Quatre rendez-vous dans la soirée. Deux appels téléphoniques et une dizaine de dossiers en retard. Voilà à quoi ressemblaient chaque jour cette semaine. J’avais l’impression de ne jamais m’en sortir. D’ailleurs… Peut-être n’était-ce pas seulement une impression au vu de la pile de papier qui ornait désormais mon bureau. Des soucis entre vampires, entre races, des comptes rendu de réunion… Et, je devais l’avouer, un bon nombre de dossier sur les plantes dont j’avais à m’occuper au Jardin Botanique. Certes. Mais tout de même. Cela faisait du dossier à apprendre en plus, après tout !
Je venais de terminer le premier entretien de la nuit. Enfin. Un entretien, comme tous les autres, pour des postes à l’association. Celui-ci, d’ailleurs, ne ferait pas l’affaire. J’avais bien sûr accepté de le rencontrer, mais son casier judiciaire m’avait indiqué de nombreux vols avec effraction. Impossible, donc, pour moi, de l’accepter au sein de l’association en le présentant au Président. Je tenais, en effet, à ce que mes candidats soient tout à fait propres sur tout rapport. Pas de graves délits, pas d’incivilité sans motif valable. Rien qui ne pourrait, en fin de compte, mettre à mal la réputation de l’Association, notre bijou.
Plongée dans mes apprentissages de botanique, le téléphone sonna. Prochain rendez-vous ? J’arquai un sourcil en observant l’heure. Effectivement.

- Zora, j’écoute ? Décrochai-je.
- Votre rendez-vous est arrivé, Madame Brunner, entendis-je à l’autre bout du fil.
- Oh ! Faites-le monter, s’il vous plait.

Cela ferait quelques minutes d’avance, rien de bien grave, bien au contraire, nous aurions plus de temps pour discuter et cela m’allait tout à fait. Il fallait avouer que le prochain candidat avait, quelque peu, retenu mon attention, ne serait-ce que par ses réponses à son premier contact avec notre standardiste. Une personne visiblement peu habituée à ce genre de chose. Mais je ne m’arrêtais pas à cela. Bien au contraire. Gestionnaire d’un hôtel pour surnaturel, l’homme savait comment manager et gérer les choses. Un plus pour toute association se respectant, il allait sans dire. D’autant que son casier avait été vérifié et était vierge de toute condamnation, ce qui était parfait.

Ce ne fut que lorsque j’entendais les pas de mon rendez-vous et de la standardiste que je me levai enfin, venant ouvrir la porte de mon bureau avec un sourire des plus chaleureux. Main tendue, je m’avançai vers l’homme.

- Bonsoir ! Dis-je enjouée. Zora Brunner. Vous voulez bien me suivre ?

Rapidement, je l’emmenai jusqu’à mon bureau devant lequel je l’invitai à s’asseoir, commandant une carafe de sang à la secrétaire.

- Oh mais… Peut-être préférez-vous autre chose ? Je peux vous proposer du thé, du café, du sang animal aussi… Mettez-vous à l’aise, je vous en prie.

C’était bien là le plus important pour commencer toute discussion. Nous n’étions pas en entretien d’embauche, à proprement parlé, et c’est une chose que je voulais faire comprendre à toutes les personnes qui passaient entre mes mains. Non. Ici, ils étaient comme chez eux et devaient se sentir à l’aise pour me parler librement.

Mes papiers rangés correctement face à moi, j’esquissai un sourire vers l’homme.

- Monsieur Grayson, donc. Je suis enchantée de faire votre connaissance. Dis-je en hochant la tête. Je serais en quelque sorte ce soir le porte parole de l’association. Nous allons seulement discuter de vos motivations pour nous rejoindre, de l’association en elle-même et de tous les à côtés qui pourraient vous turlupiner ou sur lesquels vous auriez des questions. Je suis là pour ça. Un nouveau sourire, et j’attrapai, face à moi, la feuille de présentation que je devais alors remplir. Alors… Je remerciai la secrétaire déposant les boissons sur le bureau. Ce que je peux vous proposer, c’est d’abord de vous présenter, de me dire ce que vous faites ici, à la Nouvelle Orléans et le pourquoi vous désirez nous rejoindre. Ensuite, je vous expliquerais un peu plus en détail ce qu’est l’association et nous finirons par toutes les questions possibles et inimaginables, cela vous convient-il ? Je secouai doucement la tête, oubliant mon point principal. Et surtout, détendez-vous, m’amusai-je. Nous sommes comme entre amis. Je ne suis pas là pour vous juger, seulement pour trouver la meilleure place pour vous dans notre association.

Attentivement, j’observai l’homme qui se tenait devant moi. Le pauvre… Il semblait… Le mot m’échappait… Ah oui. Stressé. Alors même qu’il n’y avait pas de quoi l’être ! La question me vint à savoir : que devais-je donc faire pour le détendre ? Malheureusement, rien ne me venait réellement, et je restai là, à tenter de le soutenir du regard, presque désolée de devoir lui infliger cet entretien. Je notai néanmoins chacun de ses propos. J’esquissai, d’ailleurs un sourire désolée en l’entendant parler de la quiétude du siècle précédent, secouant la tête.
Cette dite quiétude était malheureusement bien loin. Trop loin pour que l’on puisse espérer, d’ailleurs, la retrouver un jour. Non. Nous devions aujourd’hui nous adapter au monde actuel, avec ses bons et surtout ses mauvais côtés.

Et soudain, l’homme sembla sortir de son stress, ou tout du moins sembla-t-il être plus éveillé. Ainsi, arquant un sourcil, je l’écoutai de nouveau, hochant doucement la tête.

- Qu’il ? M’enquis-je néanmoins, surprise d’une telle visée sur une personne inconnue.

A sa question, je me tus alors quelques instants, l’air grave, réfléchissant à la réponse que je pouvais apporter.

- Nous craignons tous cela. Avouais-je. Néanmoins, cela nous donne un but, la raison de notre « bataille ». J’esquissai alors un sourire. Voyez-vous… Nous ne sommes pas des combattants et comme vous avez pu le dire, ce n’est pas une guerre à laquelle nous devons faire face. Mais c’est à la vie réelle, et nous voulons nous battre pour cette liberté.

Je soufflai un instant avant de secouer la tête. Haut les cœurs. Nous n’avions pas perdu la bataille, bien loin de là ! D’ailleurs, je poussai rapidement une plaquette de présentation devant l’homme.

- Je ne peux pas vous promettre que nous sauverons tout le monde. Je ne peux pas vous promettre qu’il n’y aura pas de victime, mais nous ferons en sorte qu’il y en ait le moins possible. Et l’association est là pour cela. Elle n’est pas là pour révolutionner le monde, entendons-nous là-dessus, mais pour aider le plus de personnes possibles, et notamment les créatures. Nous fournissons logement, aidons à la recherche d’emploi, offrons du sang, enfin toutes ces petites choses qui permettent d’améliorer la vie de tous et qui sont en opposition directe avec les lois sortant petit à petit. Je secouai doucement la tête. Nous ne sommes malheureusement pas des héros, et il faut le comprendre. Mais nous ferons toujours notre maximum pour notre prochain, c’est bien là le souhait et la devise, en quelque sorte, de l’association.

Esquissant un nouveau sourire j’hochai la tête, observant la réaction de l’homme. Bien des choses passaient à travers les non-dits, les mouvements, et à force d’entrainement, je devais avouer ne pas être la plus mauvaise à ce petit jeu de recherche.

- Nous avons bien des postes vacants dans l’association, mais j’ai ouïe dire que c’est une auberge que vous avez tenue, je me trompe ? Acquiesçant à mes propres propos, je continuai. De fait… J’aurais quelques propositions de postes… A moins que vous n’ayez des envies, bien entendu, n’hésitez surtout pas à m’en faire part.

A son visage fermé, j’arquai un sourcil. Visiblement, l’homme n’avait pas apprécié que je puisse savoir ce qu’était l’établissement qu’il avait tenu. Oh. Je pouvais tout à fait le comprendre. Il n’était jamais vraiment agréable de savoir que son interlocuteur était allé chercher plus loin que les informations données. Que savait-il donc ? Que pouvait-il faire des informations qu’il avait trouvé ? C’était là des questions tout à fait justifiées, et même si je ne ferais, évidemment, rien des informations que je pouvais détenir sur l’homme, il allait sans dire qu’encore une fois, je comprenais ce qu’il pouvait alors ressentir.

Mais déjà son visage semblait de nouveau se détendre. Hé bien… Était-ce donc le fait que je ne cherche pas à en savoir plus sur ladite auberge ? Peut-être. Enfin. Cela ne m’importait pas vraiment. Je ne désirais pas le mettre mal à l’aise, c’était un fait. Bien au contraire, même. Un bénévole heureux et à l’aise avec nous était une chose des plus importantes à notre sens car c’était cela même qui nous permettait de construire une unité au sein de l’association. Or, sans unité, pas d’avancée.
Esquissant à mon tour un sourire à ses propositions, j’acquiesçai alors. A vrai dire, voilà quelque chose qui tombait à pic car j’avais pu réfléchir, au préalable, à deux idées d’occupation pour lui, ancien gérant d’auberge.

- Nous avons cela, et il semblerait que j’ai pu imaginer les mêmes idées de tâches pour vous.

Sortant deux nouvelles feuilles, je les posai devant l’homme.

- Habitude d’entreprise pour certains, voici deux fiches de poste, ou du moins leur pendant pour une association. Je peux donc vous proposer ces deux postes. Le premier sera la gestion des lieux de secours. Ce sont des lieux fixes où nous accueillons les créatures dans le besoin. Les tâches sont assez simples : gérer le flux des entrées et des sorties ainsi que la sécurité de chaque lieu. Il y aura certainement rapidement tout un aspect développement dans la recherche d’autres lieux de secours car nous avons déjà malheureusement bien trop de demande par rapport à notre capacité d’accueil. Je secouai la tête. Cela en était même effrayant… Enfin. La seconde tâche que je peux vous proposer est la gestion des stocks de sang et leur distribution. Je n’ai pas vraiment besoin de vous énoncer exactement ce qui remplira cette mission, elle est assez transparente. Un temps de silence et j’esquissai un sourire des plus amusés. Quant au nettoyage des pots de chambre, croyez-moi, et je parle d’expérience, je ne souhaiterais cela à personne ! Terminai-je en riant.