Vingt sept mars deux mille dix. Une date à marquée d’une pierre blanche puisque c’est la date de ma venue au monde. Mes parents étaient Rachel et Nicholas Montgomery. Deux londoniens pure souche, nés à Londres, vivant à Londres et même dont les arrière-arrière-grands-parents étaient de Londres. Autant dire que je suis londonien plus qu’anglais. Ces deux-là s’étaient rencontrés sur les bancs de la fac, en économie (devinez où ? Oui ! A Londres, vous suivez, c’est cool) et j’étais leur premier enfant après deux ans de mariage. Une joie ? Certainement. D’autant qu’ils m’ont franchement gâtés tout le long de ma vie. Non, vraiment, j’ai eu une enfance sympa, couverte de cadeaux en tout genre, d’amour de la part de ma famille. J’étais pas franchement difficile. De toutes les manières je me taisais dès qu’on me mettait devant la télévision alors c’était simple. Oui, je sais, c’est pas recommandé blablabla, en attendant ça fonctionnait alors ils ont bien fait.
Gai et blagueur à l’école comme chez moi, je n’étais pas l’élève que mes parents, tous deux doctorants, auraient pu rêver d’avoir, c’était un fait. Mais je n’étais pas non plus le pire de tous les élèves. Disons que j’étais… Moyen. Douze partout. C’était déjà pas mal. Sauf en littérature. J’ai toujours détesté ça et je me contentais donc d’un sept. Enfin. Mes parents râlaient pas trop. J’étais heureux, je ne faisais pas (trop) de bêtise et je pourrais prétendre à la fac en continuant mes douze. Tant pis pour le doctorat, ce n’était pas le plus important.

« Et c’est à ce moment que tout bascule ». Oui et non en fait. Mais avant que toute ma vie ne bascule, laissez-moi vous parler d’un moment bien particulier qui m’a marqué à tout jamais, et c’est le cas de le dire. Je devais avoir genre quelque chose comme quinze ans, ou peut être venais-je d’avoir mes seize. Ça fait plus longtemps mais j’avoue que j’ai un doute sur la date plus que sur les événements. Enfin. Ça importe peu quand c’était, il faut se l’avouer. Toujours est-il que je venais de finir le lycée et je m’apprêtais à sortir avec ma petite amie de l’époque. Mon premier coup de cœur. Vous auriez dû la voir, elle était splendide, sympa, drôle… Bref. C’était cool. Pour la sortie du soir, vu que c’était nos trois mois et qu’elle me cassait les couilles à vouloir fêter notre « anniversaire » chaque mois, j’avais prévu de l’emmener dans un restaurant du Piccadilly Circus. Vous savez ces restaurants japonais où l’on voit les cuisiniers en action qui jouent de leurs couteaux ? Bah voilà. Un restaurant friqué, j’avais d’ailleurs dû demander une avance à mes parents, gentils qu’ils étaient. Et nous voilà donc en jean basket, installés dans un restaurant où visiblement nous faisions un peu tâche. Mais ça ne nous posait pas de problèmes. Entrée, plat… Tout se passait à merveille, on rigolait bien, on parlait des cours, de ce qu’on allait faire ensuite (dans la soirée je veux dire, faut pas exagérer non plus), bref une soirée comme on en fait souvent. Et alors que je faisais le pitre avec mon steak et des frites, je me souviens qu’un homme est entré. Visiblement véhément, l’air patibulaire et la mine renfrognée. J’avoue que j’ai pas vraiment fait attention à ce mec. Disons que des mecs de mauvaise humeur, on en croise pas mal, quand même, dans notre vie, alors un de plus ou un de moins. Concentré dans ce que j’étais en train d’exécuter, on avait pas entendu les menaces qu’il était en train de proférer à tue-tête, et mon steak s’écrasa dans mon assiette, faisait rire Stefany (ma copine, si vous avez tout suivi). Le reste… Franchement s’est allé assez vite. L’homme s’est approché de ma nana le regard « légèrement » agacé et l’a attrapé par les cheveux. Moi, bon chevalier, je pris immédiatement sa défense. Il était certes plus grand et plus épais que moi, mais il était hors de question que je le laisse toucher à MA copine. Mal m’en a pris. Si l’homme ne bougea pas d’un iota, il prit le plus grand soin de se défendre. Attrapant l’un de nos deux couteaux, il sembla vouloir me transpercer le crane avec. Réflexe ou pure coïncidence, je tournai la tête à cet instant, évitant que la lame de s’enfonce dans ma cervelle de piaf. Je m’évitai ainsi une mort jeune, mais pas la lame qui s’enfonça au-dessus de mon nez. Le couteau planté à la perpendiculaire de mon nez, ce dernier cassé, pissant le sang, moi à genoux à hurler de douleur, je compris pas trop ce qu’il se passait ensuite. Des hommes sont arrivés, armés, et le mec s’est enfuit par une fenêtre. Fin de la soirée. Je fus transporté à l’hôpital. Multiples fractures, entaille sévère, bref, de la joie et de la bonne humeur. On m’apprit que le mec était recherché pour être un vampire suceur de sang (d’un côté c’est un peu la base du vampire). Il échappait régulièrement à la police et s’amusait à terroriser les londoniens pour jouer au chat et à la souris. Du moins c’est comme ça que je le compris. Dans les faits, on me parla surtout de psychopathe. Enfin. Nez bandé et bien tenu, je pus retourner chez moi et on ne parla plus de cet événement, à part pour dire que j’avais eu beaucoup de chance et que je devais avoir une bonne étoile.
Une bonne étoile tient. Tu parles. Stefany me quitta un moins plus tard pour partir avec un autre pote. Tu parles d’une étoile. Pire que ça, mon nez se reforma droit, certes, mais j’avais désormais une belle cicatrice sur le haut de ce dernier. Merci la bonne étoile hein !

Enfin. Ma vie continua malgré tout. A dix huit ans, j’obtins mon diplôme de fin d’étude et me décidai pour une année de césure, contrairement à l’avis de mes parents. J’en avais marre d’aller en cours, je voulais gagner un peu d’argent, me payer une voiture, quelques voyages, des soirées, bref, vivre en fait.

Dix-neuf ans, trois mois et dix jours.
Je me trouvais chez mes parents. J’avais terminé mon année de césure sans beaucoup bosser. Par contre j’étais sortis, ça oui. Aujourd’hui, mes parents voulaient que je reprenne le chemin de la fac. Ouais. Pourquoi pas. Peut être après une deuxième année de césure.
Ce soir-là, la nuit venait à peine de tomber, je me trouvais, comme d’habitude, devant mon ordi. Je m’étais trouvé une nouvelle passion : l’informatique. J’étais en train de coder un mini logiciel pour me permettre de commander mon kebab habituel juste en appuyant sur un bouton, sans même avoir à rentrer mon adresse et tout le toutim. Inutile, mais amusant. Mes parents étaient absents, soirée ciné ou je sais pas quoi. Enfin je m’en foutais un peu. J’étais occupé. Tellement occupé que je n’entendis pas la porte claquer ni les pas dans les escaliers, ni même la porte de ma chambre s’ouvrir. Seule l’ombre qui couvrait alors mon écran me fit râler. Je détestais que l’on cache ma lampe. Sans enlever mon casque, je me retournai vers le ou la responsable.

- Salut.

Instantanément, je me remis sur mes deux pieds, mon casque quittant mes oreilles alors que je me levais. Lui. Je n’avais pas oublié sa tête de dégénéré.

- Comment…
- Ts ts ts. Souffla-t-il. Assieds-toi que je t’explique.

Je sais pas pourquoi, par peur ou par curiosité, je me réinstallai. Je crois, néanmoins, que la peur en était pour beaucoup. Un inconnu, un vampire, un dégénéré, s’était introduit chez moi. J’étais seul, sans moyen d’appeler à l’aide.

- T’avais du cran y a trois ans, gamin. J’ai besoin d’un apprenti. Le dernier est mort. Je t’ai revu par hasard. Heureusement que t’as pas changé de tête.

J’allais rétorquer qu’il se trompait de cible quand il m’invita « gentiment » au silence, attrapant ma gorge. Instinct de survie ou connerie pure, je me mis alors à me débattre, fortement, coups de pieds, de poings, de tête s’il le fallait, je n’avais soudain plus qu’une idée en tête : me barrer d’ici et vite. Mais connaissez-vous réellement la force des vampires ? Je la connus ce jour-là. Impossible pour moi de me libérer de sa poigne, je sentis, impuissant, ses crocs s’enfoncer dans ma gorge et la vie me quitter. J’étais mort. Enfin. Je le croyais. Jusqu’à ce qu’une douleur infinie ne me transperce de toute part. Qu’est-ce qu’il était en train de me faire ?!

Combien de temps, d’heures, de jours, de semaines (peut-être pas) cela dura ? Sur le coup je ne le sus pas. J’avais mal. Je voulais que ça s’arrête, j’aurais donné père et mère pour que la douleur cesse, et pourtant elle ne me quittait pas.
Lorsque je rouvris les yeux, j’étais dans mon lit. Ma mère était d’une pâleur affolante à mes côtés. La nuit étendait toujours son manteau sur la ville.

- Chéri ! Je sentis la main chaude de ma mère sur mon front tandis que je restais muet. Tu es gelé mon cœur… Tu nous as fait peur, atrocement peur…

Je sentais sa voix se casser. Et pourtant une autre chose m’importait à cet instant sans que je ne comprenne quoi.

- Qu’est-ce qu’il s’est…

Je n’entendis pas la suite et me ruai sur elle. Si les contes auraient, à cet instant, raconter à quel point le câlin d’une mère est doux et rassurant, il n’en fut rien pour moi. Sans que je ne comprenne vraiment le pourquoi du comment, je me retrouvai avec deux crocs enfoncés dans le creux de l’épaule de ma mère. Je la sentais se débattre, incapable de crier à l’aide, mais je tenais bon et en quelques trop courts instants, je sentis son corps s’alourdir entre mes bras. Lorsqu’enfin je me reculai, elle tomba de la chaise. Morte.

- Maman ? Je la secouai légèrement. Maman… ?

Aucune réponse. Qu’avais-je fait ?... Le regard effaré, je me reculai, trébuchant sur mon propre lit. Qu’est-ce que… Qu’est-ce qu’il s’était passé ? Dans mon trébuchement, je venais de faire tomber mon oreiller, révélant un mot, un papier sous ce dernier. « Je reviens te chercher dans cinq jours. Tiens-toi prêt ». Et cela me revint en mémoire. Le suceur, ses crocs, ma mort, ma non mort plutôt, aujourd’hui… Apeuré autant qu’assoiffé, quoique je ne distinguais pas réellement la différence à l’époque, je me ruai dans le jardin où mon père était assis. Je l’avais senti. Je n’avais pas eu besoin de l’appeler. Je sentais son sang m’appeler.

- Donovan… Dit-il l’air effaré en m’observant. Tes yeux… Où est ta m…

Lui non plus n’eut pas le temps de finir. Je fis un carnage, mais lui eut le temps d’hurler mon surnom. « Dono’ ! ». Ce fut son dernier mot avant qu’il ne s’éteigne à jamais. Le sang coulait à grosses gouttes autour de ma bouche. Mes vêtements, tâchés, étaient la preuve concrète de ce que je venais de faire. A genoux, le corps sans vie de mon père entre les bras, je restais là, les yeux fixés sur le gazon. Une ombre devant moi. Était-ce lui qui revenait ? Les yeux rouges de rage je me relevai sans même vérifier cette théorie et je fonçai droit sur l’intru.
La main de ce dernier m’arrêta nette, et je levai enfin les yeux vers lui. Ce n’était pas Lui. C’était un autre. Un autre vampire. En témoignait sa peau froide et sa stature. Sifflant de colère autant que de peur, je tentai de me défaire de sa prise. Impossible.
Il me proposa de le suivre. Simplement. J’acceptai. Je ne savais pas quoi faire. Il était là. J’avais peur. J’avais soif. Que pouvais-je faire d’autre ?

L’on me mena parmi d’autres vampires. Les Sanguinaires, s’appelaient-ils. Rapidement, ces Sanguinaires devinrent ma famille, remplaçant celle que j’avais froidement assassiné. J’appris à connaître Aedan, mon sauveur, celui qui me prit sous son aile, m’apprit à me défendre et à me battre, mais aussi Erika, ma grande sœur. Elle fut la première à m’accueillir les bras ouverts, et Mia. Elle semblait plus jeune et pourtant sa douceur m’aida particulièrement les premiers instants… Nous étions tous dirigés par un chef, Damian Black. Et j’appris ce qu’était la vie de vampire. Il me fallut quelques mois pour reprendre un goût certain de vivre, et surtout apprivoiser cette nouvelle nature. A vrai dire, avoir des esclaves fut la chose la plus étrange pour moi, mais je compris vite que nous ne pouvions, de toutes les manières, faire confiance qu’à nous même et à la famille. Les humains ne cherchaient qu’à nous traquer, nous empêcher de vivre, mais pourquoi n’aurions-nous pas le droit de vivre comme tout le monde ? Ces empêcheurs de tourner en rond n’était rien de plus que des moralisateurs, des êtres insignifiants qui avaient seulement peur de la mort. Nous ? Nous avions survécu à cette mort, alors nous avions nous aussi le droit à notre nouvelle vie. Le clan et ses règles adopté à la perfection (je n’ai pas souvenir avoir jamais dérogé une fois à une seule règle…), ma vie prenait enfin tout son sens.

Et Damian disparut. A sa place, nous eûmes droit à une inconnue, ramenée par l’une des membres de notre clan, Danae, bras droit de Damian. Pour tout avouer, cette inconnue ne m’inspirait pas confiance. Elizabeth, qu’elle s’appelait. J’étais du point de vue d’Erika. Elle ne connaissait rien de nous, de notre façon de faire. Comment pouvait-elle espérer nous diriger ? D’autant que d’autres en avait la possibilité, Aedan le premier. Il était là depuis le début ! Alors pourquoi refusait-il ce poste qui ne faisait que l’attendre ?!
Il me fallut un certain temps pour commencer à apprécier Elizabeth, enfin Amelia. Je crois d’ailleurs que voir Aedan lui faire confiance m’a aidé à cela. S’il lui faisait confiance, alors nous le pouvions tous. D’ailleurs, je crois que le jour où on a appris qu’ils étaient ensemble ces deux-là, ça m’a prouvé qu’elle était malgré tout à la bonne place, et j’étais peiné de voir qu’Erika, elle, ne partageait pas cet avis.
Mais à nouveau, il fallut que le sort s’abatte sur nous. Danae fut capturée, suivi par Aedan. Des chiens. Des sales putain de clébards. Nous les avons cherchés. Dès le soleil couché jusqu’aux premières lueurs de l’aube.
Cette fois, seul Aedan s’en sortit. La sentence fut difficile à admettre. Damian mort quelques jours auparavant, Danae l’ayant suivie…
Ainsi, lorsque mon mentor nous proposa de quitter cette ville, j’avoue que je n’ai pas hésité un seul instant et ce pour deux raisons. La première était que je refusai de quitter ma famille, celle qui m’avait aidé dans le pire moment de ma vie, qui m’avait élevé en tant que vampire et à qui je devais, pour ainsi dire, tout. Ensuite parce qu’ils avaient besoin de moi. Que ce soit Aedan, Erika ou même Amelia, ils étaient beaucoup trop sérieux. Je ne pouvais donc pas les abandonner de la sorte à leur triste sort, il fallait que je sois là pour les dérider un peu !

Ainsi, nous nous sommes installés à la Nouvelle-Orléans.
Beaucoup de choses se sont passées depuis, mais une seule m’a réellement bouleversé. Erika. Elle nous a récemment trahi. Et j’avoue que c’est une chose qui a bien du mal à passer. Je voudrais oublier, je voudrais la comprendre mais… Impossible. Elle a faillit faire tomber la famille, elle a préféré faire confiance à un inconnu, plutôt qu’à son propre chef, à sa propre famille… Et si j’ai du mal à supporter réellement ce qu’Aedan lui fait subir, je n’ose pour autant pas plaider sa cause et peut comprendre sa colère… J’espère seulement qu’elle reviendra sur le droit chemins.