À quel moment un tel groupe s’est rapproché ? Aucun des sens de Chris ne les a senti venir. Il ne les a pas entendu, n’a pas humé de parfum particulier. Pourtant, les voilà Grim et lui presque encerclés et en totale infériorité numérique. Entamer une fusillade maintenant relèverait du suicide. Il pourrait en abattre quelques uns avant de se prendre une volée de plomb en représailles. Quant à sa partenaire, elle ne semblait pas assez armée pour faire face à une situation pareille. Ce n’est pas elle qui aurait pu répondre avec un volume de feu suffisant pour secouer l’ennemi. Chris s’en rongeait la lèvre, toujours tapi au sol sous un buisson. La nervosité le poussait presque à se mordre au sang. Il devait se concentrer, trouver une issue plus favorable, un plan. Une idée.

Tirer ou parler révélerait sa position. De plus il ne savait pas ce que Grim avait comme idée en tête de son côté. Elle se ferait tuer si elle se lançait dans un assaut aveugle. Ne pas bouger, ne pas remuer le moindre orteil. Mais son pouce vient jouer avec le cran de sûreté de l’arme pour la faire passer en automatique. En cas de besoin, il n’aurait qu’à balayer devant lui avec le canon de son arme pour forcer l’ennemi à se replier ou au moins à se mettre à l’abri. Assez pour que le binôme se replie, lui. Il devait surtout gagner du temps. Gagner du temps mais rester hors de vue. Et merde, autant ramener l’attention sur lui. Il pourrait peut-être encaisser quelques tirs avant de s’effondrer. Sa voix forte autoritaire résonna une fois de plus dans l’épaisseur de la végétation.

« La police vient depuis qu’il y a des pièges à loup posés au hasard ! Qui parle de vous prendre quoique ce soit ?! Qui êtes-vous ?! »

Chris inclina légèrement son arme sur la gauche. Il inspirait et expirait très lentement, se préparant à un effort rapide. Si la situation tourne mal, il n’aurait qu’à se redresser sur un genou et décrire un arc-de-cercle en pressant la détente de son fusil d’assaut. Il chercha rapidement la brune du regard à travers les petites ouvertures de son buisson, pour s’assurer qu’il ne la prendrait pas dans un tir croisé.
Et son doigt tenait fermement la détente. Prêt à ouvrir le feu. Il s’attendait à n’avoir qu’un type ou deux à abattre, là il y avait toute une escouade face à lui, et une vie qui dépendait directement de ses actions. Le pire des cas de figure : celui qu’il n’avait pas anticipé. Et si il appelait la cavalerie à la rescousse ? Il aurait du mal à justifier sa présence ici, mais il s’enlèverait une belle épine du pied. Et cette histoire semblait bien plus complexe que la folie d’un trappeur solitaire perdu au fin fond d’une forêt marécageuse. De l’aide ne serait finalement pas de refus.

La mâchoire de Chris se serra à en faire grincer ses dents. La situation était tendue, défavorable au possible dans un environnement bien trop épais en végétation pour qu’une fusillade éclate. Et la forêt était trop piégée pour jouer au super prédateur. Il savait qu’en Loup, il pourrait certainement les faire disparaître les uns après les autres dans les fourrés. Les massacrer un par un. Il n’y avait qu’une seule option, faire rugir son fusil plutôt que sa gueule. Il put entendre Grim se relocaliser, pour chercher une ouverture probablement. Bien que ce soit tendu, il ne pouvait pas croire qu’elle ait pris la fuite. Elle avait l’air assez déterminée pour mener sa mission à terme.

Chris marmonna doucement dans sa barbe, pour lui, en prenant la silhouette à droite de son champ de vision dans ses mires de visée.

« Et tu les as appelé, trou du cul ? Ou t’as compté sur ta petite bande de salopards..»

Son œil attrapa un mouvement vif au son du troisième coup de feu. Son calme inculqué par des années de service l’empêcha de réagir au quart de tour et d’ouvrir le feu. Un lapin. Un simple lapin, qui courut jusqu’à se faire découper en deux par un des pièges à loup. À quel point ces pièges pouvaient-ils être sensibles ? Même un lapin pouvait se faire tuer sur ces saloperies. Chris ferma les yeux trois secondes le temps d’expirer lentement, puis inspira un grand coup.

Puis sa tête se remit en route. Trois coups de feu, mais pas de mouvement de la part du groupe en face. Pas un seul d’entre eux n’avait levé le bras en l’air, ni même pointé la moindre arme dans sa direction. Des leurres ? Pourtant il pouvait jurer les avoir vu bouger. Il y avait peut-être un moyen de le savoir. De toutes façons, il n’était venu arrêter personne. C’était une vendetta.

Une nouvelle expiration de trois secondes, une inspiration de trois secondes. Son sang était redevenu froid. Son regard était pus acéré. Il n’entendait plus la vie dans la nature, plus le vent dans les feuilles. Son fusil tonna trois fois, passa à la cible suivante, puis trois fois encore. Il se redressa, genou au sol, trois sur la prochaine, pivota son buste trois encore sur la quatrième. Puis c’est debout qu’il tira encore trois fois sur une autre silhouette, avant de se décaler de quelques pas  en tirant trois fois de plus.  Et encore, et encore une fois. Passant toujours à une cible à qui il n’avait pas offert gracieusement sa dose de plomb.

Il n’y avait plus qu’à espérer que Grim trouve une ouverture là où elle était. La stratégie était une des bases de l’infanterie. Une unité déploie un volume de feu conséquent pour terrer l’ennemi dans ses défense ou dévier ses tirs vers elle, tandis qu’une autre se sert de l’occasion pour aligner un tir précis ou contourner l’ennemi.
Il n’y avait plus qu’à espérer que Grim sache se servir de cette opportunité là où elle était.

En une rotation sèche de poignet droit et avec l’index sur le bouton de dégagement du chargeur, le vétéran éjecta la coque en plastique vidée de ses trente cartouches, tout en se jetant genou au sol pour diminuer sa silhouette. En un éclair, sa main vient taper sur son abdomen et saisir un chargeur plein qu’il enclenche à toute vitesse avant de rabattre la culasse. Un geste répété si souvent qu’il en est devenu mécanique. Un geste tellement connu qu’il n’avait plus besoin de penser à le faire ; dès que l’arme arrête de tirer, elle est de nouveau approvisionnée pour se tenir prête à recommencer. Mais il n’eut pas à appuyer de nouveau sur la détente, alors qu’un coup de feu seul et unique retentit un peu plus loin, hors de son champ de vision. Et un grondement sourd, de douleur. Pas la voix de Grim, tout allait bien en théorie.
Les ombres et les silhouettes n’avaient pas réagi à tout son tumulte, et à sa furie. Prudemment, il se redressa, toujours en ayant une d’entre elles en joue, et commença lentement à se déplacer, en raclant la surface du sol avec le tranchant externe du pied pour scanner le moindre obstacle sans avoir à se servir de ses yeux. Une vieille technique de traque apprise à l’armée, censée prévenir le soldat de tomber dans la plupart des pièges. Il souffla, en souriant un peu, sentant la pression retomber petit à petit. Puis elle remonta de plusieurs crans d’un coup.

Ça et là autour de lui, il entendit des mâchoires de métal battre la mesure. Et ça approchait, lentement, de plus en plus vite, avant de ne plus être qu’à quelques mètres. Les pièges, les pièges se referment en chaîne, se tirent les uns les autres, se ferment encore. La tension provoquée sur les câbles qui les relient provoqua une réaction brutale et un phénomène inexpliqué. Tous les pièges à loup s’animèrent comme d’une seule volonté, celle de venir lui déchirer les chairs.
Les yeux du loup se mirent à courir partout, alors que le claquement d’acier résonnait de plus en plus fort dans sa tête. Et il commença à paniquer. Un bras, une jambe pouvait se faire arracher en un battement de cils. Et il n’était pas le moins capable de prédire d’où le danger viendrait.  Il commença à pivoter sur lui-même, comme un animal encerclé, avant de regarder au sol, juste devant ses pieds. Il se jeta sur le dos, et le piège se referma après avoir bondi comme un alligator hors de l’eau. Puis il regarda à droite et à gauche, avant de rouler sur le côté. Un autre piège se referma, et il jura sentir du vent lui caresser la nuque, comme le souffle d’un prédateur.

Il s’élança sur quelques pas sans réfléchir, avant de sangler son arme sur son dos et de sauter sur le tronc d’un arbre. Il se hissa rapidement dessus, avant de grimper le plus haut possible et de se laisser reposer sur une branche épaisse, nerfs à vif. Il calma progressivement son souffle, avant de commencer à examiner les fourrés avec les yeux. Ancien officier, il avait appris à rester lucide même sous une pression étouffante. Et c’est en ancien officier qu’il éleva sa voix à travers la forêt pour sa partenaire.

« Grim ! SITREP ! Grim ?! »