis. Néanmoins, je relevai la tête vers Zombiboy alors qu’il s’excusait ? Mais… Ce n’était pas à lui de s’excuser. Il était là, après tout, alors qu’il n’avait rien demandé, et il était obligé de supporter une crise !
- Merci. Soufflai-je alors. Et… Je veux pas te déranger. Mais… Je suis… Contente que tu sois resté.
C’était peu dire. Je me doutais pertinemment qu’une seconde crise aurait fait son apparition si j’étais restée seule. Le savoir là, être dans ses bras, me rassurait, contre toute attente, presque. Alors… Me redressant quelque peu, je vins déposer un court baiser sur sa joue. Signe plus qu’immense de ma reconnaissance lorsque l’on savait que les contacts physiques et moi… Et malgré notre position tout du moins, cela ne faisait pas franchement bon ménage. Ainsi séparée de lui, je l’observai alors quelque peu. Cela m’étonnait, à vrai dire. De le voir là. Nous n’étions même pas réellement amis, alors pourquoi avait-il décidé de venir m’aider ? Je soupirai. Cette question était idiote. Sam était juste naturellement bon. En tout cas sûrement bien plus que je ne l’étais.
- Sam, je…
Je crois que c’est à cet instant précis que mon cerveau a malencontreusement déconné. Comme si la crise l’avait court circuité. Le brouillard qu’était ce qui me servait encore il y a peu de neurones, sa douceur que je n’avais pas vraiment imaginée jusque-là et notre proximité avait visiblement modifié les quelques connexions qui se faisaient encore au sein même de ma tête. Et en quelques secondes à peine, mes mains avaient entouré sa nuque et mes lèvres s’étaient pressées sur les siennes. La science nous apprend que le besoin de contact et l’attachement en règle générale, se formalise bien plus en acte concret lorsque l’esprit humain est au fond du trou. Si je n’étais pas au fond du trou, et seulement en crise passagère et si je ne comprenais certainement pas tous les tenants et les aboutissants du pourquoi les humains s’attachaient entre eux, je pourrais dire que j’avais agis, là, en réponse à un besoin de contact qui devait exister pour me permettre de me rassurer. Or, il y avait eu contact, et je savais pertinemment que j’aurais dû me tenir au contact précédent. Le pourquoi qui m’avait poussé à faire cela m’était encore inconnu et l’équation qui se formait dans ma tête n’en contenait, visiblement, pas qu’une seule. Peut-être, au fond, voulais-je le faire fuir ? Nous passions « beaucoup » de temps ensemble ou à discuter. Peut-être était-ce là le moyen de retrouver ma vie « d’avant » ? A moins qu’il ne s’agisse d’autre chose ? Mon cerveau était peut-être réellement grillé, peut-être allais-je avoir besoin d’un IRM et finirais-je en légume au fond d’un lit. Qui savait ce qu’une crise pouvait apporter, après tout.
Contre tout attente, Méduse finit par te raconter ce qu'elle avait vu. Tu ne pouvais imaginer à quel point la vision avait été douloureuse à vivre et ressentir. Tu ne connaissais que le résultat, une peine infinie, des larmes, la douleur qui ronge depuis l'intérieur. Personne ne devrait avoir à ressentir tout ça, surtout pas elle. Impuissant face à l'horreur qu'elle avait du traverser, tout ce que tu pouvais faire, c'était la serrer dans tes bras. Être le rocher, son point dans la réalité.
▬ Merci. Et… Je veux pas te déranger. Mais… Je suis… Contente que tu sois resté.
Tu souris vaguement. Tu étais content aussi, même si.. C'était pour une drôle de circonstance. Tu la laissais se mouvoir, ne resserrant ton étreinte que si tu la sentais s'embourber dans ce souvenir atroce. Un baiser sur ta joue. C'était rien.. Juste une façon de te remercier. Ca restait un peu étrange dans le fond, parce qu'elle ne te semblait pas vraiment tactile. Tous ses gestes avaient été causés par quelque chose, par la confusion dans cette cave, par la peur à cause de cette série.. Enfin voilà, au final, tout faisait plus ou moins sens.
▬ Sam, je…
Du moins, tout faisait sens jusqu'à cet instant. Ses lèvres sur les tiennes. Ça, ça n'avait pas de sens. Tout ton esprit, ton coeur, ton cerveau, tous, te gueulaient : NON. Ne fais pas ça. Tu vas le regretter. Tu n'es pas bien pour elle. T'es cassé, brisé, t'es qu'une épave empoisonnée. Elle a pas besoin de ça, surtout pas là. Tu la repousses, elle s'excuse et on parle plus. Pourtant.. Tu refusas des les écouter, c'est ton corps qui répondait. Tu fermas les yeux, te laissant aller. Tes lèvres embrassaient les siennes, répondant avec une certaine ferveur à leur appel. Tes bras se glissèrent autour d'elle, la guidant de façon à ce qu'elle se retrouve au dessus de toi. Tes gestes sont lents et doux, en aucun cas tu ne veux la brusquer ou qu'elle se sente forcé de quoi que se soit. Tes mains restent dans son dos, quelques caresses se font, remontant parfois sur sa nuque pour plonger dans sa crinière blonde. Et puis, tu finis par séparer tes lèvres des siennes, tes saphirs se posent sur elle. Yeux dans les yeux, tu prends alors conscience de la situation. C'est mal. T'as juste l'impression d'avoir profité de la situation, de ce moment de faiblesse, pour combler l'immense vide de ton cœur. Tu laisses ta tête tomber en arrière, ta main venant se plaquer sur tes yeux.
▬ Putain.. J'suis vraiment le dernier des connards. Désolé, c'était vraiment.. Pas une bonne idée. T'es.. Confuse et tout.. Et moi.. J'suis un abruti.
Tu ne retires pas ta main, n'osant pas la regarder. T'as merdé. Et pas qu'un peu. Tu peux te payer toutes les prostitués du monde pour combler ton vide interne, alors pourquoi diable tu t'es jeté sur elle sans réfléchir. Tu veux pas lui faire de mal. Tu ne veux pas non plus avoir mal. Tu sais que ça finira par arriver.. Parce que c'est toujours comme ça que ça se termine.
Très sincèrement, je serais bien incapable d’expliquer ce qu’il me prit à cet instant. Bien sûr avais-je déjà embrassé des hommes, je n’étais pas une sainte, loin de là, mais jamais sans leur demander leur permission auparavant… D’autant que le plus souvent, c’était eux qui m’embrassaient, et pas l’inverse. Mais cette fois, je l’avais fait. Et je refusais de chercher la moindre explication. Parce que j’y avais déjà réfléchis et que toute les supposition que j’avais fait ne me plaisaient pas, mais alors pas du tout. En attendant, chose à laquelle je ne m’attendais que peu, bien que je l’espérasse, pour mon égo personnel tout du moins, il avait répondu au baiser et… Pas qu’un peu, dirons-nous. Au contraire. Et puis je me retrouvai bientôt non plus à côté mais sur lui, une jambe de chaque côté des siennes, une main dans ses cheveux et l’autre venant trouver place sur son torse. Dire que je n’ai pas profité du moment serait un mensonge. Au contact de ses lèvres, j’avais alors oublié chacune de mes peurs, comme si tout avait été aspiré hors de mon corps. Avec ma conscience, d’ailleurs. Mais ça, je préférais ne pas y penser maintenant. Malheureusement, ce moment n’était pas fait pour durer, et nos lèvres se séparèrent, non sans que je ne ressente quelque peu de regrets. Des remords ? A cet instant précis, je n’en avais pas. Non. Ces derniers arrivèrent lorsque le Mawu se bacula en arrière. Là, assise sur ses genoux, une main sur son torse, je l’observai alors parfaitement immobile et silencieuse. Je ne sais pas quoi faire. Dois-je m’écarter et ne plus rien dire. Dois-je partir. Enfin non. C’est chez moi. Dois-je… Dois-je peut-être dire quelque chose ? Pardon peut-être ? Après tout était-ce de ma faute, alors pourquoi s’excusait-il ? Il n’avait rien fait de mal. Au contraire. Il avait fait ce que je voulais qu’il fasse, même si l’admettre ne me faisait pas franchement plaisir. Mais au moins étais-je claire avec ce que je désirais, à défaut de l’être avec le reste. Quoique… J’étais aussi claire pour le reste, la seule différence était que je n’étais pas ravie de comprendre, parce que je ne trouvais pas le pourquoi j’en étais arrivé à cette conclusion. Quelle conclusion ? J’y reviendrais un autre jour, là, tout de suite, mieux valait ne pas penser à ça, au risque de me perdre encore davantage. Non. Là, il fallait que je fasse quelque chose plutôt que de le laisser se fustiger. Ainsi, doucement, j’attrapais la main qui lui bloquait la vue et l’obligeait de ma seconde main, posée derrière sa nuque, à se redresser pour me faire face. Un instant de silence, encore, et je fronçai les sourcils en l’observant. Non. Ne pas froncer les sourcils, il allait penser que j’étais en colère… Alors je soupirai. Non plus. Il allait penser que j’étais déçue. Me mordant la lèvre, je secouai la tête. Je détestais les relations humaines. Elles étaient beaucoup trop compliquées pour moi. Mais maintenant que j’avais provoqué tout ça, je ne pouvais décemment plus partir sans rien dire. D'autant que nous étions actuellement dans mon salon.
- C’est moi. Finis-je par dire. T’es pas un abruti. Un Zombie si tu veux, mais t’es pas un abruti ou un connard ou je sais pas quoi. T’es…
Qu’est ce qu’il était exactement, d’ailleurs ? Mis à part un Zombie, j’entendais. Enfin, je pouvais imaginer comment moi je le voyais, mais lui. Que pensait-il ? Il me prenait peut-être pour une sale perverse qui venait de profiter de lui alors qu’il n’était là que pour m’aider. Ou… Peut-être qu’il me voyait comme une gamine désespérée et perverse ? A moins que ça ne soit comme juste une gamine sans intérêt. Bien que cela ne coïncide pas vraiment avec ses paroles, je savais aussi que les gens ne disaient que rarement ce qu’ils pensaient alors…
- J’avais juste… Envie.
Au moins l’avouais-je. Enfin, venant de moi, ce n’était pas étonnant, j’avais toujours été franche, même lorsqu’il ne le fallait pas. Et puis… De toutes les manières j’avais déjà agi, alors à part assumer, je n’avais pas non plus trente-six mille solutions. Ma main, doucement, se posa sur sa joue alors que je plongeai mes yeux verts dans les siens.
- J’en ai envie. Soufflai-je. Et c’est pas parce que ça va pas.
Peut-être que ça avait joué dans le court-circuit de mon cerveau pour lui dire tout ça, cela dit, mais n’allons pas jusqu’à être franche à ce point. D’autant que c’était là anecdotique, non ? Baissant les yeux, plus par gêne qu’autre chose, je fronçai malgré moi doucement les sourcils.
- C’est juste que…
Que quoi ? Y avait aucune explication à donner. Enfin si, peut être allait-il en vouloir une. Parce qu’il était clair que « j’en ai envie », autrement dit « je me retiens de recommencer, mais je suis trop timide pour alors s’te plait fait le pour moi », outre le fait qu’il n’allait certainement pas le comprendre comme ça, pas parce que c’était un homme mais parce qu’il avait un cerveau normalement constitué, ce n’était pas franchement très normal.
- Je suis désolée. Dis-je enfin. J’aurais pas dû mais si je l’ai fait c’est que j’ai une bonne raison. Enfin je fais jamais rien sans raison. Et je veux pas que tu crois que j’ai profité de toi parce que c’est vraiment pas le cas. C’est juste que…
Que je ne finirais jamais cette satané phrase. Et ce pour une raison que je connaissais pertinemment. Si je ne comprenais pas l’attachement humain, estimant que toute personne étant mortelle, cela n’était qu’une perte de temps, d’énergie et de bonheur, je ne pouvais me cacher que je m’étais, malgré moi, attachée à l’homme. Ce qui expliquait donc qu’inconsciemment, j’avais demandé à ce qu’on l’appelle, lui et personne d’autre. Or, qui disait attachement, disait peur du rejet, c’était purement scientifique, une émotion humaine expliquée et réexpliquée par bon nombre de scientifiques, psychiatres et autres médecins. Et j’étais en plein dans cette phase-là. D’ailleurs, à cet instant précis, je me mis à haïr plus que tout le cerveau qui trônait dans mon crâne. Un cerveau qui ne cessait de réfléchir à tout et à rien sans que je ne puisse l’arrêter, sans que je ne puisse même le freiner, m’obligeant à imaginer les tenants et les aboutissants de chaque chose. Au moins, bien sûr, cela me tenait-il éloigné de la panique qui m’avait prise plus tôt et qui guettait la moindre porte d’entrée, le moindre bruit pour revenir de plus belle, au moins me sentais-je plus calme, à défait d’être apaisée, impossible, de toutes façons, de l’être après ce que j’avais fait. Mais là, à ce moment, j’aurais simplement voulu être comme toutes ces filles dans les films qui savaient exactement quoi faire et quoi dire, et pas la potiche qui restait plantée à espérer que ça recommence sans oser le demander.
- C’est juste que je suis bien avec toi et…
Je fronçai les sourcils. La peur du rejet avais-je dit. Je n’arriverais pas à le dire, imaginant beaucoup trop la façon dont il pouvait me voir à cet instant.
Tu attends. De toute façon, avec Jen sur les jambes, tu peux pas vraiment bouger.. Donc. Tu attends bien gentiment qu'elle vienne te donner le coup de grâce. Une blessure ou de moins, ça se voit plus ça ce stade, si ? Elle va te dire qu'effectivement t'es qu'un connard de profiteur. Tu vas sortir de sa vie, elle de la tienne. Chacun chez soit, toi avec ta drogue, elle avec sa tranquillité, comme elle l'avait voulu depuis le début. Dis, t'as pas l'impression d'écarter tous les bons moments ? Peut-être, peut-être. Mais allez dire à un pessimiste de voir les choses du bon côté. Ses mains viennent déloger la tienne et redresser son visage. T'as pas franchement envie de la regarder dans les yeux, mais tu lui dois bien ça, non ?
▬ C’est moi. T’es pas un abruti. Un Zombie si tu veux, mais t’es pas un abruti ou un connard ou je sais pas quoi. T’es…
Oh. C'est quoi ça ? Elle cherche à t'épargner ? Tu fais donc si pitié que ça à voir ? Non parce que.. T'es en tord là. Du moins, c'est ce que tu persuades de penser.
▬ J’avais juste… Envie.
Wait, what ? Non mais t'avais du rêver, elle n'avait pas pu dire ça, c'était.. Bizarre. Impossible. Quoique.. Quand t'y repense.. La dernière fois qu'elle t'a embrassé, ce n'était pas tout a fait sur la joue, ni totalement sur la bouche. Faut croire que t'étais trop ko pour réagir quand ça s'est produit. Ce que tu ne voulais surtout pas, était arrivé sans que tu ne vois rien ? Non mais.. Elle avait peut-être pas fait exprès la dernière fois et là.. Elle sait pas ce qu'elle dit, elle est encore sous le choc.Oui, voilà, c'est ça. Mais et toi dans tout ça. Comment tu te sens ? A part bloqué et visiblement confus ? Déchiré. Comme toujours, mais c'est pas la même sensation que d'habitude. Là, t'es le cul entre deux chaises, entre ton envie de rester auprès d'elle et te barrer avant..
▬ C’est juste que je suis bien avec toi et…
Avant ça. Les mots qui te retiennent encore un peu ici, qui t'empêche de la jeter, qui te font à la fois tant de bien et tant de mal. T'as encore le temps de dire non, de lui dire à quel point t'es une merde, de la prévenir, de partir. T'as vraiment le temps de faire tout ça. Y a rien qui te presse, hormis ta détresse interne. Dans tous les cas, tu retourneras pas au taff parce que.. T'auras juste envie d'aller te descendre une bouteille après l'avoir éconduit de la façon la plus naze du monde.
▬ Jen, je.. C'est..
Les mots ne sortent pas, ils restent coincés dans ta gorge. Pourquoi c'est sir dur ? D'habitude, tu t'en fous. Peut-être parce que tu l'apprécies, que tu t'es attaché malgré toi. Tu repenses à cette soirée sur le bateau, à ce texto que tu lui as envoyé.. Si tu ne l'avais pas fait, t'en serais pas là. Tu restes figé comme ça, quelques secondes, longues secondes.. Tes mains retrouvent se glissent dans son dos. Non. Elles pressent, ton torse se retrouvant maintenant tout contre son buste. Non. Elles s'agrippent et ton visage.. Non. Il se rapproche du sien. Non putain. Ton nez frôle le sien et puis tes lèvres finissent par retrouver le chemin qui mène à ses lèvres. No-Trop tard. Tu l'embrasses, doucement puis langoureusement, toujours, toujours plus. Tes mains glissent le long de sa taille. Le tissu est si fin, pourtant il te semble de trop en cet instant. Lentement, elles se dirigeaient sur les cuisses de la Mawu, les caressant du bout des doigts, sans jamais aller trop loin. Tu écartas ton visage du sien, plongeant tes yeux dans les siens. Jusqu'où avais-tu le droit d'aller ? Jusqu'où voulait-elle aller comme ça ?
Le silence. C’était peut-être ce qu’il y avait de plus marquant, à vrai dire. Le silence qui pesait alors que je lui disais, j’essayais de lui dire, ce que je pensais, ressentais et tout le tralala. Et pire, plus je parlais, plus c’était difficile car plus le silence s’installait de son côté, plus je devenais persuadée que je faisais une énorme erreur. Enfin… Pas une erreur à proprement parlé, plutôt… Un égarement qui allait me faire particulièrement mal à l’égo car bien que peu surdéveloppé, il n’en restait pas moins présent. Et peut-être, par ailleurs, aurais-je « légèrement » mal au cœur. Mais juste un peu, bien sûr. Et enfin, il ouvrit la bouche. Et pour prononcer mon prénom. Bonne ou mauvaise nouvelle ? A vrai dire, et si je m’en fiais au films… C’était une très mauvaise nouvelle. En général ça suivait les mots « entre nous, ça va pas être possible ». Mais d’ailleurs… Pensait-il au moins à un « nous » ? Ne pensait-il pas alors, que j’étais juste en train de le vouloir là maintenant ? Peut-être… Peut-être était-il en train de penser que ce n’était qu’un coup de folie. Après tout ne savait-il rien de moi. Il ne pouvait pas savoir que jamais je n’avais fait de « coup de folie », que je n’étais même pas une habituée de ce genre de chose, que j’avais eu sûrement moins de copain que la Vierge Marie elle-même et que jamais je ne pourrais accepter de telle chose ne serait-ce que parce que ce n’était pas moi. Peut-être faudrait-il que je lui dise les choses ? Mais non. De toutes les façons ça allait mal finir, comme dans les films. Alors pourquoi est-ce que je sentais ses mains dans mon dos ? Et pourquoi est-ce qu’il m’attirait à lui ? Et pourquoi est-ce que son visage était si proche, là ? Et pourquoi… Je n’eus pas franchement le temps de plus réfléchir que ça que ses lèvres se pressèrent de nouveau contre les miennes. Instantanément, mes bras s’enroulèrent autour de son cou et je me pressai davantage contre lui. Ses doigts provoquaient un paradoxe dans mon corps même, un mélange de frisson et de chaleur intense qui se dégageait en même temps. Est-ce qu’il avait envie de… Non… Si ? Mes joues s’empourprèrent tandis que le baiser se faisait plus langoureux encore, ses mains se dirigeant vers mes cuisses dénuées de tissu. Doucement, mes doigts se refermèrent sur le t-shirt de l’homme. Et moi ? Est-ce que j’avais envie de plus ?... Il fallut bien trop peu de temps pour que nous nous séparions, les yeux dans les yeux je l’observai sans un mot, les joues rouges et le regard perdu. Et maintenant ? Qu’est-ce qu’on devait faire ? Je devais peut-être dire quelque chose ? Ou recommencer ? Mais si on recommençait, jusqu’où est-ce que ça allait aller ? Est-ce que ça pouvait aller plus loin ? J’avais senti ses mains, je savais que ça pouvait, mais est-ce que je le voulais ? C’était là une question bien difficile. Ou pas tant que ça. Le problème, c’est que je ne savais pas vraiment ni comment, ni jusqu’où, ni rien en fait. Et à vingt-sept ans… On accordera que c’était tout de même un « léger » souci. D’autant qu’un souci… J’en avais un autre, actuellement. Un, sur lequel il allait falloir que je mette des mots. Mes bras toujours enroulés autour de son cou, la respiration courte, je me mordis alors la lèvre inférieure. Parler. C’était le moment.
- Nous deux, on…
Nous. C’était là mon principal souci. Est-ce qu’il y avait un nous ou est-ce que c’était juste une réponse à ce que j’avais fait, sur le coup, sans rien derrière. Bien sûr, cela attaquerait certainement moins mon égo que s’il m’avait immédiatement rejeté, mais, est-ce qu’il valait mieux être vu comme une fille que l’on peut jeter après, ou être vu comme celle que l’on ne veut pas toucher ? Non. Il fallait que je sache pour pouvoir… Je ne savais pas trop pourquoi, mais il fallait que je sache, que je me rassure. Parce que j’avais déjà failli à ma première règle : ne pas s’attacher à ce qui était mortel. C’est d’ailleurs pour cela que j’avais acheté une petite majorité de plantes en plastique et que je n’avais pas d’animal. Et de ce fait, acceptant que j’avais failli à ma règle principale, je prenais conscience que j’allais avoir mal. Un mal que j’aurais très bien pu m’éviter. Mais que je n’avais pas vraiment vu venir. Surtout pas avec lui. Je tentais, d’ailleurs, rapidement, de me remémorer les premiers émois ressentis. Le bateau. C’était là que tout avait commencé. A moins que sa façon de me répondre du tac au tac, ce qui n’arrivait que rarement n’ait joué dès le début. Mmh. Non. Nul doute que je ne le supportais pas à ce moment, en fin de compte. Enfin. En attendant, ce n’était pas vraiment ce qui comptait. Il fallait que je sache. Cela devenait impératif et le silence qui s’était installé n’aidait certainement pas à prendre parole.
- Je veux être avec toi.
Non ! Non, je devais pas dire quelque chose comme ça. Ce n’est pas comme ça qu’ils faisaient dans les films. Réfléchissant intensément, je secouai la tête. Il fallait recommencer, une chose plus discrète, plus… Féminine ?
- Tu me plais et…
Et ce n’était absolument pas mieux. Pourquoi diable est-ce que je préférais les films d’horreur aux films à l’eau de rose ? J’aurais dû mieux les étudier ! Enfin en soit, je n’avais pas le pouvoir de voir l’avenir, mais plutôt celui de me concentrer sur le passé, alors pour ma défense, je n’allais pas réellement pouvoir imaginer qu’une situation comme celle-ci allait se produire. Bon. Il n’y avait plus qu’une seule chose à faire. Faire confiance à mon cerveau qui hurlait pour qu’on le laisse enfin parler à sa guise. Et ce même si je savais que, comme d’habitude, cela n’allait pas forcément paraître « normal » pour celui qui me faisait face.
- Je sais pas comment c’est arrivé, mais j’ai encore envie de t’embrasser. Sauf que j’ai pas envie d’être une fille que tu jettes comme tous les mecs font avec les autres filles, après avoir fait ce que deux adultes peuvent faire ensemble. Je suis pas ce genre de fille là. Je veux pas de ces choses-là, ça me ressemble pas. Bon. Tu me diras, ça me ressemble pas beaucoup non plus de faire ça, mais mon cerveau répond pas toujours quand il a une idée en tête, et mon cœur non plus visiblement d’ailleurs. Mais enfin, ce que je veux dire c’est que quand je suis avec toi, j’ai plus peur, je pense plus à ce qu’il pourrait arriver et à mes visions. Et c’est pas à cause de ton pouvoir ! Non, c’est juste toi. Et je sais que tu vas me prendre pour une folle. De toutes façons tout le monde me prend pour une folle qui ne sait ni s’exprimer ni comprendre les autres. Et je sais bien que c’est vrai hein, mais j’ai envie que tu restes avec moi. Sauf que j’ai pas envie de te décevoir non plus. Je suis pas normale. J’ai jamais vraiment eu de copain, enfin si, mais j’ai jamais… Enfin fais des choses normales avec je veux dire. Mais je veux continuer. Enfin faire. Enfin être avec toi. Mais j’ai besoin que tu me dises clairement les choses parce que si c’est pas clair je vais pas comprendre, j’ai du mal avec les émotions humaines, et c’est pour ça que je suis pas trop mauvaise dans mon boulot, je suis objective, tout le temps. Sauf aujourd’hui. Mais s’il te plait… Je repris enfin mon souffle. Reste…
Une tirade longue, très longue, pendant laquelle j’avais à peine respirer. Et c’était bien le problème avec mon cerveau. Je n’avais jamais su comment dire les choses, et lorsque je les disais, je sortais tout, j’expliquais tout, mal, mais j’expliquais, même ce qu’il ne fallait pas – en témoignait mon passage sur mes rares petits copains – et d’ailleurs je parlais de petits copains alors que je ne savais rien de ce qu’il voulait, que je ne comprenais même pas ce qu’il voulait et que la boule dans l’estomac commençait à revenir, mais cette fois, pas pour les mêmes raisons. Non. Une raison toute autre : j’avais peur de ce qu’il allait dire, et même s’il fallait en passer par là. J’avais une peur bleue de ce qu’il pouvait dire. C’est d’ailleurs pour ça que je vins me rasseoir à côté de lui. S’il voulait fuir, il le pouvait. Je savais que j’avais un problème dans ce genre de chose, et mon discours avait du le lui prouver alors… Je ne pouvais que comprendre sa fuite si celle-ci arrivait. Ne restait qu’à espérer que cela n’arriverait pas. Ou qu’il le ferait avec un peu plus de tact. Enfin quelque chose du genre puisque je m’étais condamnée à souffrir par la seule idée de l’affection que je lui portais. Alors que ce soit aujourd’hui ou plus tard… Je ne me faisais même pas réellement d’illusion. Ainsi, sans oser le regard, les yeux fixés sur ma table basse alors que ma main avait pris la sienne durant mon petit discours, comme instinctivement, et ne voulait, visiblement pas la lâcher, je restai silencieuse, comme attendant la sentence que le juge allait bientôt donner. Et pour une fois, la prisonnière que j’étais souhaitais prendre plusieurs années plutôt que d’être acquittée.
Nous. Ce mot te donne le vertige et ton cœur s'arrête l'espace d'une instant. Nous ? Y avait-il vraiment un Nous dans tout ça ? Tu n'y avais simplement pas songé jusque là, tu entretiens tout un tas de relations, des relations où il n'y à pas de nous et jusque là ça te convenait très bien. Mais Jen.. Jen c'est pas pareil. Tu t'accroches à ses yeux et elle a l'air aussi perdu que toi. Tu sentais bien, qu'il y avait quelque chose de spécial. Quand t'es avec elle, tes addictions ne sont plus qu'une ombre derrière toi. La drogue, l'alcool, le sexe, la solitude, la peine, toutes ces choses qui font que tu t'es cassé un peu plus au fil du temps, mais qui te tiennent encore en vie. Drôle de paradoxe quand on y pense.
Je veux être avec toi, tu me plais. Ça devrait être des mots plaisants, mais toi.. Toi, ils t'effraient. Dans ta gorge se forme un nœud qui sera difficile de dénouer. Il se passe beaucoup trop de choses en si peu de temps dans ton cerveau aux neurones cramés. Tout ce que tu sais, c'est que t'es paumé, effrayé, que ton cœur bat putain de fort et que t'as juste envie de te shooter pour ne pas ressentir tout ça. Plus elle te parle, plus elle s'ouvre et plus t'as envie de t'enfuir. De trouver une machine à remonter le temps, une effaceur de mémoire, trouver un mawu qui pourrait t'ôter de son esprit. Ne pas vivre ce moment, ni ceux d'avant, bons, mauvais. T'es qu'un lâche mort de peur, c'est pas nouveau. Ta mâchoire se serre, tout comme ta main dans la sienne. Tu pouvais lui claquer comme ça, que t'allais te tirer et faire en sorte que vous vous voyez plus. Encore moins après tout ce qu'elle venait de te dire et l'effort qu'elle avait du déployer pour parler. C'était facile pour personne, ça l'était encore moins pour Jen. Pourquoi, sur tous les connards peuplant la Nouvelle-Orléans, pourquoi avait-elle croisé le déchet ambulant que tu étais. Et pourquoi diable l'avait tu fais entrer dans ta vie ? Tu pourrais continuer de te poser ses questions éternellement, mais tu n'avais pas tout ce temps. Et surement encore moins une fois que tu auras quitter son appartement.
▬ Reste...
Oh non, tu veux pas ça. Sourire triste en coin, ta tête s'est baissée depuis un moment entre la peur et la honte que tu ressentais. Tu retires ta main, tu n'es pas digne d'avoir ne serait-ce qu'un contact physique avec elle. Ce simple geste, elle allait sans doute deviner que ce que tu allais lui dire n'annonçait rien de bon.
▬ T'es vraiment quelqu'un de bien Jen.. Ta sensibilité, ta façon de prendre soin d'moi, ton empathie envers moi, quand tu t'excuses d'pas être normal alors que je m'en cogne.. J'crois.. J'crois que j'aime bien tout ça.. Un peu trop même. Ce que j'veux dire, c'que.. J'mérite pas tout ça et toi.. Toi tu mérites mieux que moi. Tu souris doucement, mais tes yeux restent profondément triste. Une.. Amie, me compare à un chat errant. Le genre de chat qui survit très mal et qui fait n'importe quoi pour s'accrocher à la vie, quitte à ce que ça l'blesse. T'vois l'genre ? Ton regard se tourne vers elle. Tu m'connais pas vraiment, l'inverse est vrai aussi mais.. J'sais ce que j'suis. J'suis désolé.. Enfin, j'pourrais m'excuser autant que j'veux, ça changera probablement rien.
Tu te lèves, tu sais ce qui te reste à faire. Partir. T'as plus rien à faire ici. Tu ne te serviras pas d'elle, tu ne la contamineras pas avec ce nuage de poison qui t'entourent. Les reviennent, enserrent ton cœur si fragile, tu l'entends se craqueler un peu, encore un peu plus. Tu te sens désolé pour elle, t'aurais vraiment préféré qu'elle continue de te détester depuis le premier jour de votre rencontre.
▬ J'ai peur et.. J'suis tout sauf courageux. Mieux vaut que je m'en aille maintenant.. Avant de faire encore plus de dégâts dans ta vie.
Tu récupères ta veste, renfile tes chaussures. Tu marches, tes pieds traînent sur le sol, le zombie repart comme il est arrivé dans sa vie.
Pourquoi est-ce que je m’étais cru dans un film ? C’était bien la dernière chose que j’aurais dû faire. Imaginer que tout était bien qui allait bien finir, comme dans tous ces films. Et c’est d’ailleurs à ce moment là que je comprenais pourquoi je n’aimais pas plus que ça les films à l’eau de rose : ce n’était pas la vie. Et je le savais. Ce n’était qu’une version plus que romancée de ce que pourrait être la vie s’il n’y avait pas tous les problèmes qui nous entouraient. Une vision édulcorée de tout ce qu’on pouvait subir avant de tomber sur LA personne. Et d’ailleurs parlons en de LA personne, une fausse image, un mensonge que nous donnait à croire les médias, le cinéma et tous les contes pour enfant. Une chose que je savais pourtant fausse car même si nous trouvions LA personne, outre le fait que nous ne pouvions jamais être sûr que derrière cette dernière se cache un alcoolique, un homme violent ou simplement un idiot, rien ne nous disait non plus qu’on passerait plus d’une journée avec lui, après tout nous allions tous mourir, alors pourquoi chercher un mirage pour seulement quelques secondes d’un soi-disant bonheur qui ne serait jamais assez suffisant pour effacer la peine ressentie à la disparition du rêve. Le moment où il retira sa main marqua la fin de mon « rêve ». Un rêve qui n’en était visiblement pas un. Pas un cauchemar non plus. Juste… La réalité, en fin de compte. Sans un mot, je l’écoutai alors. Pourquoi faire des compliments lorsque c’était une chose aussi simple que ça ? « Non je ne veux pas de toi. Au revoir ». Rien d’autre, je n’attendais rien d’autre, et je ne voulais, d’ailleurs rien d’autre. C’était comme passer une pommade sur une plaie à vif : inutile et douloureux. D’autant qu’il ne s’arrêtait pas là. Pourquoi me dire qu’il aimait tout ça un peu trop ? Qu’est-ce que ça signifiait ? « C’est pas toi, c’est moi ? » Je détestais ce genre d’excuse. Une façon de se dédouaner, en fin de compte. Et pourtant, alors que, sûrement, il ne voyait pas à mal. Je ne le voyais pas voir à mal. Il m’en faisait d’autant plus qu’il parlait. Je n’étais pas vexée. Ou seulement si peu. Je ne voyais pas pourquoi je devais l’être, à vrai dire. Mais j’étais soudain triste. Et si la peur de ma dernière vision c’était tout à fait estompée grâce à tout ce remue-ménage, une profonde tristesse s’était soudain emparée de moi, contre ma volonté. Et pourtant, je restai droite, l’observant, sans, malgré moi, réussir à masquer la peine que je pouvais ressentir. Il se levait. Ça allait être bientôt fini. Au moins. Ou presque. Certaines choses me dérangeaient, et jamais je n’allais être capable de ne pas les relever. Pas que je ne le pouvais pas, quoique, mais je ne le voulais pas. Après tout était-il en droit de savoir ce que je pensais. « Désolé ». Fin de l’histoire ? Peut-être, mais pas comme ça.
Me levant à mon tour, je l’observai avancer vers la porte. Un homme à moitié mort, voilà ce qu’il me semblait voir.
- T’es courageux. Dis-je alors. T’es l’un des hommes les plus courageux que j’ai vu. Sans le quitter des yeux, j’attendis seulement qu’il se retourne vers moi pour continuer. Je te connais pas vraiment, c’est vrai. Je sais rien de ta vie, en fin de compte. Je sais où tu habites, je connais ton travail, qui tu étais avant, ce que tu as fait aussi, je sais que tu fumes beaucoup trop de Chesterfield, que tu aimes pas les mondanités mais que t’es apprécié par beaucoup de monde. Que t’es excellent dans ce que tu fais, mais que t’es modeste et perfectionniste. Je sais qu’on peut compter sur toi, dans n’importe quelle situation, que tu donnes beaucoup plus qu’on te donne à toi. Que tu comprends quand on te parle, mais que tu parles pas beaucoup en contrepartie. Je sais aussi que tu trembles un peu, même si je comprend pas pourquoi, et que quand quelque chose ne va pas, tu joues avec tes alliances que, d'ailleurs, tu détestes qu'on touche plus que beaucoup de chose, ou tu te frottes le nez. Et puis… je sais que t’as besoin d’une ancre et que tu l’as pas trouvé.
Observatrice ? C’était peut-être ma principale qualité. J’observais toujours bien plus que je parlais, notant tous les infimes petits détails comme le nom d’un paquet de cigarette, un tic, une petite manie, une façon d’être… Tout ce que les autres ne voyaient pas forcément, ou seulement à force de temps. Mais c’était aussi mon plus grand désavantage, car mon entourage finissait souvent pas me prendre pour ce que je n’étais pas vraiment : une folle.
- Alors je sais peut-être pas grand-chose de ta vie, mais je pense que je te connais un peu quand même, au fond. Et même si c’était pas le cas, je ne fais jamais les choses sans être sûre de moi, parce que je ne sais pas faire autrement.
Et surtout parce que l’inconnu me faisait affreusement peur. L’avenir, ne pas savoir ce qu’il allait se passer, tout cela m’effrayait plus que de raison, alors jamais je ne me jetai d’un pont sans avoir vérifier au moins cinquante fois les attaches auparavant. Et même si, aujourd’hui, je n’avais pas pu vérifier ce que lui ressentais, du moins jusqu’à cet instant, je m’étais malgré tout assuré de ce que moi je pouvais ressentir. Et sûrement beaucoup plus que cinquante fois, d’ailleurs.
- Et t’as pas fait de dégât. Je me suis sentie moins dans mon monde avec toi, un peu plus comprise, à défaut d’être comme tout le monde. Alors tu peux partir, je vais pas te retenir. Mais arrête de dire que tu n’es pas courageux ou que tu as fait des dégâts. Je soupirai doucement. Et puis… Les chats errants ne sont pas forcément toujours seuls. Beaucoup finissent par trouver des compagnons de route pour arrêter de ne faire que survivre et plutôt vivre, à la place. Accompagné. Et plus heureux.
Je ne disais pas là que je pouvais l’accompagner ou le rendre heureux, d’ailleurs cela ne me venait même pas à l’idée. Seulement… J’avais vu une émission il y a peu sur les regroupements de chats errants qui se serraient les coudes, ou du moins les pattes, pour mieux chasser, se nourrir, dormir ou je ne savais plus quoi. Alors s’il en était un, il pouvait aussi le faire, après tout.
- Je serais là. Si tu as besoin de quelque chose.
En soit, je ne savais pas ce que je pouvais lui apporter. Il m’avait donné bien plus que l’inverse, depuis le début. Et je m’en voulais un peu, pour cela, peut-être, d’ailleurs, pensait-il que je me servais de lui, et que ça avait joué dans la balance. Enfin. Y avait-il au moins eu une balance ? Je n’allais pas y réfléchir. Je ne savais pas ce qu’il s’était passé dans sa tête quand je lui avais dit tout et n’importe quoi, alors autant ne pas imaginer ce même n’importe quoi, après tout.
- Je serais là, tout court. En fait.
Vrai, puisque je n’allais pas déménager. C'était donc plus logique que "s'il en avait besoin".