Deux ans. Cela faisait désormais deux ans presque jour pour jour que j’étais arrivé à la Nouvelle-Orléans. J’étais chef des succubes et incubes. J’avais fait le tour de pas mal de femmes dans cette ville. Et je m’ennuyais. C’était presque triste à dire, mais je m’ennuyais réellement. Non que je n’ai pas des journées déjà bien chargées, l’hôtel me prenait beaucoup de temps, c’était un fait, mais cela ne me suffisait pas. Non. J’avais toujours besoin de « plus ». Et justement, en parlant de plus de femme, l’hôtel ne me permettait décemment pas de me nourrir comme j’en avais envie. Bien sûr voyais-je un défilé de jeunes femmes plus belles les unes que les autres, mais je n’avais jamais ou rarement l’occasion de les amener à moi. Pourquoi ? Non que l’envie me manquait, mais je dois avouer qu’en tant que chef, et jeune chef, de ce clan, je me voyais malgré tout assez mal « piquer » les proies de mes protégés. Quant aux autres femmes, il s’agissait là de succubes. Si je n’avais aucun remord de les mettre dans mon lit, il allait sans dire que ce n’était pas avec elle que je pourrais me nourrir. Malheureusement. Ainsi avais-je pris la décision de prendre un nouvel emploi, non sans m’assurer que l’hôtel tenait la barre. Mais que faire ? Mon diplôme d’économie gestion en poche, il allait sans dire que je n’avais pas réellement beaucoup de choix, à proprement parlé, dans le domaine, et je n’allais certainement pas compter sur mes quelques shooting pour me faire sortir. La question se portait donc plus sur le « où allais-je exercer ». De nombreux jours, j’avais écumé les petites annonces, les jobboards et autres sites d’emplois de la ville. Il me fallait un endroit sympa, de préférence, jeune et qui bouge. Adieu, donc les entreprises comptable ou trop sérieuses. Adieu les secteurs ouvriers, même si je n’avais rien contre eux, mais sans assez de femmes. Peu d’entreprises restèrent ainsi sur ma liste. Tant mieux ou dommage.
J’eus des entretiens avec les trois premières, des bars et des studios de divertissements. Recalés. Cause ? J’avais dragué sans le vouloir la femme du patron pour la première entreprise. Dans la seconde, je dus paraître trop jeune. Et enfin la troisième, je n’aurais certainement pas dû révéler ma race d’incube par souci de transparence. Ainsi ne restait plus qu’une entreprise. Et quelle entreprise. Il s’agissait tout bonnement du Masquerade Nightclub, la boîte de nuit la plus huppée de la ville. Riche. Fréquentée par la bonne société, ou du moins par leur progéniture, et réellement agréable pour y avoir été client plus d’une fois. Vêtu de mon costume, j’arrivai ainsi avec quelques minutes d’avances. Dix, pour être précis. Toujours ponctuel, c’était là l’une de mes qualités. Surtout dans ce monde occidental toujours en retard. Enfin. Je me présentai au bar, tout sourire et un dossier sous le bras, me frayant un chemin parmi tous les clients du club, bien présents ce soir.
- Bonjour. J’esquissai un sourire charmeur à la barmaid, haussant le ton pour tenter de couvrir quelque peu la musique. Park Min-ho. Je suis attendu par Madame Hale dans le cadre d’un entretien. Je secouai doucement la tête. C’est pour le poste d’Assistant de Direction. J’espère que je ne suis pas trop en avance.
Charmée. Au moins en voilà une qui l’était. Ne restait plus qu’à faire la même chose avec la patronne et le poste serait à moi. Les avantages avec. La jeune femme m’indiqua qu’elle allait prévenir la propriétaire des lieux, me laissant seul avec ma sacoche et mes espoirs. Cinq minutes. C’est le temps qu’il lui fallut pour revenir, me demandant de la suivre jusqu’à un bureau au deuxième étage. Un bureau somme toute très sommaire pour la boîte de nuit qui se déroulait sous nos pieds, mais pourquoi pas. D’ailleurs… Où se trouvait mon bureau ? Une chose que j’allais devoir demander.
Un sourire aux lèvres, sans même contenir le charme dû à ma race, j’avançais pour venir lui serrer la main.
- Madame. C’est un plaisir que de vous rencontrer. Park Min-ho. Je viens pour le poste d’assistant de direction. Lui tendant un papier j’esquissai un nouveau sourire. Voici mes références ainsi que mon curriculum.
Assise à mon bureau, je jetai un coup d’œil à la pendule du coin de la pièce. Déjà vingt minutes. Cela faisait désormais plus de deux mois que je cherchais à embaucher un Assistant de direction. La raison en était simple : le bar ne désemplissait pas et je ne pouvais décemment prendre de vacances sans soutien. Or, si je n’appréciais pas être secondée, préférant prendre toutes les décisions par moi-même et ne jamais avoir à déléguer, je devais admettre que l’idée même de quitter la ville pour quelques jours commençait à me plaire. Pour cela, j’avais rencontré bon nombre de candidats, mais il fallait croire que j’étais bien trop exigeante avec ces derniers. Trop lent, pas assez d’expérience, trop mou, au contraire beaucoup trop autoritaire, peu avenant, vulgaire… A peu de chose près, je devais avoir utilisé tous les qualificatifs négatifs possibles et inimaginables. Ne restait alors que deux candidats. La première se trouvaient en face de moi. Une femme à l’expérience certaine, déjà propriétaire d’un établissement de débit de boisson, dynamique, mais dont la tenue ne me plaisait pas. Trop court. Trop décolleté. J’attendais de mon Assistant une sobriété à toute épreuve. Or. Il me semblait que cette femme ne connaissait que trop peu la sobriété. Pour preuve, d’ailleurs, était-elle cliente régulière, de ses dires, de l’établissements, appréciant tout particulièrement les danseurs. Trop pour moi. Mais à défaut… Elle ferait certainement l’affaire. Un sourire professionnel aux lèvres, j’acquiesçai de nouveau à ses propos tout aussi inintéressants qu’ils puissent être. Encore cinq minutes et deux questions et cela serait fini.
- Dans ce cas, finis-je par souffler en refermant le dossier. Je vous remercie, Madame, de votre venue.
Les cinq minutes étaient visiblement passées plus rapidement que les vingt précédentes. Me levant, je lui tendis la main pour la lui serrer. Mon rappel dépendrait certainement du prochain, et dernier, candidat. Quoique… Tous seraient rappelés. Par celui ou celle qui obtiendrait le poste. Cela serait, d’ailleurs sa première tâche : informer les autres candidats de leur non recrutement.
- La décision sera prise d’ici la fin de semaine. Terminai-je en raccompagnant la candidate à la porte. A bientôt.
Et la porte de ferma. Un long soupir traversa mes lèvres alors que je remettais correctement en place la jupe de mon tailleur. Quinze minutes. C’était le temps que je me laissais entre chaque candidat. Le temps de boire un verre de sang, le temps de boire un verre de vin, en fonction dudit candidat. Cette dernière n’appelait pas à l’alcool, étant bien moins désespérante que bien des personnes qui avaient pu se présenter pour le poste. Mais un verre de sang n’allait certainement pas être de refus. Me rendant directement derrière le bar de l’accès VIP, j’y attrapais le nécessaire pour me remplir un verre, remerciant le barman qui vint à mon aide pour attraper le verre bien trop haut pour moi, avant de revenir dans mon bureau. Soupirant, je me réinstallai dans mon fauteuil alors que déjà trois coups étaient frappés à ma porte. Arquant un sourcil, je secouai la tête. Je n’appréciais pas être dérangée entre deux candidats et chaque employé du club le savait. Néanmoins…
- Entrez. Soufflai-je.
Le visage de l’une de mes barmaids, visiblement gênée de me déranger, et à juste titre, passa par l’encadrement de la porte à peine ouverte.
- Excusez-moi, Elizabeth. Votre prochain candidat est arrivé.
Rapidement, je jetai un coup d’œil à l’horloge. Dix minutes d’avance. Je fronçai les sourcils. Je n’appréciais ni l’avance ni le retard. Lorsqu’une heure était donnée, j’appréciai que mes rendez-vous prennent cette heure comme telle. Grondant quelque peu, j’ordonnai alors à la jeune femme de faire monter l’homme… Monsieur Park. D’après le CV que je sortais de ma pochette. Une chance que je sois particulièrement organisée dans mes dossiers ; je n’avais pas besoin de fouiller à outrance pour trouver ce que je cherchais. Quelques instants plus tard et l’homme apparaissait déjà dans mon bureau. Il ne tarda d’ailleurs pas à se présenter et tandis qu’il me tendait son papier, je secouai la tête.
- Vous vous doutez que vos références ont toutes déjà été vérifiées. Dis-je en l’invitant à s’asseoir en face de moi. J’ai déjà exactement ce qu’il me faut.
Et je n’allais certainement pas m’encombrer d’autres papiers ou CV qui ne me serviraient qu’à faire bonne figure.
- Bien. A quelle heure avions-nous rendez-vous ? Demandai-je pour toute question rhétorique. Vous êtes en avance. Si j’apprécie l’avance de mes collaborateurs, mes rendez-vous se doivent, eux, d’être à l’heure. Mais puisque je n’apprécie pas faire attendre, de mon fait… Commençons. Je vais vous laisser vous présenter. Vous et votre parcours, sans oublier de me préciser pourquoi vous désirez travailler ici. Par la suite, lorsque vous aurez répondu à mes questions, si questions il y a, je vous présenterai le club, les tâches dont mon assistant devra s’occuper, ainsi que les questions d’ordres plus administratifs.
Un carnet de note devant moi, je l’observai attentivement quelques instants. C’était un bel homme, sans aucun doute. Jeune, fringuant, parfaitement bien habillé et dont la tenue était exemplaire. Au moins faisait-il effet aux premiers abords.
- Je vous laisse donc la parole. Dis-je simplement sans le quitter des yeux.
Il n’y avait plus qu’à espérer que le reste soit tout aussi agréable que ce que je pouvais avoir sous les yeux.
J’observai rapidement la femme qui me faisait face. Elégante, sûre d’elle, il dégageait d’elle un quelque chose d’agréable autant que de désagréable. Sûrement devait-elle faire des jaloux dans la gente féminine. En tout ne paraissait-elle pas réellement très avenante, en témoignait sa remontrance quant à l’heure de notre rendez-vous. Doucement, je me relevai pour m’incliner en avant, signe de respect dans mon pays.
- Je m’en excuse, Madame et approuve votre ponctualité. L’erreur ne se reproduira plus.
Mon ton était clair et certain, loin de me démonter face à elle, je devais même avouer que cela m’amusait. Au moins était-elle loin des recruteurs bien parlant que j’avais pu rencontrer, cela, et je l’espérais, ne pourrait donc être que plus facile, et peut être même n’aurais-je pas besoin de mon charme pour y arriver. J’avais, de toutes les manières, besoin de ce travail, nul doute, donc, que j’y arriverais. De gré, ou de force. Quoique cette dernière idée me soit plutôt désagréable. Après tout avais-je toutes les qualités requises pour cette fonction, pourquoi, donc, user d’autre chose que ma personne ? Quoiqu’après tout… Cela faisait aussi partie de moi… Secouant intérieurement la tête, j’esquissai un sourire entendu à sa demande. Parler de moi. Il n’y avait aucun souci.
- Je vous remercie tout d’abord pour le temps que vous m’accorderez. Commençai-je. Je me nomme Park Min-ho. Comme vous pouvez le constater, je suis coréen. Rassurez-vous néanmoins, tous mes papiers sont en ordre et j’ai un droit d’emploi aux Etats-Unis du fait de ma filiation américaine. Un nouveau sourire accompagné d’un hochement de tête rassurant, je continuai. J’ai fait mes études au Gyeongseong Gyeongje Jeonmunhakgyo qui n’est autre que le pôle économique de l’Université de Séoul. Et c’est donc à 22 ans que j’ai eu mon Master. J’ai depuis travaillé dans plusieurs sociétés de tout type, m’occupant particulièrement de la gestion administrative et de l’aide à la comptabilité. Comme vous avez pu le lire sur mon CV, je suis une personne qui sait s’adapter à toutes les demandes. Souvent, d’ailleurs, suis-je venu en être au pôle commercial grâce à mes capacités spécifiques dans ce domaine.
Bien sûr, le commerce était-il un domaine amusant pour tout succube. Notamment lorsque je pouvais tomber sur une femme, plus facile, pour moi, à charmer. J’obtenais bien souvent ce que je désirais, et même un peu plus pour certaines qui se décidaient à me rejoindre le soir.
- Je suis très bon stratège, continuai-je, et obtiens généralement ce que je désire. Peut-être était-ce présomptueux, mais c’était, après tout, le cas. Je dois avouer que votre société est là tout ce qui m’intéresse. Comme j’ai pu le noter, je suis aussi mannequin lors de certains événements, et j’ai pris des cours de danse, sachez donc que je pourrais, si besoin en est, remplacer tout danseur absent. Qui plus est… J’observai rapidement l’employeuse. Votre nature est connue de tous alors je pense pouvoir avancer que je pourrais vous remplacer à tous les rendez-vous en journée s’il vous est impossible d’y aller. J’esquissai un sourire. Cela serait un honneur pour moi, Madame.
Une présentation simple et concise, il allait pour dire, mais je pensais, là, avoir dit l’essentiel de ce que j’avais à dire sur moi, espérant faire passer les quelques qualités que je me trouvais : sûr de moi, charmant et attentif à tous les besoins avant même que l’autre ne me les dise. C’est d’ailleurs ce qui faisait de moi un si bon amant…
Silencieusement, j’entrepris d’écouter le candidat. Park Min-ho… Pourquoi ses diables d’asiatiques mettaient-ils tout le temps le nom de famille devant le prénom ? C’était à s’y perdre. Enfin… Je soupirai. Je n’allais certainement pas faire de discrimination pour cela mais je devais avouer que cela m’agaçait… A moins que ça ne soit lui qui m’agace ? Lui, son absence et son sourire. Plissant les yeux, je l’observai alors. Mmh. Je devais être malgré tout honnête. Une tenue impeccable, une posture parfaite et une présentation ficelée et claire. Il avait plus que la moitié des candidats qui s’étaient présentés ici.
- Quels cours aviez-vous à l’université de Séoul ? Le coupai-je néanmoins en inscrivant quelques notes sur son CV.
Commercial, bon stratège, et… J’esquissai un léger sourire. Obtenant tout ce qu’il désirait, n’est-ce pas ? C’était là un peu prétentieux… Quoique je puisse dire la même chose, preuve néanmoins à l’appui. Pour autant, je devais avouer que l’homme était plutôt agréable à la vue, et que l’imaginer en danseur ne m’étais pas si désagréable. De fait, une double casquette était plutôt bienvenue.
- Vous dites obtenir tout ce que vous désirez. Fort bien. Mais comment ? Des aptitudes en négociation peut être ? En communication ?
A ses derniers mots, je ne pus m’empêcher de lâcher un léger rire, secouant la tête. Pour sûr, ma race était connue, elle m’avait d’ailleurs fait perdre quelques part de marché, mais voilà que l’homme avait raison malgré tout. L’embauche d’un humain, avec la preuve de sa présence en pleine journée, me permettrait de redorer le blason du Masquerade.
- Ce qui vous honore m’importe peu. Notais-je néanmoins. Pour autant, je ne peux que vous donner raison sur le point qu’une présence en journée serait bien plus intéressante qu’un poste de nuit. Actuellement, ce sont mes employés qui ouvrent le club chaque jour. Il va sans dire que mon Assistant aura la charge de cette ouverture, hors jours de repos. J’acquiesçai donc finalement, terminant les notes sur le papier. Sur ce… Puisque vous semblez dire que le Masquerade est ce qui vous intéresse, vous devez certainement connaître cet établissement, mais je vais malgré tout vous en faire un résumé. Nous sommes ici dans un nightclub ouvert chaque jour. L’un des plus grands de la Nouvelle-Orléans. Le prix y est élevé afin de maintenir un certain standing, tant dans les pièces inférieures que dans les carrés et le bar VIP. La société observe quatorze collaborateurs, sans compter le prochain assistant, et des salaires assez conséquents. Une seule chose est ainsi demandée ici. Le travail doit être fait et bien. Rien d’autre. Les horaires sont flexibles pour tous et si tant est qu’il n’y ait pas de faux bonds, je ne suis pas une tortionnaire et rares sont les congés ou demandes de changements qui sont refusés. Pour ce qui est du poste en lui-même, le but sera simple : me suppléer dans la gestion du nightclub. J’ai quelques projets annexes qui méritent mon attention. Il me faut donc une personne de confiance sachant exactement ce qu’elle fait.
Je l’observai quelque peu attentivement, en croisant les bras.
- Bien, une dernière question. Pourquoi le nightclub est-il tout ce qui vous intéresse ? Que désirez-vous donc exactement ? Et pourquoi devrais-je vous prendre, vous ?
Au moins allait-elle droit au but. Me stoppant dans mes explications le temps de sa question, j’hochai doucement la tête.
- De la gestion d’entreprise, comptabilité, juridique en droit coréen et américain, management et un peu de ressources humaines. Tout ce qu’il faut pour gérer une société de A à Z, à vrai dire.
Cette parenthèse terminée, je vins finir mon explication. Explication qui, bien sûr, allait apporter son lot de question, et notamment sur la prétention que je pouvais sembler avoir, bien que fausse. Oui. J’obtenais le plus souvent ce que je désirais. Et voilà que m’était donné le choix, comme dans toutes les sociétés que je visitais. Un choix des plus difficiles. Observant la vampire face à moi dans les yeux, j’hésitai. Il ne m’avait pas vraiment sembler ressentir la moindre hostilité face aux non-vampires, mais je faisais partie d’une race bien peu acceptée dans la plupart des milieux alors…
- Plutôt en communication. Répondis-je. Quoique cela puisse aller de pair avec la négociation.
Décision venait d’être prise, et je me penchai doucement vers elle. Au moins, ce n’était pas quelque chose à laquelle je devais me forcer : la femme assise de l’autre côté du bureau était sûrement l’une des plus belles créatures qu’il m’ait été donnée de voir, et il était bien dommage qu’une alliance orne son annulaire gauche, chose qui n’avait pas manqué d’être remarquée. Ainsi, usant du charme propre à ceux de mon espèce, j’esquissai un léger sourire.
- Pour tout vous avouer, Madame. Je ne suis pas humain. Et c’est sûrement cela qui fait ma plus grande force. Je sais me faire apprécier de tous mes collaborateurs, clients ou fournisseurs. Je sais user de mes charmes pour obtenir ce que je désire sans même beaucoup d’efforts. Et je sais exactement ce qu’il faut dire pour faire plier bien des gens.
Et à mesure que je parlais, mes lèvres venaient se rapprocher de celles de la vampire. Pour tout avouer, l’envie de profiter de cela me traversait actuellement l’esprit. Si elle était réceptive, pourquoi donc me priver d’instants de plaisir, après tout ? Ce n’était qu’un juste retour des choses après tant de portes fermées, puisqu’enfin j’ouvrirais quelque chose, mais si ce n’était « que » ses cuisses. Mais la réalité me revint en pleine figure, et je me stoppai alors à quelques centimètres de ses lèvres. J’espérais que ce ne soit pas le choc que j’ose une telle chose qui l’avait rendu immobile car dans ce cas, je n’aurais certainement pas le travail. Mais dans le cas contraire…
A sa dernière question, enfin, j’esquissai un sourire, me réinstallant au fond de la pièce, droit et parfaitement bien présenté.
- La raison est simple. Vous êtes une entreprise florissante, dans le monde de la nuit. Vous avez un poste qui correspond exactement à mes compétences et mes envies. Le cadre est des plus agréables. Je peux me rendre même utile au-delà de mes fonctions. Et je viens de vous prouver ma force de persuasion.
J’étais donc fait pour ce poste, cela ne semblait vouloir dire que cela. Il n’y avait plus qu’à espérer que la propriétaire des lieux partage mon enthousiasme quant à tout cela.
Attentive, je notais le moindre détail sur sa posture, son ton de voix, aussi bien que ses réponses à proprement parlé. Pour tout avouer, ce candidat semblait tout à fait être idéal pour le Masquerade. Il savait gérer les choses, semblait être un bon commercial, et quand bien même je venais à me tromper sur son compte, la période d’essai n’existait pas pour rien. Ainsi allais-je me contenter de sa réponse concise sur la communication lorsqu’il sembla vouloir me surprendre. Stoïque, arquant un sourcil, je levai alors les yeux vers lui tandis qu’il se penchait vers moi.
- Vous…
Je ne pu dire un mot supplémentaire qu’une chaleur semblait s’emparer de moi. Incapable de bouger, trop perturbée par ce qu’il se passait, il ne me fallut que trop peu de temps pour comprendre ce qu’il en retournait. Un incube. Cet homme n’était rien d’autre qu’un incube. Mes lèvres entrouvertes, je semblais inexorablement attirée par le surnaturel sans pouvoir réellement le maîtriser. Et pourtant, je ne bougeai pas. Réceptive ? je l’étais, et Dieu seul savait que cette chaleur, cette envie de l'embrasser, qu’il faisait naître me dérangeait alors que l’homme qui me faisait face ne se trouvait pas être mon époux. Et justement. C’était parce que cet homme ne l’était pas que mon corps ou plus précisément mon esprit, se refusait à une telle chose. Ainsi lorsque la pression retomba, tandis qu’il ne se trouvait qu’à quelques courts centimètres de mes lèvres, je me mis furieusement à siffler.
- Que les choses soient claires. Articulai-je furieusement, oubliant toute retenue du fait de notre présent entretien. Je me fous de ce que vous pouvez être. Mais approchez-moi encore une fois de la sorte et ce n’est pas seulement un emploi que vous perdrez, Monsieur Park.
Inutile de lui expliquer que j’étais mariée, fidèle et tout ce qui s’en suivait. Je venais d’être particulièrement claire sur ce qu’il pouvait se passer si, à l’avenir, il tentait de nouveau de m’approcher de la sorte. Mais en attendant… je ne pouvais que lui admettre une certaine audace et un talent indéniable pour concentrer l’attention sur lui, que cela soit dû à sa race ou à sa présence. De fait, il m’était tout à fait difficile de faire une croix sur cette candidature malgré son petit jeu de l’instant précédent. Ainsi pris-je un instant de silence afin d’observer le papier puis l’homme qui se trouvait être de nouveau assis à sa place.
- Bien. Repris-je de façon plus professionnelle qu’auparavant. Je ne vais pas allée par quatre chemin. Si mes équipes ici sont bien payées et bien traitées, il va sans dire que j’attende de celles-ci une efficacité à toute épreuve. Vous commencerez dès lundi prochain. Votre première semaine se passera en doublon avec moi, de nuit, donc. Nous discuterons de vos horaires et jours de repos lors de vos premiers jours.
Décision avait été prise. Il serait embauché, ou tout du moins pris à l’essai le temps de voir ses réelles capacités au poste. Après tout, il avait été quelque peu le seul à me convaincre sur la plupart de mes points d’attention. Or, j’avais besoin d’une personne immédiate alors… Autant ne pas tarder.
- Votre contrat sera prêt demain à l’ouverture et sera disponible au bar. Je compte sur vous pour ne pas arriver en plein rush afin de le récupérer. Quant au reste… Je ne le dirais qu’une fois, Monsieur Park. Je suis votre supérieure. Je ne serais ni une amie, ni je ne sais quelle autre idée. Alors gardez pour vous vos tours d’incube. Je suis patiente et compréhensive, mais mes limites peuvent rapidement être atteinte. Est-ce bien clair ?
Doucement, je vins me lever pour tendre la main vers lui.
- Sur ce. Je vous souhaite donc la bienvenue au Masquerade. Je suppose que vous savez désormais où se trouve la sortie. Je vous dis donc à lundi. Vingt trois heures.
La réponse de la vampire fut encore plus intéressante que ce que je pouvais imaginer. Elle ne bougea pas, luttant visiblement avec elle-même contre les envies que je devais faire naître en son sein. Au moins son mari pouvait-il se targuer d’avoir une femme plus que fidèle car j’avais bien rarement vu telle résistance. Mais son visage, ses traits ne pouvaient m’indiquer qu’une chose : cela fonctionnait. Ce Monsieur Hale était bien chanceux d’avoir une femme comme elle. Le charme cessant, je restai alors à quelques centimètres d’elle en l’observant, l’air presque amusé malgré la situation délicate dans laquelle je m’étais mis. J’accueillis d’ailleurs sa protestation avec un simple hochement de tête. Hé bien. Au moins était-elle tout à fait claire. Et étrangement… Je doutais sur le fait que ce ne soit là qu’une parole en l’air tant la colère pouvait désormais avoir remplacé l’envie. Je soupirai alors. J’avais joué, j’avais perdu. C’était là le triste sort de ma vie et je venais de faire une croix sur le dernier entretien que j’avais pu décrocher. Je m’apprêtai alors à me lever lorsque la voix de la directrice s’éleva dans la pièce, me faisant arquer un sourcil. Je commençai… Oh. Un léger sourire s’afficha sur mon visage alors que je prenais un calepin pour y noter les informations. Comme quoi, l’audace et ma capacité à subjuguer mon interlocuteur pouvait être tout à fait payants.
- C’est tout à fait clair, Madame. Dis-je alors en hochant la tête. Je ne voulais que vous faire la démonstration de mes compétences, rassurez-vous. Loin de moi l’idée de dépasser les limites.
Mensonge tout à fait éhonté. J’avais eu cette idée, et, à vrai dire, je l’avais encore. Cette femme prendrait au moins trois places dans ma liste de conquêtes si j’arrivais à l’avoir, pour sûr. Mais visiblement, j’allais devoir batailler pour, et surtout risquer ma vie, ce qui n’était pas forcément dans mes priorités… Enfin. Voilà une chose que j’aurais toute l’occasion de voir plus tard, maintenant que j’étais embauché. Venant serrer la main de la blonde en me levant, je me penchai en avant, signe de respect.
- Je vous remercie sincèrement, Madame Hale. Et serait là sans faute demain pour le contrat et lundi pour mes débuts dans votre entreprise.
C’est sans attendre qu’elle ne change d’avis que je tournai alors les talons, non sans un au revoir des plus chaleureux, pour quitter la pièce. C’était bon. J’avais réussi. J’avais un emploi dans mon domaine et le plus grand club de cette ville. Un soupir et il était temps pour un bon whisky quelque part, entouré d’une femme ou deux, histoire de fêter cette réussite.