Comme pas mal d'histoires, celle de Noïd commence avec celle de sa mère, Lucinda. Jeune Italienne fraîche, pimpante et pleine de vie, celle-ci voulait autre chose que la vie d'agricultrice à laquelle ses parents la destinaient.
Après une bonne engueulade avec ceux-ci, elle décida de couper les ponts, leur piqua une partie de leur pognon de réserve, et se paya avec celui-ci un billet d'avion à destination des USA. En jeune fille bercée aux magazines people, elle se voyait déjà actrice, journaliste, ou encore mannequin.

Manque de bol, la vie n'est pas aussi cool avec les nouvelles venues, et elle termina travailleuse du sexe dès que ses réserves d'argent furent épuisées. Ce retour de karma fut un poil trop vénère pour la jeune femme, qui en conçut beaucoup d'amertume.
Ce fut dans ce contexte qu'elle tomba enceinte. Le client concerné n'avait pas la moindre idée qu'il allait devenir papa, et s'en tapait un peu a vrai dire. Tout ce que Lucinda retint de lui, c'est qu'il avait une fâcheuse tendance à vouloir la renifler et la mordre pendant l'acte, et qu'il avait payé un supplément non négligeable pour ne pas mettre de protection.

Ce bébé fut pour elle une révélation. Emplie de rêve à nouveau, elle s'imaginait mère d'un enfant magnifique, qui serait le plus beau et qui serait probablement médecin, ou bien acteur lui aussi.
Elle n'arrêta pas son activité pour autant, trouvant des clients que ça faisait triper de ken une madame au ventre qui rondissait. Mais elle n'en avait cure, les rêves de beauté et de gloire qu'elle avait pour son enfant (dont elle avait déjà le prénom, Noïd, parce qu'elle trouvait les sonorités latines mystérieuses), lui suffisaient.

J'vous laisse imaginer la gueule qu'elle tira à la naissance en se rendant compte que son gamin était albinos. On a déjà parlé du karma je crois, nan ?

Lucinda ne tenta plus jamais sa chance avec un autre enfant. Maintenant blasée de la vie, elle n'essaya même pas d'être une mère potable. Noïd fut plus ou moins livré à lui-même dès sa naissance, étant davantage entouré par d'autres femmes qui connaissaient sa mère que celle-ci.
Quand il fut suffisamment grand pour ne plus avoir besoin de soins perpétuels, il termina seul.
Lucinda, qui continuait à travailler, laissait chaque jour un sac Mac Do pour le gosse en guise de repas.
La seule consigne qu'il avait était de la boucler si jamais elle revenait avec un client dans le petit appartement ou ils habitaient. Il devait aller se mettre dans le coin de la pièce, boucher ses oreilles et fermer les yeux.

Cette vie l'emmena jusqu'à ses huit ans, âge auquel elle décida de le foutre à la porte. Cette pauvre femme en avait marre de devoir s'occuper d'un gosse qui lui coûtait des clients (certains ayant quand même un minimum de lucidité et refusant de copuler dans la même pièce qu'un gosse), aussi un beau jour elle lui dit qu'il devait apprendre à se débrouiller seul et lui claqua la porte devant la figure.

Pendant une poignée de jours, le gosse vécut dans la rue, survivant sans trop savoir comment. Ce qui lui sauva la vie fut un des clients de sa mère. Ce dernier, régulier, remarqua lors de sa visite l'absence du gosse, en tira les conclusions qui s'imposèrent à lui et appela les flics direct.
Lucinda finit en taule et Noïd fut pris en charge par la protection de l'enfance.

C'était quand même un poil trop tard, et cette enfance de rêve perturba quand même le gosse, qui développa quelques troubles de soumission à l'autorité. En gros, il avait une fâcheuse tendance à essayer de cogner aussi bien les éducateurs que les parents des diverses famille d'accueil ou il était placé.
Ceux-ci étaient bienveillants avec lui, mais cette bienveillance oppressait le petit voyou qu'il était devenu. Il n'acceptait pas, avec la mère qu'il avait eu, que des personnes qui ne voulaient que son bien puissent exister parmi les adultes. Les parents comme les éducateurs faisaient de leur mieux, mais le jeune Noïd refusait de leur faire confiance et fuguait régulièrement, préférant la justice de la rue à la chaleur d'un foyer.
Il fit craquer plusieurs familles comme ça, tous incapables de canaliser la boule de rage qui se développait de jour en jour au sein de son p'tit corps.

Ce fut à ses treize ans qu'il découvrit qu'il était un lycanthrope. Sa première transformation ne se passa pas très bien, ni sa famille du moment ni lui n'étant préparé à ce qui allait arriver. Il hurla de douleur pendant de longs moments, alors que ses os se brisaient et se reformaient. Sa famille apeurée l'ayant enfermé dans la pièce dans laquelle il se trouvait, à savoir la cuisine, après la douleur de la transformation vint la rage, encore plus violente que ses crises précédentes. Il était lycanthrope. Un lycan blanc.
Même dans sa bizarrerie, il était pas foutu d'être comme les autres.
Dans sa haine envers le monde entier, il fracassa la cuisine ou il se trouvait, pétant méticuleusement chaque brin de vaisselle et chaque meuble. Quand il réussit finalement à se calmer, et à reprendre forme humaine, la pièce ressemblait plus à un champ de bataille qu'à une cuisine.

Ce fut la fin des familles d'accueil pour le p'tit loup qu'il était. Maintenant catalogué agressif et dangereux, y avait plus des masses de personnes pour vouloir essayer de l'adopter. Les éducateurs qui ne flippaient pas trop en le voyant essayèrent de l'aider à traverser sa phase d'adolescent lycanthrope, mais aucun d'entre eux ne savait vraiment ce qu'il vivait. Et surtout, il ne voulait pas de leur aide.
Du coup, il finissait souvent enfermé dans une cave renforcée à chaque pleine lune, attendant que la crise passe. Jusqu'à ce qu'un nouvel éducateur soit appelé à la rescousse. Un type qui s'appelait Logan Payne.

Au début, le courant ne passa pas des masses entre Logan et Noïd. Logan était bienveillant, doux, patient, et profondément gentil. Tout ce qui ne passait pas chez le petit louveteau qui n'acceptait aucune manifestation de gentillesse de la part des adultes.
Cependant, Logan était un lycan.
Logan pouvait comprendre ce qui se passait dans le corps du p'tit albinos, et Logan pouvait en parler. Ce début de lien, ténu, permit tout au moins à Noïd de ne pas essayer de coller (trop) de mandales à l'éducateur. Il refusait toujours l'affection du loup dans la quarantaine mais il l'écoutait parler quand il s'agissait de donner des conseils sur la lycanthropie.

Après quelques temps, Logan lui fit une proposition. L'entente entre les deux n'était pas bonne, il le savait, et il avait compris d'instinct qu'en essayant de forcer une entente avec Noïd, il allait le perdre. L'adolescent cherchait des repères forts, et il n'était pas en mesure de lui donner. Mais il connaissait une personne qui le pouvait.
Sa femme.

Aussi il proposa à Noïd et à l'équipe éducative d'habiter pendant un temps chez lui. Si ça ne lui convenait pas, il était libre de partir, par la fenêtre s'il le désirait. L'équipe était à bout de solutions pour l'adolescent qu'était Noïd, alors elle accepta cette entorse au protocole. Le concerné, qui n'en avait pas grand chose à carrer au final, accepta également.
C'est comme ça qu'il fut présenté à Mary Payne, et aux (très) nombreux gosses qui occupaient le domicile de la famille Payne.
Utilisant les schémas qu'il connaissait, il chercha rapidement à s'imposer, à attaquer la douceur que Logan et Mary prodiguaient à chacun des membres de la famille et à lui-même.
Ça na fonctionna pas.
Mary lui fit décoller les pieds du sol sur un crochet du droit, et il termina littéralement sur le cul, comptant les étoiles.

Mary avait compris comment il fonctionnait, et n'avait mit aucune colère dans son geste. Non, c'était un simple rappel à l'ordre tel qu'il le désirait, par la force. Elle avait intégré que la douceur seule ne lui permettrait pas de s'approcher du cœur du garçon. Lorsqu'il se releva, elle le fit s'asseoir, comme si aucune interruption n'avait eu lieu, et laissa la journée se finir tranquillement.
Pour la première fois depuis longtemps, Noïd ne tenta pas de fuguer au bout d'une semaine. La droite qu'il avait reçu, loin de l'énerver, lui avait donné un semblant de cadre.

La semaine devint un mois. Mary, alternant gnons et douceur, parvenait petit à petit à se rapprocher de Noïd, ayant plus le sentiment d'apprivoiser un animal sauvage qu'autre chose.
Elle aussi était une louve, et cet autre point commun aida Noïd à lui faire confiance, à songer que peut-être elle était différente. Logan, conscient de ce qui se jouait entre sa femme et son protégé, n'intervint que très peu. Il faisait confiance à sa promise pour gérer l'adolescent qui reprenait progressivement contact avec le monde.
Un soir, Noïd laissa Mary rester près de lui alors qu'il se transformait. Il ne parvenait pas à dominer la rage qui l'envahissait à chaque pleine lune, mais elle ne semblait pas lui en vouloir. Non, elle se transforma également, et aida le jeune homme à passer la nuit, alternant entre coup pour le calmer lorsque la colère le rendait violent, et longues étreintes que pour une fois, il ne refusa pas.

Lorsque la nuit enfin s'acheva, ils étaient tous les deux épuisés. Logan, tranquille comme à son habitude, les attendait à la sortie de la pièce. Il posa sa main sur les cheveux de Noïd, trop fatigué pour résister, et l'entraîna dans une chambra qu'il avait préparé pour lui, lui intimant de dormir.

Cet événement permit à Noïd de finalement se sentir intégré au sein de la famille Payne. Il n'était pas officiellement membre de la famille, mais il commençait, petit à petit, à accepter cette maison comme un foyer.
D'abord en permanence collé à Mary, il finit par également tolérer l'affection de Logan, voyant dans ce couple d'abord des adultes biens, puis progressivement des figures parentales. Il fuguait encore régulièrement, lorsque le climat chaleureux de cette famille l'agressait, mais il n'était jamais jugé. Chaque fois qu'il rentrait, il trouvait un des deux adultes qui l'attendait, un sourire calme sur son visage, et qui lui préparait un chocolat chaud.

Un jour, Mary lui proposa de l'adopter. Il refusa tout d'abord, effrayé par le fait que ça pourrait briser quelque chose. Mary n'insista pas, lui laissant le temps de réfléchir.
Ce qui le décida fut l'adoption, par la famille, d'un autre garçon. Un gars un peu basané, d'un an son aîné, qui s'appelait Ash. Noïd comprit, en voyant Logan interagir avec lui, qu'il s'agissait d'un de ses protégés. Il avait du le connaître bien avant lui.
Et en les regardant, en les voyant rire, en voyant Logan appeler Ash « mon fils », il ressentit un sentiment qu'il pensait ne jamais connaître.
Il fut jaloux.

Il rongea sa frustration pendant quelques semaines, espérant sans trop y croire que Mary allait renouveler sa proposition. Elle n'en fit rien, consciente de ce qu'éprouvait son protégé, mais bien décidée à ne pas lui mâcher le boulot.
Elle le laissa piquer une crise de jalousie, lui colla une droite pour le calmer, et patienta. Jusqu'à ce qu'il lui avoue que lui aussi, il avait envie de l'appeler « Maman ». Et qu'elle l'appelle « fiston », en retour. A ce moment, elle lui fit le plus radieux des sourires qu'il lui avait vu, et le serra contre lui.
Quelques temps après, l'adoption était officialisée, et Noïd troqua son nom qu'il détestait pour celui de « Payne ». Il n'avait jamais été aussi heureux.

Noïd passa plusieurs années dans sa famille adoptive, entouré de Mary, Logan, Ash et ses autres frères et sœurs. Ils étaient douze frères et sœurs, et deux parents. Il n'avait jamais ressenti une telle proximité avec qui que ce soit auparavant. Sa famille devint sa meute.

Dès qu'il fut en âge de travailler, il chercha un boulot. Il ne voulait pas être un boulet pour sa famille, et voulait contribuer financièrement à la famille Payne. Il devint ainsi agent de sécurité, mettant à profit son talent à coller des gnons et à paraître menaçant.
Il prit également un appartement, ayant des envies d'indépendance, mais en choisit un à deux pas de sa famille. De temps à autre, ses pulsions de sorties à la rue le reprenaient, et il traînait dans les bars, consommant un peu tout et n'importe quoi, mais sans jamais se laisser à l'addiction.

Un soir, alors qu'il s'approchait des vingt-quatre ans, il rencontra une femme dans un bar. Une russe, qui lui semblait un peu dérangée, mais prodigieusement attirante. Ils picolèrent ensemble, et finirent dans le même lit. Noïd comme elle étant complètement pété, aucun ne fit attention à ce qui se passait et ils ne se revirent plus jamais, ayant juste échangé leurs numéros de téléphone.

Les années s'écoulant, et l'influence de la famille Payne continuant à l'aider, Noïd s'apaisait de plus en plus. Ses vingt-huit ans passés, il maîtrisait de mieux en mieux sa transformation, et ressentait de moins en moins le besoin de sortir le soir. Il se rangeait, se faisait des amis, et commençait enfin à vivre paisiblement sa vie.
Jusqu'à l'Armageddon qu'il se prit un soir en rentrant du boulot, par un coup de fil provenant d'un organisme qu'il avait oublié.
La protection de l'enfance.

On lui demanda de venir, parce qu'on avait quelque chose d'important à lui dire. Nerveux, il se fit accompagner par Mary. Lorsqu'il entra dans le bureau de la personne qui l'avait appelé, ce fut pour y prendre le plus gros choc de sa vie.
La femme avec qui il avait passé la nuit était tombée enceinte, et avait eu un enfant qu'elle avait choisie de garder. Une petite fille qu'elle avait appelé Mika.
Les choses s'étaient gâtées par la suite. La mère s'était retrouvée mêlée à se sales histoires qui impliquaient la mafia russe, et avait finie par commettre l'irréparable. Vendre sa fille.

Noïd et Mary, restèrent bouche bée devant le récit. Le gars de la protection de l'enfance leur expliqua qu'il ne savait pas trop ce qui s'était passé par la suite, que Mika était sans doute passé dans un réseau de trafic d'enfants, jusqu'à ce qu'elle se fasse finalement retrouver par les services de police. Depuis lors, alors qu'elle n'avait pas plus de quatre ans, elle n'avait pas prononcée un mot.
La mère fut retrouvée, et incarcérée. Une enquête fut menée, afin de voir si le père pouvait être retrouvé... Et finalement, la piste les mena à Noïd Payne, père légitime qui s'ignorait. Avant de songer à la placer, il fallait savoir si celui-ci désirait prendre sa fille en charge.

Pendant une poignée de secondes, Noïd resta planté comme un con sur sa chaise. Puis il péta un câble, incapable de se contrôler, et se transforma.
Mary, qui avait prévu le coup, se chargea de le contrôler et le ramena dans la famille Payne. Pendant plusieurs jours, il reste prostré, incapable de réfléchir convenablement.

Il avait peur. Peur de cette paternité qui lui tombait d'un coup sur le coin de la figure, peur de devoir assumer la charge de la vie d'une petite fille qui dépendrait de lui.
Depuis toujours, il n'avait toujours géré que lui-même. C'était sa vie, ses choix. Les décisions qu'il prenait n'impactaient toujours que lui. Et soudainement, on voulait lui imposer autre chose. Une fille. Un être qui serait dépendant de lui, qui serait blessé par ses décisions.
Pour la première fois, Noïd se sentit complètement dépassé par les événements qui lui arrivaient. Il ne pouvait pas assumer cette petite, il le savait. Qu'est-ce qui se passerait s'il était un mauvais père ? S'il la blessait ? S'il reproduisait avec elle ce que sa mère avait fait avec lui ?

Non... Non, il ne reconnaîtrait pas cette enfant. Il ne fallait pas qu'il soit son père.
Il en parla à Mary. Avant qu'il comprenne, elle lui logea son poing dans la figure. Pendant un instant, il ne comprit pas. Puis il vit le visage de sa mère.
Pour la première fois depuis qu'il la connaissait, il voyait Mary dans une colère noire. Alors qu'elle le cognait, elle lui hurla qu'il allait abandonner sa fille, en le traitant de tous les noms. Il protesta comme il le put, incapable de réfuter les mots de la louve adulte.
Il tenta de lui dire qu'il avait peur de faire comme sa mère biologique, mais elle balaya ses excuses d'un geste de la main, avant de le gifler à nouveau. Ce fut à cet instant qu'il réalisa qu'elle pleurait.

- « SI TU DOUTES, C'EST QUE TU PREOCCUPES D'ELLE, ESPECE DE DEBILE ! TANT QUE TU TE FAIS DU SOUCIS, TU SERAS JAMAIS UN MAUVAIS PERE ! TU VEUX VRAIMENT QU'ELLE VIVE LA MÊME CHOSE QUE TOI ? »

Cette phrase, plus que les coups, le firent tomber à genoux. Il resta sonné pendant quelques secondes, le temps que Logan entre dans la pièce, tentant de calmer Mary. Puis il rampa pathétiquement vers les jambes de sa mère adoptive, les enlaça et commença à pleurer.
A pleurer très fort.

La discussion dura des heures. Il fallut attendre que le fils et la mère arrêtent de pleurer, que Logan leur apporte trois tasses de café chaude, pour qu'enfin ils puissent commencer à échanger. Des conseils. Des paroles réconfortantes. Des promesses d'aide.
Tout ce qu'avait besoin d'entendre Noïd, qui cette fois ne pouvait pas se sortir de cette situation par la force des poings. Lorsque finalement la discussion s'acheva, il avait pris sa décision.

Il allait devenir papa.