La période de Noel était une période que j’appréciais plus que beaucoup d’autres périodes. Les décoration, la bonne humeur, la famille, la double famille même puisque mes parents étaient divorcés, le Père Noël ici, en Louisiane, les Buñuelos a Mexico chez ma mère et même les piñatas que mon père avait largement adopté depuis son mariage et malgré leur séparation. Bref. Tout me plaisait. Tout, ou presque car ce Noël là allait être un peu différent.
Jusque-là, et par tradition, je passais les 8 derniers jours de l’Avent au Mexique, puis je rentrais le 25 pour passer Noël avec mon père et le tout sans quitter ma sœur d’une semelle. Le fait était que cette année… Tout était un peu chamboulé. Ma mère avait dû quitter son domicile avec son nouveau mari pour s’occuper de ma grand-mère, souffrante. Oh pas grand-chose, mais suffisamment pour qu’elle ait besoin de repos. Ma sœur, elle, avait décommandé chaque fête pour les passer avec son « cher et tendre » (un garçon des plus désagréable à mon humble avis). Quant à mon père…  Il restait mon père, adorable papa qui ne savait que trop peu s’arrêter de travailler. Si peu… Qu’il avait accepté de partir en Grande Bretagne jusqu’au début d’année prochaine.
Et voilà comment j’allais donc me retrouver à passer les fêtes seule, avec mon chat. D’ailleurs, plus le temps avançait, plus je me disais que j’allais finir par devenir une femme à chats. Une de ces vieilles femmes qui finissent par se faire dévorer par leurs animaux… Enfin. Si l’heure avait été au mécontentement, il ne l’était plus car avant même que les fêtes n’arrivent, je me devais d’honorer une tradition bien ancrée dans ma famille : le bénévolat.
Depuis toute jeune, mes parents m’avaient donné le goût de ce bénévolat. La soupe populaire, l’aide aux devoirs des familles pauvres, le soutien moral pour d’autres… J’avais dû goûter à tout. Ou au moins à la plupart des domaines. Habituellement, c’était avec ma sœur que je le faisais en Nouvelle Orléans, avant de rejoindre ma mère à Mexico pour d’autres actions entre filles. Mais cette année… Hé bien comme Noël, je me retrouvais complètement seule. Et sans mon chat, puisqu’il n’allait sûrement et malheureusement pas être accepté pendant mes heures de bénévolat. Enfin. Ce n’était pas « grave ». Bon, je n’allais pas dire que cela me rendait joyeuse de me retrouver seule, mais après tout, si personne de cette famille ne le faisait, moi, j’allais respecter nos traditions ! Alors quand la Fédération sous couvert de la ville avait « invité » tous ses employés à faire preuve de « générosité » durant cette période de souffrance pour certains, j’avais bien sûr tout de suite accepté.

Le seul souci, si cela pouvait en être un, était que nous devions faire équipe avec une seconde personne. Alors… Dans les fait, cela ne me dérangeait pas, j’avais l’habitude de tout faire en duo, mais… Avec ma sœur. Pas avec Pierre, Paul ou Jacques. Surtout que je ne savais même pas qui allait devoir me supporter. Oui, oui, me supporter, parce que j’étais réellement heureuse et démonstrative de ce bonheur.

Un grand sourire sur les lèvres et me voilà déjà à mon poste, ou presque, devant la maison de retraite, avec mon badge de la Fédération, habillée d'une tenue des plus... Festive. Ou dans le thème. Voilà. Dans le thème. Comme à chacun de mes bénévolat. Et à attendre mon binôme. Qui cela allait-il pouvoir être ? Tout ce que je savais, c’est qu’il s’agissait d’une personne du secteur scientifique. A vrai dire, je ne connaissais pas vraiment les employés de ce secteur, seulement quelques rares… Oh… Peut être allait-ce être Thomas. Il était grand, fort, souriant, amusant… Oh oui ! Ça serait parfait ! Ou Matt ? Matt, un petit à lunette mais toujours une blague pour détendre l’atmosphère. Ou Mary alors ! Je m’entendais vraiment bien avec Mary, nous pouvions parler des heures de shopping et de musique !
Mes pensées furent interrompues par la sonnerie de mon téléphone portable. Je ne comprenais pas du tout ce que disaient les chanteurs mais… Le rythme était sympa alors cette musique était ma sonnerie depuis bientôt un an.

-  ¿Abuelita?*

Ma grand-mère ne m’appelait vraiment fréquemment, autant dire que j’étais tout de même plutôt surprise. D’autant que ce n’était pas vraiment le moment d’avoir cette conversation…

- Tu madre me dijo que tu hermana estaba pasando las vacaciones con un hombre. ¡Un hombre, Muñeca! Espero que vengas. Sé que tu mamá no quiere, ¡pero abuelita cuenta contigo! No eres como tu hermana rastro ...*1

Non, décidément, ce n’était vraiment pas le moment d’avoir ce genre de discussion. D’autant plus que je n’arrivais pas à placer le moindre mot, ma grand-mère accablait ma pauvre sœur. Et si j’étais d’accord sur le fait que son copain n’était pas franchement fréquentable… Je trouvais cela un peu dur quand même.

- Madre de Dios…

Ce n’était VRAIMENT pas le moment. Fixée devant moi, je venais de voir qui allait être mon binôme, et ce n’était ni Matt, ni même Mary. Non. C’était pire. Enfin pire. Je m’entendais. Il s’agissait du responsable du secteur scientifique. Nathan Kane de son petit nom. Le diable, à en croire beaucoup de collègues. Désagréable au possible, personne ne l’avait vu sourire, certains s’étaient même imaginé qu’il avait été botoxé et que cela l’empêchait de sourire.
Secouant la tête, j’éclaircis ma voix en lui adressant un large sourire. Concentrée Mandy ! Après tout, ce n’était que des rumeurs, je n’avais jamais eu à faire à lui jusque-là, ma responsable étant chargée de toutes les relations avec les autres responsables. Peut être les autres se faisaient-ils une fausse image…

- ¿Muñeca?*2

Mince. J’en avais oublié Abuelita.

- Te llamaré más tarde, abuelita. Tengo que ir a trabajar.*3
- Trabajar ? ¿Sábado noche? No estás con un hombre, espe...*4

Avec quelque peu de précipitation je raccrochai. Elle allait me massacrer pour avoir osé lui raccrocher au nez mais… Mieux valait que Monsieur Kane n’entende pas ses remontrances s’il parlait espagnol. Toussotant quelque peu, je m’approchai du responsable sans que mon sourire ne quitte mes lèvres.

- Bonjour Monsieur Kane ! Comment allez-vous ? Je m’appelle Amanda Whitted, mais vous pouvez m’appeler Mandy, après tout allons-nous passer la soirée ensemble ! Vous êtes prêt pour mettre un peu de joie ici ?

Les deux mains jointes devant moi, j’avançai vers l’entrée, visiblement heureuse d’être ici. Nous allions en avoir pour quelques heures, alors autant mettre un peu de bonne humeur dès le début !

Translations:

Bon… Que l’on soit d’accord. Cet homme avait tout SAUF l’esprit de Noël, et encore, tout, je m’entendais. Il allait me faire penser que les rumeurs étaient vraies là. Il allait falloir, du coup, que je découvre si, oui ou non, il avait subi une cure du botox. D’ailleurs son regard ne me plaisait pas vraiment. Qu’avait donc ma tenue ? Elle était parfaite pour l’occasion ! En somme, j’étais rarement « mal » habillé, à mon sens. J’aimais la mode, ou tout du moins me sentir élégante en tout temps, ou presque. Alors il n’avait certainement pas intérêt à dire du mal de ma tenue. Une chance pour lui, ou pour moi d’ailleurs car ma légère façon de dire les choses risquaient de me faire oublier sa position hiérarchique par rapport à la mienne. Bah ! Tant pis ! De toutes les manières, ce n’était pas mon chef alors… Bref ! Une chance, l’un des employés de la maison de retraite fit son apparition, tout sourire. Au moins, ce dernier semblait-il de bonne humeur, parfait ! Je ne serais pas la seule à avoir le sourire !

- Bonsoir ! Le saluai-je d’un grand sourire. Ravie de vous rencontrer ! Nous avons hâte de commencer ! N’est-ce pas ?

Un regard vers l’homme qui m’accompagnait et je suivis l’aide-soignant à l’intérieur de la bâtisse. Ce dernier nous mena jusqu’à ce que j’estimais être la salle de repos, alors transformée en salle des fêtes. Particulièrement bien décorée, j’esquissai un large sourire à l’encontre de notre guide, commentant avec enthousiasme les décors autant que le buffet qui nous faisait face.

- Je suis certaine que cette soirée de Noël va être parfaite ! M’enthousiasmai-je à nouveau. Nous ferons notre maximum pour, Mathias !

Un énième sourire, et je me décidai à approcher ce Grand Machin de Diable qui me servait de binôme. Un homme qui ne semblait véritablement pas heureux de se retrouver ici. Bon. Je voulais bien que l’aspect chrétien et d’amour de toute cette affaire ne touche pas toutes les personnes de ce monde. Mais tout de même ! Comment ne pouvait-on donc pas être touché par la joie de ces fêtes ? Les décorations, les sourires sur le visage des gens, les cadeaux, les musiques de Noël… Cela… Non vraiment, c’était un mystère pour moi. Et je n’aimais pas les mystères de ce genre. Ces petits vieux et moi allions montrer à ce Monsieur Kane que le bénévolat à Noël était l’une des plus grandes joies que l’on puisse donner et recevoir !
Et puis d’ailleurs… Qu’est ce qu’il était en train de marmonner ? Lui faire ça ? Mais lui faire quoi ? Peut-être avait-il des problèmes en fin de compte… Oh oui bien sûr, voilà pourquoi il faisait la tête. Peut-être avait-il des problèmes dans sa vie privée… Cela expliquerait beaucoup de chose sur son comportement et j’allais donc devoir lui faire oublier ses soucis le temps de la soir…

J’arquai soudain un sourcil en l’écoutant prendre parole. Qu’est-ce que ?... Alors ça… Je n’eus pas le temps de répondre qu’il me plantait là, visiblement surprise et perplexe quant à ce qu’il venait de dire. Ce Monsieur Kane venait tout simplement de me dire de faire tout le travail et qu’il ne ferait aucun effort. Alors ça. Les yeux rivés sur lui, je l’observai, encore interdite, se servir du chocolat avant de plisser les yeux. Alors CA !
Mais déjà, Mathias venait nous présenter, et c’est avec un immense sourire chaleureux que je me tournai vers notre public de la soirée.

- Bonjour tout le monde ! Lançai-je à tue-tête. D’abord, laissez-nous vous souhaiter un Joyeux Noël ! N’hésitez pas à venir nous voir, nous vous servirons des boissons chaudes et des gourmandises !

La présentation passée et profitant de la petite effervescence qui allait nous laisser quelques secondes de calme, je me dépêchai vers le responsable scientifique pour me planter devant lui, une main sur la hanche.

- Que vous soyez un responsable ou pas, je m’en moque. Soufflai-je à l’encontre du Diable. Vous êtes ici alors vous allez vous aussi « donner de la joie », Nathan.

Son prénom, oui, oui. Je l’avais appelé par son prénom pour la simple et bonne raison qu’il n’était pas mon supérieur ici, indirect ou pas, mais bien un représentant de la Fédération, au même titre que moi. D’ailleurs, et sachant que c’était effectivement un moyen de faire de la communication, il devrait même être sous mes ordres à cet instant puisque j’étais la plus qualifiée d’entre nous ! Quoiqu’au vu de sa façon d’être, même sans être dans la communication, j’aurais été plus qualifiée que lui dans le bénévolat…

- Ex… Excusez-moi… Pourrais-je avoir un chocolat chaud et quelques biscuits, s’il vous plait ?

Je me retournai, reprenant mon sourire habituel, vers notre première pensionnaire. Une petite vieille dame à l’air adorable qui nous regardait avec de grands yeux bruns.

- Bien sûr Madame ! Lançai-je vivement. Nathan va se faire une joie de vous servir !

Je jetai rapidement un coup d’œil vers lui afin de lui faire comprendre que je l’observais, et je n’allais certainement pas craindre de lui rentrer dans le lard s’il refusait de faire un effort, pour le bonheur de ces petits vieux adorables !
En attendant, moi, je fonçai aider Mathias à allumer le karaoké, visiblement demandé par l’assemblée. Riant aux blagues de l’aide-soignant avec les pensionnaires, nous mîmes plusieurs minutes à réussir à allumer le tout correctement, sûrement déconcentrés par nos propres rires, d’ailleurs. Une fois que ce fut chose faite, enfin, je retournai auprès de mon collègue, l’air bien plus détendu.

- Tout se passe bien ici ? Dis-je en venant servir un premier petit vieux. Et Joyeux Noël, Monsieur ! Ponctuai-je en avant de me servir une tasse de café. J’adore cette période, pas vous ? Demandai-je au scientifique, profitant d’un instant de répit.

Non ? Comment pouvait-on répondre non de façon si détachée à cette question ? Juste… Non ? Il n’aimait pas Noël ? Mais qui de sain d’esprit n’aimait pas Noël ? Bon… A bien y réfléchir, je connaissais sûrement des gens qui n’aimaient pas Noël, mais dans ce cas-là, ils ne ressemblaient quand même pas au Grinch ! Oui oui, au Grinch, car c’était là ce que j’avais face à moi. Un Grand Machin aigri. Ne manquait que le vert et un peu plus de poils au menton pour en faire un vrai. Je soupirai malgré moi à sa remarque. Faire semblant… C’en était presque triste, à vrai dire. Il avait beau être le « Diable de la Fédération », je finissais par le trouver presque triste.

- Tout le monde à le choix. Dis-je doucement malgré tout. Mais si vous êtes là, j’ose seulement espérer que vous rendrez, de votre propre gré, la soirée de ces personnes plus agréables.

… Sérieusement ? J’essayais d’être agréable et voilà comment on me remerciait ? Bien sûr, je n’attendais pas de remerciement, d’applaudissements ou autre, d’ailleurs je préférais être loin de la reconnaissance des gens mais tout de même ! Il venait tout de même d’être particulièrement désagréable et de manière tout à fait gratuite. Et ça, ça ne passait pas avec moi. Et d’ailleurs, il était hors de question que je l’appelle « Monsieur Kane » non. Ça serait lui donner trop d’importance aujourd’hui.
Capable de me faire virer ? Hé… Bon. Ce serait mentir de dire que ça ne m’avait pas traversé l’esprit. Sûrement en serait-il capable, mais ma raison m’ordonnait de lui clouer le bec à celui-là ! Et j’étais de toutes les manières excellente dans mon métier, alors j’imaginais mal ma responsable se décider, à cause d’un Grand Truc comme ça, à se passer de moi.

Gonflant quelque peu les joues en guise de désapprobation, je me tournai doucement vers lui, les yeux plissés tandis que les premières chansons de Noël chantées par nos pensionnaires résonnaient dans la pièce.

- Je dirais surtout que je sais où vont les priorités, Nathan. Répondis-je en insistant sur son prénom. Et si vous pensez que s’occuper des autres n’est pas une occupation, alors vous n’avez strictement rien compris à ce qui est important dans la vie.

Le fusillant presque du regard, je me dirigeai, reprenant mon sourire et mon attitude habituelle vers les jeux de réflexion où attendaient quelques personnes. M’installant au jeu d’échec, j’esquissai un large sourire à mon adversaire.

- Vous savez que je ne vous laisserais pas gagner ? M’amusai-je
- Oh, crois-moi ma petite, j’étais un champion dans ma jeunesse !
- Mais elle, elle est encore jeune vieux schnock ! Commenta une pensionnaire

Un rire franc et sincère et je secouai la tête attrapant le premier pion pour le bouger.

- Peut être que sa sagesse va rattraper sa mémoire… Plaisantai-je
- C’est qu’elle est moqueuse !

A nouveau, les rires fusèrent dans la pièce. A vrai dire, je n’étais franchement pas la plus douée à ce jeu, et il réussit à me battre beaucoup trop facilement. Mais au moins avait-il l’air fier d’avoir battu une « petite jeunette trop sûre d’elle », et c’était bien là l’important ! D’ailleurs… Il allait peut-être pouvoir en battre un autre. Un coup d’œil vers mon collègue, et je lui affichai un large sourire, preuve que mon petit « coup de gueule » était bien passé. Je ne restais, de toutes les manières, que rarement en colère longtemps. Inutile et fatiguant, d’après moi, que de se concentrer sur les sentiments négatifs.

- Vous êtes prêt pour une autre partie, Monsieur Stevenson ?
- Avec toi ? Tu viens de perdre !

Secouant la tête, je quittai ma chaise pour me diriger droit vers le scientifique que j’attrapai par le bras pour le mener jusqu’à la chaise. S’il n’avait pas été si imposant, je l’aurais même forcé à s’asseoir, mais je devais avouer que je comptais bien sur sa bonne volonté pour cela.

- Avec Nathan ! Décrétai-je tout sourire. C’est un grand scientifique donc je suppose que les échecs n’ont aucun secret pour lui, comme tous les geeks, non ?

Bien sûr, je plaisantais, en témoignait l’amusement qui ne pouvait que se voir sur mon visage. Les mains alors jointe devant moi, je me plaçai en tant qu’arbitre, regardant l’un et l’autre des participants.

- Nathan, vengez mon honneur ! Il en va de votre devoir de chevalier ! Et parce qu’il m’a quand même mis une sacrée dérouillée…

Par ce jeu, j’espérais sincèrement que le Grinch s’adoucisse un peu malgré tout. Je n’attendais pas qu’il se mette à hurler de joie, bien entendu, mais avoir une personne tendue au possible à mes côtés ne me plaisait pas, et d’ailleurs ce n’était pas à cause de la situation juste… Je voulais que les gens que je côtoyais, de près ou de loin, se sentent bien, et ce Monsieur Kane allait donc être ma prochaine victime. J’allais lui faire apprécier Noël.

Sérieusement, même quand j’essayais l’humour, il restait fermé comme une huître. J’allais vraiment finir par croire qu’il avait été trop botoxé pour sourire celui-là. Tout de même ! Ils auraient pu me mettre avec quelqu’un de plus agréable… Observant le plafond je me mis à réfléchir tandis que le vieillard « invitait » Nathan à prendre place devant lui. Peut-être que… Peut être que c’était une épreuve de Dieu pour tester ma résistance à l’enfer, parce que l’enfer c’est les autres disait Sartre, mais pour moi, actuellement, l’enfer, ou plus exactement le Diable, ça ressemblait au Grand Machin assis à la table d’échec.
Tu vas voir Dieu. Pensai-je. Tu ne m’auras pas comme ça ! Je suis plus forte que le Diable botoxé !

Reprenant parole, je ne pus m’empêcher d’observer un très léger sourire du coin de ses lèvres. OH ! Il savait ! Il savait comment utiliser sa bouche pour esquisser une petite chose qui ressemblait à un sourire. Bon. Ce n’était pas gagné, mais au moins il avait des muscles qui semblaient fonctionner. Ce qui était un grand pas dans l’apprentissage du sourire. Cela dit, je me mis à mon tour à sourire, très peu touchée par les piques lancées par mon collègue, et même amusée par sa réflexion. Aux personnes dotées des mêmes réflexes que les chefs de guerre avait-il dit ? Voyons cela. La partie commençait déjà. Nous étions tous silencieux autour de la table, fixés sur les deux participants. Qui allait être le chef de guerre ?

La réponse ne tarda pas à venir. Et ce n’était pas celle à laquelle je m’attendais. Le Diable s’était fait battre par un petit papy ! Applaudissant le résultat, j’allais me mettre à rire à la réaction de Monsieur Stevenson lorsque Nathan se leva brusquement. Arquant un sourcil, je l’observai quelque peu dubitative d’une telle réaction. Hé bien. En voilà un mauvais perdant. D’ailleurs… Le voilà qu’il quittait son poste ! Non mais ! Avançant d’un pas l’air agacé, j’allais le rejoindre lorsqu’une main me rattrapa.

- Laisse le, il va revenir. Me dit doucement M. Stevenson. J’étais comme lui à son âge. Et perdre contre un vieil homme, ça n’est jamais très agréable, avait-il ajouté en riant.

Une légère moue au visage et je soupirai. De toutes les manières, il pouvait bien faire ce qu’il voulait. Autant ne pas avoir un Grinch dans une fête de Noël. Cela dit, il faudrait qu’il arrête de prendre du chocolat. Ça faisait déjà la deuxième fois. Le chocolat, c’était fait pour donner le sourire, pas pour être renfrogné ! Oh d’ailleurs… Une idée. Attrapant un papier, je griffonnai quelques mots dessus avant de m’arrêter, réfléchir et reprendre pour compléter et l’accrocher au distributeur de boisson. Voilà ! Mmh... Il allait falloir que je m'entraîne à dessiner des sapins moi. Mais si avec ça je n’avais pas de sourire… Je soupirai. Je n’aurais pas de sourire. Le pire c’est que je le savais. Mais au moins… J’offris mon plus beau sourire au premier pensionnaire. Au moins les retraités, eux, semblaient heureux et ravis de l’initiative sourire que j’avais pris !

A vrai dire, je fus presque surprise de voir Nathan revenir. Monsieur Stevenson avait donc raison ? Bah. C’était tant mieux. Un soupir et je secouai la tête, attrapant un morceau de brownie tout chocolat pour m’avancer vers lui et le lui tendre.

- Tout va bien, Nathan ? Demandai-je doucement. Je fronçai quelque peu les sourcils. Dites-moi. Est-ce que vous pensez que vous pourriez m’apprendre à jouer aux échecs ? J’ai toujours voulu devenir meilleure mais je n’ai jamais trouvé de bon professeur.

Peut être qu’en le brossant dans le sens du poil, et même si je ne m'étais jamais vraiment intéressée aux échecs, il serait alors de meilleure humeur ? Je devais avouer que j’arrivais à bout de mes techniques de communication psychologique. Il m’en restait encore deux ou trois, mais… J’allais finir par désespérer. Enfin non ! Jamais ! Ne jamais désespérer, surtout durant la période de Noel !

- Nous pouvons prendre une pause, soufflai-je alors. Est-ce que je peux vous inviter à prendre un… Je plissai les yeux. Il n’avait pas pris de café, juste du chocolat. Un chocolat avec moi ? L’espace de quelques instants seulement, c’est promis.

Agacé même quand on lui demandait une chose censée être agréable ? Non mais… Décidément, j’allais avoir du mal à le dérider et je devais avouer que cela avait tendance à me stresser un peu. Je ne savais pas franchement sur quel pied danser et je craignais que son humeur massacrante ne se reflète sur les pensionnaires. Enfin. Au moins, il venait d’accepter la pause et les échecs. M’installant face à lui en sirotant ma boisson, j’écoutai très attentivement ses consignes. Bon. Déjà. Ce n’était pas la reine qu’il fallait prendre… Ce qui expliquait pourquoi je n’avais gagné aucune partie depuis que j’avais commencé à « jouer ».

- Mais pourquoi risquer le roi au lieu de décimer l’armée si c’est moins risqué ? M’enquis-je étrangement intéressée par ce jeu long et pénible.

Au moins ses explications étaient-elles claires, et même agréables à écouter. Légèrement souriante, ma boisson terminée, j’avais pu retenir un bon nombre de pièce. Certainement pas tout, mais déjà, j’étais fière de comprendre quelque chose comme ça.
La partie test venait de commencer et, plongée dans mes réflexions, je me demandais quels pions j’allais pouvoir avancer. Et comment l’on pouvait être aussi passionné par ce jeu, d’ailleurs ? Avait-il d’autres passions comme celle-ci ? Oh mais je pouvais peut-être commencer avec le chev… Non le… Mince c’était quoi le nom de la pièce déjà… Oh le cheval ça irait très bien. Il sautait par-dessus les pièces alors…
J’allais d’ailleurs bouger mon cheval lorsque la voix de Mathias me fit sursauter. Chanter ? Oh. Pourquoi pas. Mais d’abord…

- Ca vous dérange si nous finissons la partie ? Demandai-je dans un sourire. Ça nous fera office de pause et réservez no… moi une chanson de Noël pour après !

Au moins Mathias ne fut-il pas difficile à convaincre car il m’assura garder pour moi « Holy Night » lorsque nous en aurions terminé. Parfait ! Un nouveau sourire envers l’aide médicale et je m’en retournai à mon mouvement de cheval.
Pièce bougée, j’arquai un sourire en écoutant Nathan, esquissant même un sourire amusé lorsqu’il se corrigea sur mon nom avant d’être presque surprise par son propre sourire, même si ce n’était pas le sourire de joie auquel je m’attendais. Bon. Donc j’avais la preuve du non botox. Et une rumeur décimée par la grande Mandy !

- Appelez moi Amanda, lui répétais-je en secouant la tête. S’il vous plait. Et puis… Je dois avouer que ce n’est pas difficile de comprendre que vous avez été forcé. Vous ne semblez pas du tout ravi d’être là. Mais… J’observai autour de nous. Même si vous n’avez pas envie d’être là, vous ne pensez pas que les voir heureux de participer à Noël est agréable ? Me retournant vers l’homme j’affichai un nouveau sourire, plus léger, presque plus attendri face aux pensionnaires. Plutôt que de vous sentir forcé et de ne penser qu’au négatif, vous pourriez peut-être voir combien ils adorent qu’on prennent soin d’eux et qu’on fasse attention à eux ? Haussant les épaules, je continuai. Ce n’est certainement pas un le moyen miracle de vous faire apprécier ces quelques heures, mais ce serait déjà un commencement.

Avalant une gorgée de mon café, je toussotai quelque peu. Sa dernière question était presqu’un peu gênante face à tout ce qu’on pouvait dire de lui. Devais-je réellement lui avouer toutes les rumeurs circulant à son sujet ? N’était-ce pas être une mégère que de faire ça ? Etais-je une mégère ? Non ! Absolument pas. D’ailleurs j’étais l’anti mégère. Moi, je défonçais les rumeurs à coup de masse.

- Hé bien… Je crois que vous êtes le plus sujet aux rumeurs. En fait, on dit de vous que vous avez été botoxé ce qui vous empêche de sourire. Que vous avez une salle de torture secrète pour les employés ne faisant pas leur travail… Oh et certains avancent que vous êtes un robot, aussi. Mmmh… Partie comme je l’étais, je semblais soudain plus décidée à tout lui révéler. Ah oui ! Il y a eu la fois où un employé du secteur scientifique est venu en pleur chez nous en vous accusant d’être maléfique. Du coup beaucoup vous appelle « Diable ». Et… Oh il y a le fait que vous vivez dans une maison hanté ce qui vous a rendu aigri... Je réfléchis encore. Je savais qu'il y en avait d'autres mais lesquels... On dit aussi de vous que vous êtes un fantôme puisqu'on ne vous voit jamais à la cafétariat ou même en salle de repos, et certains pensent que vous n'existez que pour faire peur aux salariés n'ayant pas de bons résultats. Il y a aussi Miss Georgiana de la compta qui pense que vous êtes satanistes et que vous avez fait un pacte avec le Diable, mais ça rejoins un peu la rumeur qui dit que vous êtes carrément le Diable... Je me tus soudain. C’était peut-être beaucoup d’un coup tout de même… Enfin voilà… ça fait partie des rumeurs sur vous… et… Hum. Donc… Enfin moi… Je secouai la tête. Je ne vois pas pourquoi je devrais être effrayée. Vous êtes certes grand et plutôt impressionnant quand on y pense mais vous n’êtes ni un démon ni une ghoule ou je ne sais pas quoi d’autre. Doucement, je me mis à rire. Seulement une personne absolument pas ravie de se trouver coincé ici avec une collègue trop remuante.

Faisant une légère moue, je fis avancer le jeu. Je n’allais pas gagner, c’était un fait, mais on pouvait toujours espérer, non ?

- Alors dites moi sinon. Pourquoi vous a-t-on obligé à supporter Noël en maison de retraite ? Je relevai la tête du jeu. Je vous promet que je ne jugerais pas la raison et… Je réfléchis un coup. Et que je ne vous obligerais pas à chanter avec moi. Même si je suis sûre que certaines mamies apprécieraient beaucoup. Dis-je en montrant un groupe de petites vieilles fixées sur lui. Vous devez les changer des hommes habituels, qui sait, plaisantai-je.