Quand un type débarque aux urgences avec une jambe sectionnée et qu’il n’est pas en mesure d’expliquer pourquoi, il est de bon temps de prévenir les forces de l’ordre. Chris était dans le secteur, ainsi on l’envoya prendre la déposition du blessé en compagnie de son partenaire de travail. C’est le cœur lourd que l’inspecteur poussa la porte de la chambre d’hôpital, avant d’avoir une réaction douloureuse à la vue du bandage encore rougi.

« J’en sais rien. Je me suis arrêté au bord de la route pour pisser, devait y avoir un alligator dans le coin. J’étais bourré, je me souviens pas. »

Le blessé détournait le regard. Un passant l’avait trouvé allongé à côté de sa voiture, sur le bas-côté. Sans sa jambe. Il avait eu de la chance qu’on le trouve aussi vite. Mais ça ne collait pas à une attaque d’alligator, et les deux inspecteurs le savaient. Ils étaient assez vifs d’esprits pour savoir qu’un reptile n’aurait pas sectionné le tibia, mais arraché au niveau de la première articulation. Chris fit signe à Waris de quitter la chambre, avant de ranger son carnet de notes dans sa poche. Waris s’exécuta sans poser plus de questions, sachant que ça n’irait pas bien loin de toutes façons.

Chris attrapa alors le fauteuil des visiteurs et vint s’y assoir dans un calme froid, l’air toujours choqué par l’amputé. Il prit une grande inspiration, croisant le regard du blessé qui semblait perplexe. L’inspecteur semblait concentré, mais parfaitement calme. Ses yeux s’illuminèrent d’ambre, comme si un liquide y coulait délicatement. C’était un loup, et lui aussi. Il l’avait reconnu. Et ils reprirent leur discussion.
Quand il quitta la chambre, il lui avait glissé une page de son carnet de notes sur sa table de chevet. Le numéro d’un psychologue spécialisé dans la réhabilitation d’anciens soldat. Quelqu’un qui saurait l’accompagner et l’aider à outrepasser son nouvel handicap.
Les deux flics quittèrent l’endroit avec pour seule explication que la route du Parc National Laffite était infestée d’alligators friands de mollets.
En fin d’après-midi, le lendemain, Chris nouait les lacets de sa paire de bottes tactiques étanches appuyé contre le coffre de sa voiture. Il portait un pantalon cargo vert sombre, et un t-shirt simple à manches longues vert forêt,  et tenait à l’épaule un sac à dos contenant un peu de matériel de survie. Trousse de soin, eau, une MRE et un pied de biche attaché sur le côté. Il ne savait pas si ce serait l’affaire d’une nuit, ou si ça lui prendrait tout le week-end, mais il ferait la lumière sur cette affaire.
Avec un petit coup d’œil de chaque côté de la route, il déplia la crosse de son AR-15 SBR. L’arme était affublée d’un suppresseur, et d’une lampe. Pour la visée, il avait préféré opter pour une mire métallique qui lui serait aussi utile en pleine nuit.
Et il s’enfonça dans la forêt, dans la direction indiquée par le malheureux de la veille. Puis il commença à suivre les traces au sol : celles faites par les hommes, délaissant celles des autres espèces. Le pas prudent, il détectait les pièges un à un, remontant une piste bien précise. Il avait été formé pour ça, et il était doué. Des bottes de chasse à la semelle épaisse et dentelée. Le pied-de-biche entrait alors en action, passant sous la mâchoire d’acier pour aller frapper le déclencheur. Une manœuvre risqué, tant les larges dents d’acier lui passaient proche du nez, se refermant dans un fracas métallique presque assourdissant.
Il en approcha un autre, alors que la nuit commençait déjà tomber. Mais cette fois-ci, un léger son attira son attention. Un craquement de branches, puis le celui d’un pied s’enfonçant dans la boue. Chris se décala le plus doucement possible contre un tronc, arme levée. Puis il descendit lentement le long de l’arbre pour enfin se retrouver presque au sol. Juste devant le piège qu’il cherchait. Son cœur manqua de battre un instant ; un mauvais pas, et sa jambe partait. Il revit l’image du blessé, et secoua sa tête pour se reconcentrer.
Quand la silhouette apparut enfin, il haussa la voix d’un coup.

« Les mains en l’air trou du cul ! Un mouvement brusque et je tire ! »

Et il refit face, se levant doucement pour montrer sa présence, et son canon pointé sur l’individu. L’individue, même.

« Si vous avez quoique ce soit à voir avec ces saloperies, je vous jette la tête la première dedans. »

Le buste très légèrement penché en avant, canon droit pointé sur sa poitrine. Chris ne bougeait pas d’un pouce, il la gardait en joue bien que son doigt n’était pas sur la détente mais allongé et posé sur le pontet de son fusil. De la « discipline de détente », sensée éviter tout tir accidentel. Bien qu’il ne risquait pas de faire feu s’il n’en avait pas eu l’intention.
Jusqu’à ce que les yeux de la femme virent à l’ambre. Aussitôt il ramena l’arme pointée vers le bas, le long de son torse. Elle était la pour la même chose que lui. Pour la même cible. Il était même inutile d’en douter, vu la détermination de ses mots. Chris hocha simplement la tête, avant de désarmer le piège à ses pieds. La forêt semblait en être truffée, à se demander combien de ces saloperies l’autre « trou du cul » avait accumulées.

« Au moins je suis certain qu’on est là pour la même chose. Je m’appelle… Hound. »

Un court moment d’hésitation avant de donner son nom. Peut-être qu’il pouvait lui faire confiance le temps d’accomplir sa « mission », mais dans le civil cette escapade pourrait lui coûter très cher. Il ne fallait pas négliger les détails : ainsi, il avait donné son surnom de l’armée. Ces pseudonymes ne sont jamais inscrits sur les dossiers militaires, encore faudrait-il y avoir accès pour les consulter. Et Chris le savait, seul Gabriel connaissait ce nom.
D’un coup d’œil, il vérifia tout de même une chose : elle chaussait plus petit, et était moins lourde que le suspect. Il avait comparé l’image des traces qu’il suivait avec les siennes avec un simple regard.

« Désolé pour tout à l’heure. Je préfère être précautionneux dans les environs en ce moment. »

Le vent s’engouffra dans la forêt par la canopée, perdant peu à peu en force en traversant l’épaisse végétation pour ne devenir qu’une légère brise. Et elle remue les odeurs de boue et d’humidité alentours pour y mêler celle du sang. Du sang presque coagulé, et en grande quantité. L’oreille de Chris remua nerveusement, à l’affût. Il était doué pour ça, c’était même une de ses grandes forces à l’armée. Quelqu’un était blessé, tout près.

« Il y a un blessé pas loin. Suivez-moi, et restez derrière. »

Bien qu’elle semble se débrouiller comme une grande en forêt, Chris lui n’occultait pas le risque d’entrer en contact avec un hostile. Si ça devait partir en fusillade, il était mieux placé qu’elle et son revolver pour répondre.
À pas feutrés alors, posant soigneusement les pieds sur les tas de feuilles les moins sèches, évitant la boue et les brindilles, il avançait en silence. Il avançait cependant avec un bon rythme, et bien qu’il avait essentiellement opéré en terre aride il démontrait le rude entraînement qu’il avait subi.
Il s’accroupit alors derrière une épaisse masse de végétaux en faisant signe de s’arrêter à Evelyn. Puis il se leva et contourna l’obstacle d’un pas vif, arme levée.

Le corps de Chris tourna agilement sur lui même, juste en passant le buisson. Il ne lui fallut qu’une fraction de seconde pour faire pivoter le canon de son arme et l’abaisser vers le « point d’intérêt ». Le pauvre diable gisait au sol, dans ses tripes et son sang. Sa jambe était pliée en deux à moitié arrachée, l’os s’étant rompu sous le choc mais les chairs étant restées coincées dans les mâchoires d’acier du piège.
Chris n’eut pas le même haut le cœur que lorsqu’il avait rencontré le blessé à l’hôpital. Celui-là devait apprendre à vivre sans sa jambe. Celui-ci en revanche, était simplement un cadavre en devenir. Des corps sans vie, il en avait vu beaucoup. Et encore beaucoup d’autres dont la vie s’éteignait sous ses yeux. Et celui-ci en faisait partie. Et cela ne faisait pas bien longtemps qu’il était dans cet état là, ce n’était l’affaire que d’une poignée de secondes. Un peu plus d’une minute, au pire. L’inspecteur inspira un coup, puis pointa son arme vers la tête du blessé. Il n’avait pas assez de morphine sur lui pour le soulager le temps que la mort ne l’emporte. Tout ce qu’il pouvait faire était de l’y envoyer au plus vite.

Mais quelque chose attira son œil, juste avant qu’il ne pressât la détente. Une traînée de sang. Profuse, en ligne, qui s’éloignait... Par là. L’attention de Chris fut happée par cette nouvelle piste fraîche, délaissant le mourant dans sa douleur. Il n’y fit même plus place dans ses pensées. Son arme était braquée dans le sens de la trace. Puis, un bruit. Il tendit le bras gauche vers Evelyn paume levée, et poussa plusieurs fois dans le vide pour lui dire de s’écarter sur le côté. Puis il pointa trois fois l’index et le majeur vers le buisson. « Contact, juste là », en gardant les lèvres scellées. Si la louve comprenait tant mieux, sinon il devrait s’en sortir seul comme prévu.

Chris se déplaça lentement sur sa droite en regardant furtivement où il mettait les pieds, pour ne pas finir estropié. Puis, il s’appuya sur le premier obstacle solide qui pouvait lui offrir une couverture.

« Sortez de là, mains en l’air. Je n’hésiterai pas à tirer ! »

La probabilité que ce soit encore un allié inattendu était bien trop faible. Cette fois, son doigt était sur la détente. Prêt à faire feu.

Plus de mouvement, plus un bruit. Pas un son. Le canon de son fusil pointant toujours vers le buisson, le doigt délicatement posé sur la détente, Chris jeta un œil rapide vers Grim puis balaya le sol jusqu’au buisson. À la recherche de la moindre trace éventuelle de pas ou le moindre détail métallique trahissant un piège supplémentaire sur son chemin. Grim s’avançait, et lui aussi pris le pas doucement. Il pouvait entendre un souffle, celle de quelqu’un qui s’était essoufflé. Mais quelque chose n’allait pas. Alors il avançait avec la plus grande prudence du monde, se calant sur le déplacement de son alliée de fortune pour ne pas risquer de croiser un tir.
À mesure qu’il avançait, il put surplomber le buisson en se rehaussant sur ses appuis et en levant la crosse de son arme au dessus de son épaule. Son doigt quitta immédiatement la détente, et doucement il baissa sa mire vers le sol. Peut-être un peu trop lentement. C’était un enfant, prostré sur le sol, terrifié probablement. Et même si Chris a appris que même les enfants pouvaient se montrer hostiles, il ne pouvait pas se résoudre à leur tirer dessus ; pourtant, son entraînement lui avait appris à ne pas quitter un danger potentiel de sa mire. Le temps qu’il prit pour glisser lentement sa visée vers le sol avait suffit à faire l’instinct de survie du petit défendre sa vie.

Chris le vit se transformer sans réagir. Un jeune loup terrifié face à lui, une raison supplémentaire pour ne pas tirer. La situation le renvoyait presque un peu plus d’un siècle en arrière. À cette époque où la vie était rude, mais ô combien plus douce qu’aujourd’hui. Celle où il avait été guidé au gré des jours et des transformations, celle où il était devenu un guide pour les générations suivantes.

Il retrouva ses esprits juste à temps pour se jeter sur le côté et éviter l’attaque du jeune loup. Il était loin d’être aussi massif que lui ou Skoll, son ami avec il se battait peut-être un peu trop souvent. Mais il était déjà bien assez dangereux pour eux. Pour lui même, aussi. Si ce jeune n’était pas lié aux attaques et aux pièges, il risquait bien trop facilement de s’y prendre une patte avec des mouvements mal maîtrisés et hasardeux. Chris devait essayer de le calmer, sans user de son arme. D’ailleurs, il envoya habilement cette dernière dans son dos avant de serrer sa sangle sur son torse pour l’y bloquer. Et il fit face à l’autre, les mains libres.
Il fixa le loup, laissant ses yeux s’ambrer. Puis sa mâchoire se mit à s’élargir et les muscles de son cou s’étirèrent, avant de ce ne soit au tour de ses dents de s’allonger en petits crocs. C’était douloureux pour lui, de maintenir un début de transformation comme celui-ci sans la laisser se poursuivre. Ses zygomatiques le foudroyaient, comme une sale crampe tenace. Mais il dévisageait son vis-à-vis pour lui faire comprendre qui il était, qu’il était comme lui, mais certainement plus grand et plus fort. Et qu’il n’aurait aucun mal à le remettre à sa place si nécessaire.

Chris avait une certaine nature « d’alpha » en lui, bien qu’il n’aimait pas se battre pour ce genre de trivialité. Pour lui, le respect doit être mutuel. Cependant, il ne comptait plus le nombre d’affrontements amusants qu’il avait eu avec les autres enfants de l’orphelinat, ou les autres bien plus sanglants avec son lieutenant lorsque celui-ci se montrait un peu trop insubordonné. Il avait tenu toute une escouade comprenant d’autres surnaturels sous sa coupe pendant une dizaine d’années.

« Suffit », lui lança-t-il alors, avec une voix imposante troublée par un grondement lupin sourd. Son ton était ferme, sévère mais sans agressivité flagrante.

Peut-être que ses qualités de leader et de meneur de ces temps là lui permettrait d’avoir gain de cause sans verser de sang.
Peut-être que Grim le couvrirait sans qu’il ait besoin de le lui demander. Il n’avait pas confiance en elle, encore, mais elle semblait assez pragmatique pour ça.

Le louveteau s’était interrompu. Christian laissa s’échapper un râle rauque et douloureux alors qu’il stoppait sa transformation. Ses gencives et ses dents s’étaient rougies de sang, n’ayant que très peu apprécié de se fendre pour laisser paraître des dents démesurées pour la mâchoire d’un homme. Pourtant, son vis-à-vis ne semblait pas s’être calmé, et c’était là toute l’erreur du vétéran. Il pensait avoir pris le dessus, pris l’initiative. De s’être imposé en Alpha, et d’avoir forcé au jeune de se coucher au sol. Cela faisait un bon siècle qu’on lui avait arraché le plaisir d’élever des enfants loups à devenir de bonnes et respectables personnes maîtres d’elles-même et de leurs émotions. Et il avait pris un sacré coup de vieux dans ses méthodes. C’était bien peu de le dire.
D’un bon, le louveteau se jeta sur Grim, la plaquant au sol avec sa lourde patte.

« Petit, non ! »

Chris posa immédiatement genou au sol, et releva son arme. Mires alignées sur la nuque de la bête ; prêt à lui sectionner les cervicales d’un tir placé. Il devait faire vite. Il n’avait pas le temps de tergiverser. Grim, ou lui ?
Pourtant le doigt du flic se raidit en arc devant la queue de détente. Le souffle lourd, et court. Il se revoyait, jeune adulte, donner des leçons aux petits de tous âges dans le monastère qui lui avait servi d’orphelinat. Là où il avait grandi. Il se revoyait en Afghanistan, tenant en respect au bout de son fusil, un groupe d’adolescents armés. Il se revoyait presser la détente et tous les faire tomber quand l’un d’entre eux leva son arme sur son escouade.
Les enfants avait presque un caractère sacré pour lui. L’enfance, elle même, était un bien précieux pour chaque vie. L’enfance déterminait souvent la personne que l’on devenait. Quand on grandit dans la violence, dans l’absence de repères, on reproduit ces schémas en les ayant normalisés. Et Chris en avait vu beaucoup dans ce cas là. Ceux qui grandissent dans la guerre, dans la dureté des bas-quartiers, devenir guerriers et criminels à leur tour.

Alors, il était planté là. Le genou dans la boue et l’arme pointée vers une cible trop jeune. Presque tétanisé. Sa tête en tournait presque. Il était face à un énorme dilemme. Il ne connaissait pas Grim, pourtant il la savait aussi déterminée que lui à dépecer le salopard qui était responsable de toute cette situation. Elle ne méritait certainement pas de mourir ici, et comme ça. De l’autre côté, un gamin perdu, terrorisé qui brandit ses crocs au premier venu dans un vent de panique.
Qui mérite d’y laisser sa vie, ici et maintenant ?

Le flic passa la sangle de son fusil par-dessus son épaule et la jeta au sol avant de se jeter à bras ouvert pour saisir l’encolure du jeune loup.

« S’il te plaît gamin, arrête ! »

C’est tout ce qu’il se sentait capable de faire.

Il fallut quelques minutes pour qu’enfin la tension redescende d’un cran. Un instant de paix qui arracha un soupir soulagé au vétéran. Le loup redevint enfant, avant de se recroqueviller sur lui même. Bien qu’il fut encore secoué, le petit n’avait plus l’intention de se battre. Chris le laissa reculer sans objecter le laissant trouver refuge contre un arbre. Genou au sol, à quelques mètres, il regarda Grim et l’ausculta rapidement pour vérifier qu’elle n’était pas sérieusement touchée, puis hocha la tête discrètement en remerciements. Remerciée d’il ne savait trop rien, peut-être de ne pas avoir cédé à son instinct de survie. Et calmement, il reporta son attention sur l’enfant. Il hocha la tête en baissant les yeux.

« Je ne sais pas, petit. On va.. »

Chris fut interrompu par un coup de feu de plus, qui attira son regard. Son ouïe était assez fine pour en entendre la provenance, malgré l’écho étouffé inhérent à toute forêt dense. Il tourna la tête vers sa partenaire de fortune, puis vint poser sa main sur l’épaule du garçon.

« Cache toi, mais ne t’éloigne pas. On reviendra te chercher. »

Il ramassa son fusil, prenant cette fois le pas derrière Grim. Elle se déplaçait assez rapidement, d’ailleurs, mais toujours précautionneuse. Chris souffla, porta l’arme à l’épaule et continua simplement de la suivre. Sa lèvre supérieure se retroussait doucement, dans un silence furieux.

Un gosse orphelin, et un estropié comme victimes les plus chanceuses de ce foutu braconnier. Un beau bordel qui mettait ses nerfs d’acier et son sang-froid à l’épreuve, plus que tout ce qu’il avait vu en ville depuis son arrivée. C’était une attaque décidément tournée vers sa race, peut-être était-ce le grain de sel supplémentaire. Pourtant jusque là, il n’avait jamais été particulièrement attaché à elle : il l’avait été, plus à sa famille de loups, plutôt qu’à une simple affaire d’origines.

Mais cette histoire lui tenait à cœur. Un peu trop. Il avait endossé son vieux surnom de sa vie militaire. Il ne se sentait pas se glisser lentement dans la peau de ce dernier.

Ses yeux se mirent à luire.

Les yeux luisants. Un petit sourire carnassier qui lui étire le coin de la bouche, le voilà une nouvelle fois en grand prédateur. Le prédateur animé d’une cruauté qui va au-delà du besoin de se nourrir. Au -delà de la vengeance, désormais. La vengeance justement, et la nécessité de pacifier la forêt n’avaient servi que brasier pour allumer l’incendie. L’envie de tuer, celle enfouie, tapie au fond de lui, désormais en ignition. Le coup de feu avait révélé sa position, et sa proie était désormais dans son collimateur ; il ne la lâcherait plus. Et s’il lui venait de fuir, de réussir à échapper à ses crocs, il brûlerait cette forêt toute entière pour la débusquer.
La concentration de Chris ne s’étalait plus que sur sa cible, Grim, et les pièges près de ses pieds. Pas plus, pas moins. Juste ce qui lui suffirait à tuer ce salopard, et de cocher son nom sur sa liste.  Et il en aperçut la silhouette.

Sa tête tourna par instinct vers eux. Chris se pencha en avant, main gauche à plat sur le sol avant de s’y appuyer pour lancer ses jambes tendues vers l’arrière et de se laisser reposer silencieusement au sol. Le canon pointé sur l’inconnu, ses yeux rivés sur l’ombre brouillonne à travers la végétation. Prêt à tirer, prêt à faire feu. Il put sentir l’air quitter ses poumons, dans un souffle volumineux, pétaradant presque dans ses cordes vocales dilatées, à moitié transformées sous le coup de la colère ; le tout s’échappant en un grognement animal féroce, mais encore bien étouffé. Le son qu’on entendrait en étant traqué par une bête, sans qu’il ne s’en rendit compte. Sa vision du monde se resserra, suivant la ligne de son canon, droit vers le corps qui se tenait debout devant lui, à quelques mètres.

Un vent d’air frais lui entra dans les narines alors qu’il entendit du bruit sur sa droite. Grim ? Il l’avait oubliée, l’espace d’un instant ! Et il se souvint des pièges, pas de douleur donc il n’avait pas sauté sur l’un d’entre eux. Un hasard bien heureux. Son esprit se secoua rapidement, revint sur terre. Il était à deux doigts de tout foutre en l’air. Depuis quand il perdait pied de la sorte ? La dernière fois avait assez mal fini. Il avait manqué de brûler dans la maison d’un facilitateur en Afghanistan, tant il avait cherché à le poursuivre malgré le feu qui rongeait la maison dans laquelle il se terrait.
Et il avait pensé à causer un feu de forêt, alors qu’il en était devenu terrifié. Imbécile.
Une grande inspiration, qui ressortit en un cri autoritaire.

« Police de la Nouvelle-Orléans, lâchez votre arme ! »

Coup de bluff. Si ça marchait, il baisserait son arme. Dans le cas contraire, il le viserait, servirait de diversion et laisserait assez de place à Grim pour agir. Chris ramena son avant-bras devant son visage en protection, anticipant un éventuel tir.