Béatrice. Ma Béatrice. (Bébé, pour les intimes). Elle m’a donné la vie éternelle mais, non messieurs-dames, vous ne me verrez pas vanter les maigres qualités de cette mégère. Oui, je confirme : elle et moi, s’était sérieux. On était un couple, ça a duré… Calcul sur ses doigts. 42 ans, 7 mois, 2 jours et quatre heures. 42 ans, ouais, d’un savant mélange d’amour et de haine (surtout d’amour, s’il faut être sincère). Mais c’est fini tout ça, on a tourné la page depuis longtemps; parfois, elle l’oubli et s’invite chez moi comme si elle était encore chez elle, elle fouille dans mon frigo, vole mes bières, puis elle me sort son « sans moi tu serais à l’hospice ».

Béatrice a l’apparence d’une jeune fille de 18 ans. Et non, elle n’a jamais voulu m’avouer son âge véritable. Mentalement, je lui donne 19 ans. Je l’ai rencontrée lors d’une fête étudiante (elle n’étudiait pas mais squattait les fêtes) et j’en ai aussitôt été subjuguée. À ma défense, j’étais jeune et naïf et elle avait de jolies formes. Elle aurait pu sortir avec n’importe quel gars du dernier cycle, mais comme j’avais (et j’ai toujours) un charme fou, elle a tout de suite été attiré par moi. Quelques rendez-vous nocturnes plus tard, Béatrice plantait ses crocs à mon cou. Un cadeau, bien sûr; mais c’est peut-être un cadeau empoisonné d’avoir pour l’éternité un visage de gamin. J’veux dire, elle aurait pu attendre que le poil me pousse au menton avant de me changer en créature de la nuit. Enfin, j’vais pas me plaindre, au moins elle m’a pas tué cette nuit-là (l’un de ses plus grands regrets, dit-elle parfois pour m’agacer).  C’est elle qui m’a tout appris du monde surnaturel et de la vie vampirique; du moins, ce qu’elle en savait, c’est pas une lumière ma Béatrice.

Je l’ai beaucoup aimé. Je dirais même qu’elle a été l’amour de ma vie. …Puis l’amour s’est asséché et a été remplacé par d’autres sentiments. Aujourd’hui, on aime s’envoyer des insultes comme un vieux couple aigri.

Mes parents, Paul et Viviane, m’ont offert une enfance agréable et heureuse. J’aimais beaucoup mon père; un homme manuel, travaillant et compétent. Un homme de peu de mots, alors quand il parlait il fallait écouter. Il était mécanicien et possédait son propre atelier de réparation de mécanique automobile. Dès que j’ai eu l’âge de tenir des outils, j’ai été son assistant. La fin de semaine, il nous emmenait voir des courses automobiles. Il m’a appris à conduire à l’âge de 13 ans. Clairement, ma passion pour les voitures me vient de me père.

J’aurais voulu les transformer, ma mère, mon père, ma petite sœur Helena quand elle aurait suffisamment vieillit. Vous savez comme le temps passe vite? Pendant que j’apprenais à composer avec les nouveaux aspects de ma vie vampirique, que je vivais quelques aventures avec ma créatrice et que, bien franchement, j’essayais de ne pas manger tout ce qui se déplaçait sur deux pattes, le temps a défilé. Mon père, si jeune, est mort subitement d’un anévrisme. Ma mère refusait la vie éternelle, car cela signifiait une longue vie à pleurer son meilleur ami. Ma sœur était enceinte de son 1er enfant (elle en a eu 2 autres par la suite, aujourd’hui j’ai plein de petits neveux et de petites nièces, l’horreur!). Et moi qui croyais alors que le temps m’appartenait, c’était une belle erreur.

Mes parents seraient-il fier de ce que je suis aujourd’hui? Bah… C’est-à-dire… J’ai un bon emploi et j’suis pas psychopathe, j’imagine que c’est tout ce que des parents peuvent espérer pour leur enfant.

Parlant de travail, j’adore le mien. J’sais, ça peut paraître bizarre. Qui voudrait nettoyer des résidus de cervelles éparpillés sur le mur? Qui voudrait être de temps à autre complice de la mafia en faisant disparaître des corps? Moi, mes deux collègues (de leur prénom Emilio et Arthur) et ma patronne (la jolie et sévère Clara), apparemment, dans une entreprise de nettoyage privé lambda.

Avant tout, je tiens à préciser que je n’aurais jamais obtenu cet emploi sans mon bon ami Devon. Lui, c’est mon faussaire. C’est lui aussi qui a fourni les faux papiers à mon collègue Emilio, un cubain illégal. Après une trentaine d’années à travailler à gauche et à droite dans divers garages et à mon propre compte, je lui ai dit « j’ai besoin de changer d’air » et le lendemain je commençais ma première journée en tant que nettoyeur de scènes de crime. J’aime le côté atypique de ce travail. Évidemment, le sang ne m’effraie pas; à la limite cela me donne un peu faim. Par contre, après une dizaine d’années, on devient un peu insensible. Pour en revenir à mon faussaire, grâce à lui j’ai des pièces d’identité tout à fait valide qui indiquent que, oui, « j’ai 21 ans ». Le dernier qui m’a dit « T’as l’air d’avoir 12 ans! Toi, 21?? Mon cul! Et moi j’en ai 80! Sort de mon commerce! », je lui ai fait avaler ses dents.

J’ai toujours habité à la nouvelle-Orléans, je suis même né ici. J’aime l’atmosphère de cette ville, sa vie nocturne. Je n’ai aucune envie d’aller voir ailleurs. Vous me dites que c’est le bordel en ville avec les pro-créatures, pro-puce, anti-puce, anti-créatures… Bon, et alors? Les gens ont toujours été cinglés, ça ne change pas vraiment. On fait plus attention, mais on va pas non plus s’arrêter de vivre. D’ailleurs, je trouve ça un peu stupide : j’ai plein d’amis humains, ils sont toujours vivants, je les ai pas croqués. En mon sens, toutes créatures, humaines ou non, quelles qu'elles soient, ont un pouvoir de destruction. Personnellement, je mets un point d’honneur à ne croquer que les gens consentants… et parfois les salauds (mais ça, ça reste entre nous). Des poches de sang sur pattes, c’est très pratique : ils ont besoin d’argent, j’ai besoin de sang, c’est gagnant-gagnant. Sinon, j’achète des poches de sang. J’suis un vampire, pas un barbare.

Je mène une vie plutôt simple : je travaille fort et je m’amuse encore plus fort. Mon but dans la vie aujourd’hui est de rendre les gens heureux avec ma joie communicative. Non, plus sérieusement, j’aime simplement profiter de ce que la vie a à offrir. J’peux jouer les chevaliers servants, me battre pour mes convictions, d’accord, mais sauver le monde, tout ça… Bof. …Par contre, j’ai quelques cadavres dans mon garde-robe (pas littéralement, mon garde-robe est très bien rangé) : quelques victimes de mes dérapages vampirique et quelques salauds qui m’ont provoqué. Si débarrasser la terre de connard sans nom c’est sauver le monde, alors d’accord, je sauve le monde des idiots.