Chris tourna sa clé dans la serrure de son appartement.
La pièce était particulièrement sombre. Tous les rideaux étaient tirés, et les volets rabattus. Presque aucune lumière des lampadaires de la ville ne filtrait à l’intérieur. Et bien qu’il ait besoin d’aérer l’endroit et son esprit, il filerait probablement directement au lit en prenant à peine le temps d’observer la cicatrisation de l’encre fraîchement injectée sous sa peau. Il avait encore du mal à réaliser les traits qui le parcouraient, assombrissaient son épaule dans un motif qu’il pouvait encore sentir comme si l’aiguillon du dermographe ne l’avait pas quitté. Il ramassa le courrier sur le palier, ferma la porte, et alluma la lumière.
Et il était déjà là. Assis sur son propre canapé. Ce petit sourire en coin arrogant, suffisant, et prédateur. Celui qu’il avait arboré à chaque fois qu’il avait coincé une de ses cibles à abattre durant sa belle carrière militaire. Alors l’air lui manqua, ayant l’impression d’inspirer du néant ; il était face à lui-même et savait de sa propre expérience, de sa propre mémoir qu’il était en danger.
Chris lui sourit en penchant la tête en avant. Chris recula la sienne en autant de méfiance.
« Bonsoir Christian. »
L’inspecteur remarqua que son double gardait ses bras croisés sur un coussin posé sur ses genoux. Il dissimulait quelque chose en dessous, à coup sûr. Le Chris encore debout se serait dirigé vers la cuisine, si l’autre ne l’en dissuadait pas d’un regard noir.
« Ne fais pas l’enfant, tu sais aussi bien que moi que ça ne sert à rien de courir. Je te tiens. Et tu sais aussi qu’une fois que je te tiens, je ne te lâche plus jusqu’à ce que t’y passes.
- Je sais. Inutile de me le rappeler.
- Je dois prendre ta place.
- Je refuse. Tu n’as pas ta place ici. Je t’ai laissé là-bas.
- Tu t’es perdu en rentrant. Tu es devenu faible. Ta jolie tatoueuse, une vampire que tu n’as même pas cherché à observer. Je suis sûr que tu ne te doutes de rien.
- Je n’ai aucune raison de le faire. Tu vires à la paranoïa, c’est pour ça que je t’ai jeté. Tu ne te posais même plus de question quand tu tirais. Une putain de machine qui exécute sans penser.
- Et tu t’es tatoué ça sur le bras, putain d’hypocrite. Putain. d’hypocrite. Je vais reprendre ma place. Et faire ton travail mieux que toi. »
Chris se leva du canapé, en dévoilant un couteau de combat de sous son coussin. Pas d’arme à feu. Presque un soulagement, presque.
« Tu ne m’effraies pas avec ça, Hound.
- Que veux-tu, je ne connais pas encore le code de ton coffre d’armes. Mais je suis toi, je vais m’en sortir plus tard. Ça ne sera pas difficile à deviner. »
La lame fondit vers sa gorge en ligne droite, déviée in extremis par un coup d’avant-bras sur le poignet armé. Une esquive, puis une nouvelle parade trop à la limite sur les coups suivants. Aucun doute, l’autre visait le cou et le visage ou encore un organe dans le thorax. Aucune intention de blesser, juste celle de tuer. Et ils n’allaient pas se laisser le temps de se transformer pour s’affronter sous forme de lycan. Stratégiquement la situation était à l’avantage de celui des deux qui avait un couteau en main.
Chris réussit à saisir et frapper le poignet de Hound pour lui faire lâcher l’arme blanche au prix de quelques entailles sanglantes sur les bras puis se jeta contre ses hanches pour le tacler violemment contre un mur. L’autre répondit en assénant quelques coups de genou dans son ventre, avant de prendre un coup de poing dans le visage qu’il rendit avec une force égale. C’est là que Chris se rendit compte de la puissance de ses propres coups, et il en tirait une certaine crainte teintée de fierté. Quelques uns comme ça à peine, et il tomberait. Chaque coup tombait comme une masse prête à ébranler un mur. Ils avaient oublié le couteau. Ils frappaient encore et encore, chacun prenant l’ascendant pour trois frappes avant de subir à son tour. Au point où les deux ne ressemblaient plus qu’à des animaux enragés, se grondant dessus avant de se jeter à la nuque l’un de l’autre. Et la brutalité de chaque assaut démolissait un peu plus l’appartement, des meubles aux creux dans les murs en béton et en plâtre. Des visages écrasés sur les parois au projections sur les arêtes des meubles pour tenter de déboîter une articulation. Même sa photo de famille avec son frère d’armes et sa sœur y passa.
Les arcades et lèvres fendues, les nez ensanglantés. Des projections de sang partout, et deux copies méconnaissables l’une de l’autre par la tuméfaction de leurs sales têtes. Épuisés mais loin d’avoir abdiqué pour leurs vies.
« Eheheh… Je croyais.. que t’étais meilleur que moi, trou du cul. »
Hound ne répondit qu’en laissant ses yeux s’ambrer, en serrant les dents. Chris se laissa surprendre avant de tenter lui de se transformer. Et il tomba dans le piège. Hound lui fonça dessus en ramassant un petit morceau de verre. Celui du cadre de la photo.
La lame se planta dans sa gorge et il suffoqua dans un gargouillis qui le figea avant qu’il ne perde la force de ses jambes. À genoux, la main sur la plaie pour essayer de contenir l’hémorragie, une quinte de toux effroyablement douloureuse qui ne fait qu’expulser plus de sang. Et sa tête qui commence à retomber vers l’avant comme un pantin désarticulé qu’il a toutes les peines du monde à garder droite. Puis Hound se mit à rire.
« Meilleur que toi, trou du cul. »
Il poussa Chris nonchalamment du pied pour le laisser retomber sur l’épaule lourdement. Et il fouilla sa poche pour prendre ses clés de voiture, ses papiers, le délester de son badge de police. De tout le peu de vie qui le caractérisait tristement. Chris tenta de lever la tête avant qu’il ne la lui écrase du talon dans un craquement sinistre. Et il cracha par terre avant d’inspirer lourdement et de sortir un briquet. Il enflamma les rideaux de l’appartement un par un, puis à peu près tout ce qui pouvait prendre feu. Et il fila en vitesse en sentant la peur approcher à mesure que les flammes s’étendaient.