Né le 10 mai 1979, je n'ai pas grand-chose à dire sur mon enfance. Mes parents s’appelaient Charles et Ida Wilson. Le premier était ouvrier dans une usine automobile, la seconde secrétaire dans cette même usine. Rencontrés sur leur lieu de travail à l’âge de 18 ans, leur histoire et la mienne, somme toute, est donc tout à fait banale. Je suis né dans le Michigan, à Rawsonville, dans la banlieue de Détroit, au 2101 McGregor avenue pour être exact. Comment est-ce que je m’en souviens ? Tout simplement parce que j’ai passé mon enfance et mon adolescence dans cette maison. Mes parents n’ont jamais déménagé. Après tout l’usine dans laquelle ils travaillaient se trouvait à la sortie de la ville et M. Ford, propriétaire de celle-ci avait tout prévu en installant les nécessités de la vie autour des habitations des ouvriers. Plus. Nous avions Détroit et donc la grande ville juste à côté. Pourquoi, donc, chercher autre chose ?
J’ai donc été à la Noah's Ark Christian Preschool, puis à la Rawsonville Elementary School avant d’intégrer la Ypsilanti Community Middle School puis Belleville High School. Une vie palpitante, je vous l’avais dit. Je n’étais ni un bon élève ni un mauvais élève. Juste dans la moyenne. De toutes les manières j’allais intégrer l’usine comme mon père avant moi à mes 18 ans. Pourquoi donc se casser le cul à travailler d’arrachepied à l’école ? Il me suffirait de refaire cinq cent fois les mêmes gestes sur la chaîne de production pour gagner ma croûte.
Ai-je donc fait ouvrier ?
Non.
Pourquoi ?
Laissez-moi vous expliquer.
J’avais 17 ans, cinq mois et cinq jours. C’était le 15 octobre 1996. Je m’en souviens comme si c’était hier. J’allais à Belleville High School comme tous les jours, les mains dans les poches et le Discman sur les oreilles, Freeman de Robbie Williams à fond. Il faut dire que j’étais assez dans les nuages à cette époque. Le nez en l’air à fredonner les tubes qui passaient sur mes CDs. Je ne regardais pas des masses où j’allais. Et je percutai de plein fouet une autre élève de l’école. Bien moins taciturne à l’époque, je m’excusai platement, l’aidant à ramasser ses bouquins, oui comme dans les films, sauf que ma vie à moi était loin d’être un film sympa. Elle s’appelait Hazel. Elle avait 16 ans et faisait partie, comme ma famille du Christian Life Center, une communauté chrétienne très active. Et elle est rapidement devenue une amie. Il faut avouer que plusieurs fois je lui rentrai dedans, dans les mêmes circonstances. A croire que je ne savais pas comment attirer son attention et que je le faisais exprès. D’ailleurs c’était le cas mais bref.
En quelques mois, comme dans toutes les amourettes de lycée, on se mit à avoir des « dates ». Et puis aux yeux de tout le monde, on s’est mis ensemble. D’ailleurs à nos yeux aussi. Et c’est ça qui a changé. Elle voulait faire des études et ne comprenait pas que l’on puisse se contenter du minimum syndical (et mon « envie » de suivre les pas de mon père semblait être le minimum syndical). D’un côté je pouvais comprendre, enfin… Ses parents étaient professeurs à la fac, je pouvais donc comprendre qu’elle veuille autre chose qu’une vie d’ouvrière. Mais moi. Moi j’avais connu que ça, et ce n’était pas le pire. Au moins j’avais manqué de rien et mes parents avaient toujours eu un job. C’était bien ce qui comptait, non ? Hé bien non. C’était sans compter son pouvoir de persuasion, ou était-ce parce qu’intérieurement je ne voulais pas la décevoir ? A moins que j’aie envie de faire « mieux » ? Je n’en sais trop rien.
Toujours est-il que j’avais gagné des points sur ma moyenne en quelques mois. Rien de mirobolant, mais assez pour, et après négociation avec mes parents, intégrer l’University of Michigan dans le département de psychologie.
Elle ? Elle intégra la section droit un an plus tard.
Dire que les études ont été une partie de plaisir est… Complètement faux. Honnêtement, je galérais un max chaque semestre. Non pas que je n’y arrivais pas, mais la méthode d’enseignement ne m’allait pas. Je trouvais ça… Chiant. Oui c’est ça. C’était chiant. Mais je le fis. Je n’eus pas mon master haut la main, mais je l’eus. Nous étions en 2001. Un an plus tard, Hazel avait le sien. Elle entrait dans une école de droit, moi, je décidai de continuer mes études en passant un doctorat de psychologie. Pourquoi ? Déjà pour ne pas arrêter mes études avant elle, fierté oblige, ensuite parce qu’avec ces cours chiants, je m’étais trouvé un but : changer cette façon de faire cours. Et pour cela, je devais moi-même devenir professeur.
Je dois avouer qu’à ce moment de l’histoire, il me faut remercier mes parents. Ces derniers se sont saignés pour leur fils unique, m’empêchant de m’endetter à vie. Seulement sur 25 ans. Ce qui n’était pas si mal pour un fils d’ouvrier.
Je me mariai en 2002. Avec Hazel, bien entendu. Le jour suivant sa remise de diplôme. Nous avions respectivement 22 et 23 ans. C’est jeune, mais nous en étions heureux.
J’eus mon doctorat. Elle fut nommée avocate à la cour. Autant dire que notre vie était tout à fait parfaite. Une petite maison aux abords de Détroit, au 277 Princeton Street à Canton, trois enfants nés six et huit et neuf ans après notre mariage, nos parents proches de nous. Nous faisions activement partis de la communauté protestante de la ville, nous étions des professionnels plus ou mois émérites, je devais avouer que mes méthodes de travail ne plaisaient pas forcément à mes supérieurs mais mes étudiants, eux, étaient ravis de ne plus avoir uniquement des cours magistraux.
Notre vie se déroulait ainsi. Sans accrocs, sans vague. Mais comme j’ai pu le dire. Ma vie est loin d’être aussi douce qu’un film à l’eau de rose. D’ailleurs, à certain moment, j’imaginai même faire partie d’une série télévisée comme le Truman Show. Pourquoi ? Hé bien… Nous étions le 27 février 2020. Il était 20h32. Je venais de garer la voiture devant notre maison quand une chose me frappa. Ma femme n’était pas encore à la maison. Chose qui aurait pu ne pas paraître étrange si mon ainé n’était pas venu me voir pour m’indiquer que sa mère n’était pas venue chercher son cadet. Et c’est sur cet événement que notre vie à tous bascula.
Après un appel à la police qui ne prit l’affaire en compte que 48h, après une attaque, un mois plus tard au centre de New York et une explosion qui emporta la vie de plusieurs personnes, ils retrouvèrent une carte d’identité. Hazel Agatha Wilson. Née le 05/07/1980 à Détroit. Elle était morte. Sans explication. Enfin. Presque.
Notre famille, mes trois enfants et moi, vécurent ce drame de la manière la plus difficile qu’il soit. Mais il me fallait surmonter cela, pour le bien de mes enfants, pour leur vie. Et nous continuâmes ainsi à vivre deux années durant. Deux années difficiles, mais nous réussîmes. Jusqu’à l’arrivée d’une simple lettre.
- Spoiler:
Très cher Monsieur Wilson.
Il nous manquait un enfant. Nous vous l’avons repris. Après tout il était son enfant tout autant que le vôtre. Rassurez-vous. Tout ira bien pour lui comme pour elle.
Je ne veux que leur bonheur.
Charles Allister.
Mon sang ne fit qu’un tour alors que je me ruai dans la maison. Appelant mon aîné à tout va sans réponse. Accompagnée d’une photo, mon enfant, entouré de deux loups immenses.
Je connaissais l’existence des créatures. Vampires et lycans faisaient partis de notre quotidien, que ces derniers se cachent ou non. Nous savions qu’ils existaient. Pour autant… Je les imaginais aussi sain que nous tous, humains. M’étais-je trompé ?
Sans attendre, passant prendre mes deux derniers enfants à l’école, je me dépêchais au commissariat, lettre en main. Une enquête fut ouverte. Longue. Très longue. Trop longue pour un père désespéré. Et c’est pourquoi je commençai mes propres recherches. L’avantage d’être professeur d’université était que j’avais accès à bien des contacts dans bien des métiers grâce à mes étudiants.
J’en appris alors plus que ce que la police pouvait avancer, trouvant des moyens plus ou moins légaux d’arriver à mes fins. Ma vie, jusque lors, n’avait été que pure invention. Du moins… Ce que je pensais vrai ne l’était pas ou que trop peu. Les créatures, et je le découvris rapidement, n’étaient que des monstres inhumains. Morts, désolation, familles détruites… Je ne comptais plus le nombre de victime que je rencontrai alors. Était-ce qui était arrivé à ma femme et mon enfant ? La question pouvait se poser car la police n’arrivait à rien : ils avaient tout bonnement disparu. Après tout mon épouse n’était-elle pas morte dans l’explosion à New York ?
Je découvris aussi l’existence de groupuscule de chasseurs que je rejoignis rapidement, commençant dès lors un entraînement sportif des plus stricts. Bien sûr, cet aspect de ma vie fut caché à mes enfants. Ces derniers me voyaient alors m’enfoncer dans un cynisme certain, une colère refoulée devant eux, une froideur qui me gagnait petit à petit et que je peinais à leur cacher.
Et ce fut cet aspect de ma vie qui nous obligea alors à déménager rapidement. Nous étions en chasse ce soir-là. Un groupe de vampire. Des tueurs. Ils étaient cinq nous étions dix. En les prenant à revers, nous allions pouvoir les tuer. Un… Deux… Trois… Il n’en restait que deux. Nous n’avions pas pu tous les prendre par surprise. Ils étaient trop rapides. J’allais appuyer sur la détente pour descendre l’avant dernier lorsqu’un souffle s’insinua dans mon oreille. « Jesse Wilson. Je sais où tu habites. Tes enfants doivent attendre leur papa, non ? ». Je fus incapable de tirer. Les deux vampires s’en tirèrent, non sans attraper deux de nos collègues.
Le soir même, je rentrai chez moi et préparai les bagages sous le regard d’incompréhension de mes ados. Nous quittâmes la ville emportant avec nous tout ce que nous pouvions et, grâce à mes contacts, changeâmes de nom. Nous nous installèrent au plus loin de Détroit, dans le sud, à la Nouvelle-Orléans. Un changement radical mais nécessaire.
Je rejoignis alors de nouveau les groupuscules de chasseur, ayant des lettres de recommandation de mes anciens collègues et je fus d’ailleurs l’un des premiers chasseurs à intégrer le Riffle Center à sa création. Est-ce pour cela que j’ai été nommé Leader par les autres chasseurs ? Peut-être. A vrai dire cela m’importe peu. Ce que je désire ? Protéger le reste de ma famille, bien que mes enfants aient quitté le domicile et les êtres humains de ces monstres dégénérés qui ne sèment que la mort et le désespoir.
Aujourd'hui, l'on peut dire que je ne ressens plus que cette haine. J'ai bien du mal à témoigner le moindre amour, le moindre attachement, même envers mes deux enfants restants. Je n'abandonne pas les recherches et je suis convaincu que je retrouverais un jour ma femme et mon aîné. En attendant, je garde ma couverture de professeur de psychologie à l'université de la Nouvelle-Orléans. Mais je compte bien détruire toute les créatures qui passeront à ma portée.