Voici le carton d'invitation pour le bal des débutants. Les grandes familles/clans connus le reçoivent d'office, considérez donc par exemple que les assoiffés et la meute Mahiingan ont reçu leur invitation avec une adresse mail au dos, pour confirmer leur présence et le nombre d'inscrits.
Pour les autres, une annonce dans un style similaire (mais sans l'adresse du lieu où il se déroulera) parait dans une revue avec une adresse mail à contacter. Chaque candidature est triée et les heureux élus reçoivent le carton d'invitation reçu par les grandes familles pour confirmer leur acceptation.
C'est avec une agréable surprise que nous avons appris la tenue de votre bal ce vingt neuf mai prochain par le biais de votre courrier. Ainsi, et comme expressément demandé par votre invitation, je vous informe de la présence de quatre personnes de notre clan.
Chaperonnés par Miss Holm et moi-même, Monsieur Montgomery et Miss Stanley s'y rendront avec plaisir.
En vous espérant pouvoir vous rencontrer lors de cet événement. Je vous prie d'agréer, Madame, nos salutations.
“H, t’as vu l’annonce là ?” - “Euh … Non. Ça parle de quoi ?” L’homme prend une bonne inspiration et sort sa plus belle voix, douce et dynamique. “Jeune couple de vampires cherche un logement temporaire à la Nouvelle Orléans. Lieu calme de préférence, location au mois. Eviter les fourches et les pieux ; ça pique.” - “La fin tu l’as rajoutée ?” - “Comment tu sais ?” - “L’instinct …"
Tu esquisses un sourire, riant intérieurement à la bêtise de ton ami. Vous prenez l’équivalent mortel d’un brunch, chacun feuilletant les nouvelles ; que ce soit sur papier ou sur internet. Un petit truc qui est resté de Londres et une habitude dont vous n’avez su vous défaire. Ton mug de sang à côté, tu sirotes à petites gorgées tandis que ton acolyte fait la lecture des perles.
“En vrai, ils ont quand même l’air de chercher un logement. Tu n’y repenses pas, des fois …” Un long silence qui veut tout dire mais auquel tu ne veux pas répondre. “Bon d’accord, pas une aussi grande Auberge. Un petit gîte pour les weekends ?” - “Pour qu’un cinglé y mette le feu, de nouveau ?” La réponse est rhétorique, cinglante et sans appel. Encore affecté par ce qu’il est advenu de ton emploi et du résultat de tes cinquante dernières années de dur labeur, tu préfères ne pas en parler. Ayant touché une corde sensible, ton comparse se contente de faire comme s’il n’avait rien entendue et continue de lire en diagonale. Jusqu’à tomber sur une autre annonce, bien plus intéressante. Ses yeux s’illuminent de cette lueur malsaine, emprunte de toute la sournoiserie dont il est capable.
Merde. Roger a une idée.
Tu ne vois rien de son changement d’attitude, en revanche il suffit qu’il commence à lire pour que tu sentes immédiatement venir l’entourloupe. “Nia-nia-nia invités … Bal des débutants …" Tu arques un sourcil et poses ta tablette, le laissant continuer. “Bla-bla … Rassemblera l’élite de la Nouvelle Orléans” Tes yeux roulent en percevant ses mots, soupçonnant qu’il en ait rajouté. Peu convaincu, tu reprends une gorgée “... Devra respecter l’esthétique de l’époque Victorienne … Nia-nia … Sous le regard de Louis XIV.” Que tu avales pour moitié de travers puis recraches en souillant le plan de travail sur lequel tu te reposes.
Content de son coup, le gamin de quatre-vingt-dix piges savoure l’instant tandis que tu pestes et files chercher une éponge. “T’es fier de ta connerie ?” - “Ben … Je n’ai rien inventé hein.” - “Tu te fous de moi ?” En réponse, il te tend le journal replié et pointe l’annonce du doigt. Tu lis la version complète et peines à saisir les subtilités du texte. Au lieu de t’en faire des nœuds au cerveau, tu retiens l’essentiel : c’est un bal, avec beaucoup de monde et un potentiel énorme pour le jugement. Aucune chance que tu y mettes les pieds. En revanche, cela ne semble pas être le cas de Roger qui a déjà récupéré la tablette et commence à pianoter dessus.
Tu pars te caler dans un fauteuil, espérant que l’autre te laissera tranquille. “H …" Tu ne réponds pas, feintant d’être dans ton monde. “Si je devais emmener une demoiselle au bal, tu saurais comment l’habiller ?” - “Ben … Victorien ça veut tout et rien dire …” - “Ça rentre dans le Victorien, le SteamP...” Tu te retournes immédiatement et le fixes, le regard sévère, avant qu’il n’ait le temps d’articuler le blasphème. Littéralement pissed-off par son allusion foireuse, tu te lèves et récupères la tablette. En quelques minutes, tu trouves le nécessaire pour lui faire le cours en accéléré “Vers 1870 ça c’était ce qu'il se faisait de mieux. Ça c’est 45 je n’ai pas connu … Et ça c’est 80 … En 1890 ça a commencé à être plus sobre ; sauf en soirée où c’était toujours du grand n’importe quoi.” - “Et ça ?” - “C’est de l’Edwardien.” - “Et ça ?” - “C’est Joséphine Baker. Tu t’es planté de siècle.”
Te révélant connaisseur de l’époque et véritable fashionista has-been, il extrait tout ce qu’il peut de ton savoir et en prend bonne note. Une fois satisfait, il reprend la tablette et retourne à son email sans un merci ; ce qui ne manque pas de t’irriter. Un poil bougon, tu retournes te lover dans le fauteuil et faire ta vie. Deux relectures et un sourire Colgate diabolique plus tard, il appuie sur Envoyer et revient vers toi, la tablette à la main.
From : roger.smith@... To : contact@...
Madame, monsieur,
Par le présent courrier, je me permets de répondre à votre annonce postée dans une revue et vous faire part de notre souhait de participer au Bal.
Afin de nous préparer au mieux à l'événement, pouvez-vous confirmer l'année de référence de l'époque citée dans l'annonce ?
En l'attente de votre retour favorable et avec nos sincères salutations,
La direction des maisons Smith & Grayson.
“C’est bon, je nous ai inscrits.” - “Quoi ?” Tu le fixes, le regard rond et immédiatement rempli de toutes les craintes du monde. Le dernier événement mondain auquel tu as assisté t’a laissé un goût amer, pas la peine de retenter l’expérience. “Hé, si tu ne vis pas un peu au jour le jour, tu vas finir par crever d’ennui …" Tu vérifies tout de même ses dires et constate qu’il a vraiment eu le culot de répondre. T’imaginant déjà feinter, annuler au dernier moment et exprimer ton indisposition sous une excuse miteuse, tu notes qu’il manque du monde et lui demandes “Tu n’as pas précisé qui sera ta cavalière. Ni la mienne, d’ailleurs.” Le sourire de Roger, déjà empreint de malice, s’élargit en prenant une dimension malsaine. “Tu n’as pas compris, Harper. Ce sera moi, ta cavalière.” - “PARDON ? Mais, mais …" Décontenancé et pris de court, tu peines à finir ta phrase “Mais t’es un mec ! Et …" - “Tu es gay et non, ça ne me dérange pas. Mais ce n’est pas ça l’important.”
Roger se redresse et passe sa main droite dans une crinière de cheveux inexistante, feintant de les balayer dans un effet l’Oréal. Puis il articule, d’une voix aiguë et ridicule “Comment oses-tu faire la présomption de mon genre ? Je suis outrée ! Tu sais pourtant que je suis une Nymphe, dans la fleur de l’âge !”
Victor Rosenbach (v.rosenbach@oschnerhospital.com)
jeu. 18/05/34 23:12
Irina Kataïev (irina-kataiev@gmail.com)
Bonjour,
Par le présent mail, je vous tiens informé de ma venue, accompagné de Miss Katyusha Orlov, propriétaire de bijouterie de luxe, à votre bal du 29 mai 2034.
Représentant de la meute Mahiingan, j'ai le regret de vous annoncer qu'aucun autre de mes louveteaux ne sera présent lors des festivités.
En vous remerciant pour votre invitation, Cordialement, Docteur Victor Rosenbach
