Cette nuit-là n’était pas vraiment différente des autres. Je devais aller au Masquerade, puis sur le chantier avant de retourner chez moi retrouver mon époux et notre lit. Seule différence était que je devais aussi faire un crochet en fin de nuit par la niche de la meute de mon père. Pourquoi ? Cadeau d’anniversaire. En retard évidemment. J’avais quelque peu oublié sa date d’anniversaire, rappelée par mon agréable sœur alors que cette dernière était venue, pour la énième fois, rodée au manoir. Quelques minutes seulement, puisque je l’avais bien rapidement expédiée en dehors de ma demeure. Il était ainsi quatre heures du matin lorsque je quittai le chantier, direction le manoir de la Meute Mahiingan. Une veste sur mes épaules afin de parfaire ma tenue et je grimpai dans ma voiture de tout allée pour prendre la route. Etrangement, comme pour retarder le moment où j’arriverais en plein milieu de la puanteur des chiens, je suivis le code de la route à la lettre, respectant jusqu’au moindre stop. Et c’est vingt minutes plus tard que j’entrai dans la propriété. Le portail ouvert indiquait que ces bestioles étaient visiblement bien plus ouvertes que nous ne l’étions nous, Assoiffés. Tant mieux pour eux. Il m’évitait, au moins, de quémander que l’on m’ouvre la voie car il était bien hors de question que je remonte leur allée à pied. Si je pouvais encore profiter de l’odeur agréable de ma voiture… Je n’allais certainement pas m’en priver. Enfin stationnée devant l’entrée de ce dernier, je soufflai, attrapant le paquet laissé sur le siège passager. J’entrais, je donnais le paquet à mon père, et je partais. Ni plus, ni moins. Il était bien hors de question que leur odeur imprègne mes vêtements. Je préférais encore qu’il me remercie en venant chez nous. Quittant l’habitacle de mon véhicule, j’avançai ainsi calmement vers la porte à laquelle je cognais trois coups assez fort pour me faire entendre. J’espérais sincèrement qu’un chien viendrait rapidement ouvrir cette satanée porte pour que je puisse en finir. Dans le cas contraire, si dans cinq minutes personne ne venait, mon père n’aurait qu’à venir chercher son présent au manoir. Bras croisés, j’attendis donc quelque peu, allant jusqu’à sonner pour faire clairement connaître ma présence. Il fallut encore deux minutes supplémentaires pour qu’enfin quelqu’un daigne ouvrir la porte d’entrée. Un regard loin d’être sympathique, et je toisai celle qui me faisait face. Si j’avais accepté mon père et sa race, quoique la trouvant, malgré tout, particulièrement… Malheureuse, il était tout à fait hors de question que je puisse jouer les gentilles petites filles devant une bande de chiens galeux. Que mon père soit alpha de ces monstres ou pas. Ainsi, soufflant d’agacement tant du fait de l’odeur que je n’appréciais pas que de la chose en elle-même qui me faisait face, je pris parole.
- Je viens voir le Docteur Rosenbach. Dis-je sans même une politesse. Prévenez-le que sa fille est là. Et rapidement, je vous prie. Je n’ai pas toute la nuit.
Et cela était presque vrai. Je préférais effectivement rentrer avant que le soleil ne se lève. Être coincée ici avec… ça, risquerait fort d’être particulièrement déplaisant.
-If you kick a dog, it’ll crawl back, lick your foot, begging for forgiveness. Kick a wolf, and he’ll rip your face off.-
C’était un moment inespéré. Une journée à marquer d’une croix. Evelyn, seule dans le manoir. Elle se tenait au milieu du salon principal, au rez-de-chaussée, et écoutait le silence des lieux. Autant la louve aimait l’animation que ses frères et sœurs apportaient, autant elle appréciait aujourd’hui l’absence de son. Un silence d’or. Et la rareté de ce silence rendait le moment magique, exceptionnel, incroyable. Une solitude inespérée et nécessaire. Seule dans le manoir; en près de cinq ans de cohabitation, cela ne lui était personnellement jamais arrivée.
Je garde le fort, avait-elle lancé aux autres. Et lorsqu'un jeune loup lui avait proposé de lui tenir compagnie, Evelyn l'avait gentiment mais fermement repoussé. Il était hors de question qu'un gamin ruine sa soirée et sa nuit. Un gamin... Enfin, ledit loup avait plus ou moins quarante ans. Cependant en terme d'année lycane, Evelyn considérait que c'était jeune.
Elle aurait pu en profiter pour inviter sa compagne. Lui annoncer qu'elle avait le manoir pour elle toute seule; for one night and one night only. Elles auraient alors pu faire quelques... bêtises. Mais son besoin d'être seule avait été plus grand. Et puis, si un jour la louve invitait officiellement l'humaine au manoir, ce ne serait pas pour la cacher à la meute. ...De toute façon, quel plaisir aurait une humaine à entrer sur le territoire des loups?
Evelyn était donc ainsi seule, car tous les astres s'étaient alignés. D'abord, plusieurs loups avait un autre lieu de vie, à l'extérieur du manoir; ils étaient ainsi naturellement absents de temps à autre. Ensuite, de ce qu'Evelyn connaissait de l'agenda de son Alpha, ce dernier était présentement à l'hôpital; parfois, il travaillait de nuit. Pour terminer, les autres avaient organisé une activité de groupe; une nuit dans la forêt, de ce qu'en avait retenu Evelyn.
Le sommeil la fuyait et elle souhaitait de toute façon profiter de l’instant. Après avoir arpenté les couloirs vides, profité d'un moment de méditation dans la véranda et dégusté l'alcool dans cellier, la louve était à présent étendue sur le divan. Vêtue simplement, elle lisait le journal de la veille, avec en fond sonore de la musique pop. Elle ne dirait pas que c’était son genre de musique, mais elle ne savait pas comment la changer; elle écoutait donc la playlist créée par un des loups.
Trois coups à la porte interrompirent la lecture d'Evelyn, qui jeta un regard à l'horloge. 4h23. Quel imbécile osait cogner à cette heure? Qui venait rompre la douce tranquillité des lieux? Trop tôt pour que ce soit un colporteur; et de toute manière ils ne s'aventuraient pas jusqu'ici. Qui que cela soit, Evelyn n'était pas intéressée. Elle était confortablement installée, alors au diable ce visiteur non désiré.
La louve replongeait dans sa lecture lorsqu'une sonnerie retentit. Un instant... ils avaient une sonnette? Mais quel son désagréable! Et si Evelyn avait été en train de dormir? Et si les autres loups avaient tous été au manoir en train de dormir? Quel inconsidéré osait sonner à 4h27 du matin? Cela avait tout intérêt à être une urgence, autrement elle allait botter le derrière de l'imprudent.
Evelyn jeta son journal sur la table basse du salon et se dirigea vers l'entrée. Elle ouvrit la porte, le visage sévère. …De toute façon, le visage d’Evelyn exprimait souvent la sévérité. Une vampire se dressait devant elle. Une saleté de vampire. Indésirable nocturne. Impolie et désagréable, de surcroit. Et bien, l'intruse allait être servie, car Evelyn aussi pouvait se montrer impolie et désagréable.
- Vous avez une vie si malheureuse que vous vous inventez un père? Ou bien Victor nous a-t-il caché avoir une fille sangsue parce qu’il a affreusement honte? Quoi qu’il en soit, je vous demanderais de reculer, vous polluez l’air que je respire, dit-elle comme si elle avait affaire à une mendiante sur le pas de sa porte.
Silencieuse, mon regard passa sur la femme de haut en bas. Désagréable et empestant l’odeur… L’odeur de son manoir somme tout. Une niche à taille humaine, c’était le cas de le dire. Réprimant un froncement de nez, je soupirai largement.
- Ma vie doit être bien malheureuse puisque je me retrouve dans une niche actuellement au lieu d’être chez moi. Soufflai-je. Pour ce qui est de mon père, bien que je n’aie pas réellement de temps à perdre en bavardages, la honte de mon père ne regarde que lui. En attendant, allez le chercher.
Mon ton était sans appel. Je ne partirais pas sans avoir vu mon père. Pour autant, je ne pouvais non plus accepter un tel comportement de la part d’une bête tout juste bonne à porter le collier et la laisse. Ainsi, ne cachant pas mon air dédaigneux, je la fis moi-même reculer à l’intérieur de sa demeure.
- Ne parlez pas d’air pollué lorsque les environs empestent le clébard mouillé. Grondai-je. Maintenant, si vous le voulez bien et puisque vous ne semblez visiblement pas avoir envie de m’amener mon père, indiquez-moi où se trouve sa chambre, son bureau ou je ne sais quel autre endroit où je peux le trouver. A moins qu’il vous faille aussi un nonosse pour cela. Une friandise peut-être.
Désagréable et insultante ? Moi ? Non. Bien sûr. Seulement, je n’appréciais pas vraiment l’irrespect de la part des animaux comme elle. Observant à droite puis à gauche, je soupirai de nouveau d’agacement.
- Soyons claires. Finis-je par dire en grimaçant. Je pense avoir autant envie de supporter votre puanteur que vous ma présence. Je viens apporter un cadeau à mon père, alors plus vite vous m’indiquerez où je peux le trouver dans cette niche et plus vite je partirais. Rassurez-vous je n’ai aucune envie d’élire domicile… Je ne pus m’empêcher d’observer, de façon dégoûtée, l’endroit. Ici. Par ailleurs… Cette fois, ce fut elle qui fut observée. Ne vous a-t-on pas appris à vous habiller convenablement lorsqu’une personne sonnait ?
Oh bien sûr, je connaissais l’heure à laquelle je venais d’arriver. En avais-je quelque chose à faire ? Bien sûr que non. Car nous étions, nous, toujours prêt à recevoir, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Bien entendu avions nous besoin de moins de sommeil. Bien entendu avions nous des esclaves pour faire la transition le temps de nous préparer. Pour autant, je ne tolérais que difficilement le laisser aller chez les autres. Et les loups faisaient alors encore moins exception.
-If you kick a dog, it’ll crawl back, lick your foot, begging for forgiveness. Kick a wolf, and he’ll rip your face off.-
- Ma vie doit être bien malheureuse puisque je me retrouve dans une niche actuellement au lieu d’être chez moi. Une niche, disait l’intruse pour désigner le manoir. Une belle façon d’insulter un loup, en le traitant de chien. Cependant, si Evelyn se transformait pour revêtir l'apparence du grand méchant loup, l’intruse comprendrait sa méprise; comprendrait la différence entre les deux races, trembleraient de crainte devant la puissance d’un lycanthrope. Un peu d’éducation, un bon coup de griffes, voilà ce dont l’intruse avait besoin. Une niche; Evelyn était familière de ce genre d’insulte, et elle était toujours prête à y répondre. Ainsi, tout naturellement, elle lança :
- Oui, « chez vous », aussi appelé « le caveau ».
Des cadavres ambulants, se plaisait parfois à les appeler la louve.
Le ton de la vampire était désagréable. Elle osait donner des ordres, mais le manoir n’était pas son territoire, et Evelyn ne recevait pas d’ordre d’une vulgaire vampire. Arrogante, celle-là, se pensant certainement Reine du monde, Maîtresse de la nuit, comme tous les autres vampires.
Les traits d’Evelyn étaient assombris par une colère naissante. Repoussée à l’intérieur, elle n’allait pas se laisser insulter sous le toit de sa propre demeure. L’intruse venait d’entrer dans l’antre de la bête; elle n’en ressortirait pas sans une écorchure.
- Ne parlez pas d’air pollué lorsque les environs empestent le clébard mouillé.
- Dit la vampire qui empeste le cadavre à des mètres à la ronde, gronda la louve.
Indiquez à cette intruse où était Victor? Cela n'arriverait pas. ...Cependant, si Evelyn acceptait de collaborer avec l’intruse, elle pourrait obtenir un os ou une friandise. Une grande générosité! C’était à considérer. À choisir, la louve opterait pour l’os; un gros os, bien solide, elle le saisirait et assommerait la vampire avec. Oui, dans ce cas précis, Evelyn voulait bien un os.
- Je vais plutôt vous indiquez le chemin jusqu'à votre tas de ferrailles.
Son tas de ferrailles, sa poubelle à quatre roues, sa Rolls-Royce Dawn – ce dernier point étant inconnu de la louve qui n’y connaissait strictement rien aux véhicules, sauf que c’était effectivement des amas de ferrailles et que sa compagne possédait de bien plus belles voitures.
Plus tôt disparaissait la vampire, mieux Evelyn s’en porterait. Elle devrait bien sûr répandre du désinfectant là où avait marché l’autre blonde, et assainir l’air n’était pas une mauvaise idée, puis elle aurait la sainte paix. Pourrait retourner à sa lecture ennuyante. Irait certainement se chercher une quelconque bouteille d’alcool pour calmer ses nerfs. Les effets de sa méditation venaient d’être complètement ruinés par une vulgaire sangsue.
- Ma tenue est très appropriée pour l’heure, c’est votre venue ici qui ne l’es pas. Ni appropriée, ni souhaitée, ni agréable. - Vous pouvez repartir avec votre cadeau, les morts n’apportent aucun bon présent pour les vivants. Je ne manquerai pas d’avertir Victor de votre venue des plus aimables et de votre grand amour de notre race, dit-elle avec un sarcasme évident. Irait-elle réellement dire à Victor que sa fille était mal élevée? Non. Ils n’étaient pas en assez bon terme pour cela. Et il faudrait qu’elle avoue avoir mal accueillit ladite personne, ce qui n’était pas à l’avantage d’Evelyn. - Clébard, vous avez dit? Certainement, cela lui plaira de savoir que vous le tenez en si haute estime. Dois-je vous raccompagner de force?
Un court instant, ses yeux brillèrent d’ambre. Pour rappeler à l’intruse où elle se trouvait, devant qui elle se tenait. Pas un chien. Un loup, et elle pouvait mordre.
Je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire entre l’amusement et la moquerie. Caveau… Bien piètre façon de me renvoyer la balle, à mon sens. Ainsi, arquant un sourcil, j’entrepris de lui répondre sans même masquer mon mépris.
- Rassurez-vous. Mon « caveau » est bien trop lumineux et agréable pour que l’on puisse l’appelle de la sorte.
Hé bien, hé bien… Œil pour œil, dent pour dent, visiblement. Cette femelle me rendait chaque coup verbal que je pouvais lui porter et cela sans hésiter. A défaut d’avoir la race, au moins avait-elle le répondant. La toisant avec un certain dégoût, je grimaçai légèrement. Pourquoi diable cette sous espèce ne savait-elle pas rester à la place qui était la sienne : la niche ou, à la limite, nos pieds ? Ce n’était donc ni un os ni une friandise qu’elle méritait mais seulement la chaîne et peut être une gamelle d’eau, dans mon extrême générosité. Un léger ricanement fut arracher d’entre mes lèvres à l’entente de mon « tas de ferrailles ».
- Ce « tas de ferrailles » vaut sûrement plus cher que votre pathétique et misérable vie elle-même.
Oh, je n’étais pas franchement attachée à l’argent. Enfin. J’aimais ma voiture et chacun, au manoir, savait que j’étriperais la première personne à y toucher. Mais j’avais assez d’argent pour m’en racheter. J’avais assez d’argent pour tout, ou presque, à vrai dire, alors… Celui-ci ne m’intéressait plus vraiment. Pour autant, je savais que certains chiens, particulièrement désagréables et ne sachant pas se contrôler, étaient vendus bien peu cher sur les marchés noirs vendant des esclaves. Bien sûr des vampires l’étaient tout autant, mais… Là n’était pas la question. Et je doutais même qu’elle soit au courant du moindre prix sur ce genre de marché. Si elle suivait mon père… elle devait être tout aussi… Pacifique. Un comble pour des bêtes. Pinçant l’arrête de mon nez, je soupirai alors. Elle n’allait pas me faciliter la tâche, c’était une chose évidente, et la logique, bien sûr, aurait désiré que je m’en aille pour donner le cadeau à mon père plus tard. Mais… Non. Il en était hors de question. A bien y réfléchir, mon Emmerdeur de mari semblait même avoir finit par déteindre sur moi. Que Dieu m’en préserve. Esquissant un sourire mauvais, je secouai la tête.
- Il me semble que le Docteur Rosenbach, mon père, est votre chef, votre… Je mis quelques courtes secondes à chercher le mot exact, Alpha, n’est-ce pas ? Or, ce dernier, lui-même, m’a assuré que je pourrais venir à l’heure qu’il me conviendrait. Vous n’oseriez pas le contredire, tout de même ?
A la couleur de ses yeux, j’esquissai un sourire, mes iris tournant au rouge, entre la colère de la voir résister, le mépris quant à cette chose et l’agacement de ma présence même en ces lieux.
- Rassurez-vous, dis-je malgré tout de la manière la plus polie, et donc la plus désagréable et irrespectueuse possible, mon père sait ce que je pense de votre race, je ne lui ai pas caché, et je déplore même qu’il ait rejoint vos rangs si minables. Mais je n’ai visiblement pas d’autres choix que d’accepter cela si je désire rester en contact avec lui. De ce fait. Je vous conseille de vous écarter de mon chemin et de m’indiquer où je peux trouver votre Alpha. Je ne suis ni d’humeur à supporter votre présence, ni d’humeur à jouer au chat et à la souris verbalement avec une chienne. Je ricanai un coup. Quant au cadeau… Mon père sera certainement ravi de savoir quel accueil ses toutous ont fait à sa fille. Je tâcherais de vous rendre visite avec toute ma famille la prochaine fois. Dieu sait qu’ils adorent les bestioles dans votre genre. Doucement, je m’approchai d’elle, baissant le ton sans la quitter des yeux. Pour aider votre cerveau aussi limité soit il à comprendre ce que je dis là. Nos lycans sont généralement… A la niche… Quand ils sont vivants.
C’était une fausse vérité, je devais l’accorder. Nous n’avions pas beaucoup de lycans dans notre cave. Pour la simple et bonne raison que ces derniers ne faisaient pas long feu chez nous. Et dans tous les cas, ces derniers n’avaient pas de niches, mais seulement une cage ou, dans le meilleur de cas, une salle de torture pour eux seuls. Bien sûr, certainement, cette chienne ne se douterait pas que ce que je disais avait une grand fond de vérité. Sûrement allait-elle prendre cela pour une « image » de l’amour que nous portions aux chiens. Mais parfait… Elle pourrait ainsi le voir en direct lorsque je finirais par l’emmener dans l’une des cages.
-If you kick a dog, it’ll crawl back, lick your foot, begging for forgiveness. Kick a wolf, and he’ll rip your face off.-
Son caveau n’était pas un caveau, trop lumineux et trop agréable, selon la vampire. Étais-ce bien vrai? Faussement désolée, la louve répondit alors :
- Je vois, mes excuses. Et elle rectifia aussitôt sa méprise : - Une chapelle funéraire, dans ce cas.
Sérieuse, était la louve. Et elle avait encore quelques idées en tête, si cela ne convenait pas. Son lexique funéraire était très développé. Les deux femmes pourraient s’attarder un moment sur le sujet.
- Ce « tas de ferrailles » vaut sûrement plus cher que votre pathétique et misérable vie elle-même.
- Tout est relatif, répondit la louve dans sa grande sagesse. Et sage, la louve pouvait l’être quand elle le désirait. - Pour vous, ma vie ne vaut certainement pas plus que la saleté sous vos souliers. Soyez assuré que votre vie ne vaut pas davantage à mes yeux.
Un vulgaire moustique, voilà en réalité ce que représentait la vampire blonde à ses yeux. Une sous-espèce. Une sous merde. Et qu’elle soit la supposée fille de son Alpha n’y changeait rien. Peut-être, si Evelyn avait respecté son Alpha comme elle le devrait, peut-être aurais-ce été différent. Mais, depuis son ascension au trône, Victor n’avait pas augmenté dans l’estime de la louve. Et un vampire restait un vampire. Il y avait, certes, quelques exceptions, mais elles étaient rares. Et cette vampire mal élevée ne faisait pas partie des exceptions. …Mal élevée, Victor avait fait un piètre travail comme père; était-il meilleur dans son rôle d'Alpha?
- Il me semble que le Docteur Rosenbach, mon père, est votre chef, votre… Alpha, n’est-ce pas ? Or, ce dernier, lui-même, m’a assuré que je pourrais venir à l’heure qu’il me conviendrait. Vous n’oseriez pas le contredire, tout de même ?
Oser le contredire? Certainement! Evelyn était douée pour ça. Arrogante, elle répondit :
- Je n’ai pas eu connaissance de cela. Peut-être a-t-il oublié de nous mettre au courant. Peut-être voulait-il simplement être poli avec vous et que, en réalité, il ne désire pas réellement que vous veniez empester les lieux.
Une supposition très réaliste. Sinon, comment cela se faisait-il qu’Evelyn ne soit pas au courant? Victor ne s’était pas vanté d’avoir une fille vampire; il ne l’avait pas crié sur le toit du manoir. Avant ce jour, Evelyn ne connaissait qu'un seul enfant à Victor : Alice... Alida... Adèle... Adelaïde! Aperçu une fois au Manoir. Lycane, bien sûr. D'ailleurs, tout le monde ici savait qu’elle avait un fils. Lycan, bien sûr. On ne cachait pas ses réussites, on ne cachait pas un enfant prodige. On cachait un enfant vampire indésiré et indésirable. Un oubli de la part de Victor? Evelyn n’était pas assez proche de l’homme pour avoir été mise dans la confidence? Possible.
En réponse à ses iris couleur ambre, ceux de la vampire tournèrent au rouge. Peu impressionnant.
- Accepter votre père tel qu’il est… Quelle attitude généreuse!, dit la louve, sarcastique à souhait.
Puis, elle eut droit à des menaces. Ce qui ressemblait à des menaces, mais Evelyn n’en était pas certaine. Ce n’était pas clair. En quoi la visite d’une famille de vampires pouvait être menaçante? Les loups savaient accueillir la vermine, griffes et crocs sortis.
- J’accueillerai avec plaisir votre famille de déterré. Nous avons un grand terrain, c’est donc sans problème que nous vous trouverons à tous un emplacement pour vous remettre en terre.
Evelyn sourit, malveillante. Elle était contrariée, cependant cette petite joute verbale était divertissante. La présence de la vampire était non désirée, et cela allait forcer Evelyn à faire un peu de ménage après son départ, cependant cela permettait à Evelyn de déverser librement son venin. Heureusement qu'elle était seule.
- Ne parlons pas de mon cerveau, nous devrons sinon parler du votre, lequel s’est certainement atrophié à votre mort. Ou étiez-vous ainsi de votre vivant? Naturellement idiote? Pour aider votre cerveau… pardon, ce qu’il en reste, je vais me répéter, mais lentement cette fois : Sortez. Maintenant. Ou je repeins. Les murs. De votre sang.
Pour accompagner ses mots, elle repoussa la vampire d'un mouvement vif, d’une poussée au niveau d’une épaule, pour la faire reculer. Il ne fallait pas se fier à la tête de panda sur son gilet, à sa tenue de nuit, Evelyn était une louve féroce. …Oui, cachée dans une meute de loups pacifiques.
Je plissai quelque peu les yeux en observant la louve. J’étais une personne particulièrement patiente lorsqu’il le fallait, mais je devais avouer que la chienne atteignait bien rapidement mes limites. Soupirant je levai alors les yeux au ciel, signe de mon agacement, non pas du fait de ses insultes qui ne me faisaient réellement que ni chaud ni froid, mais surtout par son insolence.
- Je préfère encore vivre dans une chapelle funéraire qu’une niche, heureusement. Soufflai-je alors qu’il était désormais question de mon véhicule.
Je retins fermement un ricanement. Pour sûr, je ne pouvais pas me tromper. Ni l’une ni l’autre ne portions la seconde dans notre estime. Bien au contraire, même. Sûrement ma race ne devait elle pas lui être agréable, comme sa puanteur me l’état, tout du moins. Soupirant, je secouai alors la tête. Je n’avais pas de temps à perdre avec un vulgaire cabot. Arquant un sourcil à sa remarque sur la simple « politesse » dont avait pu faire preuve mon père envers moi, j’esquissai un léger sourire narquois. Une chance que je connaisse mon cher géniteur. Voici bien une chose dont je pouvais être sûr : elle se trompait.
- Pensez ce qu’il vous plaira. J’ai des choses bien plus intéressante à faire que répondre aux aboiement d’une pauvre chienne mal lunée. Soufflai-je. Maintenant, si vous désirez appeler George… Je soufflai. Son prénom. Je l’oubliais toujours. Victor pour vous en assurez, faites. Mais ne me faites pas perdre davantage mon temps.
Le sarcasme de la louve, à coup sûr, commençait à sérieusement m’agacer. Les yeux rouges je l’observai attentivement tandis qu’elle répondait à mes menaces. Dans une impassibilité parfaite, je fronçai néanmoins quelque peu les sourcils.
- Ecoutez. Dis-je enfin, il semble que nous n’allons pas trouver un arrangement. Alors rentrez donc dans votre niche avant que ce ne soit moi qui doive vous trouver un emplacement funéraire dans votre « grand terrain ».
A sa menace, j’esquissai un sourire narquois. Réellement ? Elle me menaçait ? Un soupir d’amusement et je secouai la tête.
- Si vous tentez de m’intimider, vous n’êtes pas tombée sur la bonne personne, Miss Panda. Alors je vais, à mon tour, me répéter. Dites-moi où se trouve mon père et son bureau. Voyez-vous, je pourrais être en compagnie de mon mari, chez moi, à la place de supporter la puanteur des chiens de cette meute. Alors ne m’agacez pas plus que je ne le suis.
Mais ses paroles, elles furent rapidement suivies d’un geste, un geste qui me fit alors siffler d’agacement. Me faire repousser de la sorte. La fusillant du regard, j’usai de ma vitesse pour me retrouver derrière elle, mes lèvres proches de son oreille.
- Ecoutez-moi très attentivement. Je ne veux faire aucun mal aux chiens de mon père. Mais ne m’obligez pas à vous dresser. Alors soyez une bonne fifille et je partirais dès lors que vous m’aurez indiqué où se trouve mon père.
Pour tout dire, il aurait été logique, raisonnable même, que je parte de cette propriété. Je n’étais pas combattante, loin de là, j’étais seule, là où j’ignorais s’il y en avait d’autres, et je me trouvais sur un terre de lycans. Trois faits qui auraient dû me pousser à quitter les lieux. Mais il y avait un et un seul mais. Jamais je n’accepterais de me soumettre aux désirs d’une chienne insolente. Et cela, j’allais bien rapidement le lui prouver. Un coup sec à l’arrière de ses genoux et je vins la faire plier. Genoux à terre, j’usai de nouveau de ma vitesse pour le placer face à elle, le regard plus rouge que jamais.
-If you kick a dog, it’ll crawl back, lick your foot, begging for forgiveness. Kick a wolf, and he’ll rip your face off.-
Toujours cette même insulte. La niche. Encore et encore. Une cabane pour les chiens. C’était, de la part de la vampire, un véritable manque d’imagination! Cela étant, Evelyn était satisfaite d’apprendre que l’utilisation des mots « chapelle funéraire » était approuvée pour désigner l’endroit de vie des vampires.
Insolente, cette chère Evelyn? …Certes, certes, cela faisait partie de ses plus grandes qualités. Et puis, il faut dire que le cadavre ambulant dans le hall d’entrée du manoir faisait ressortir le meilleur en Evelyn; un don des vampires, ça – l’éternité et l’arrogance. La louve n’avait qu’une seule et très précise envie : faire ravaler ces insultes à l’intruse. Ce qui pouvait être dangereux; la fureur de son Alpha pouvait être dangereuse.
- Maintenant, si vous désirez appeler George… Victor pour vous en assurez, faites. Mais ne me faites pas perdre davantage mon temps.
Victor s’appelait aussi Georges? …Ok. Dans une ancienne vie, peut-être? Ou bien la sangsue n’avait pas toute sa tête et en oubliait jusqu’au nom de son père? La mort lui avait certainement grillé quelques neurones.
- Vous êtes morte, théoriquement vous avez tout votre temps. …Enfin, jusqu’au lever du soleil.
Non, aucun arrangement possible. Evelyn n’était pas connue pour être très conciliante avec les intrus à 4 heures du matin. Elle avait, certes, un léger – très léger - problème de comportement. Et la louve tentait de s'améliorer - oui oui. Mais pas à 4 heures du matin. Pas après avoir entendu les mots « niche, clébard, chien », et on en passe.
Les menaces ne fonctionnaient pas sur Evelyn; pour cela il aurait fallu que la mort l’effraie, ce qui n’était pas le cas. Et elle avait essuyé des tirs de mortiers durant la seconde guerre mondiale, alors une petite blonde en colère… À la menace de la sangsue de lui trouver elle-même un emplacement funéraire, la louve afficha donc simplement un air hautain. Suite à quoi, Evelyn menaça de repeindre les murs avec le sang de l’intruse.
Miss Panda, dit la vampire. …Tiens, tiens, pas d’insulte cette fois. Était-ce la voie du respect mutuel qui s’annonçait au loin? … à la place de supporter la puanteur des chiens de cette meute. Alors ne m’agacez pas plus que je ne le suis. …Ah, eh bien non. À la poubelle le respect. …Quel respect? Il n’y en avait pas eu depuis le début de cette conversation. …De toute façon, si un vampire désirait le respect d’Evelyn, il allait devoir se lever de bonne heure... Ou ne plus jamais se lever.
- Et moi la vôtre. Et je précise que votre niveau d’agacement m’indiffère.
Et c’est par la suite qu’Evelyn repoussa la sangsue, pour que cette dernière arrête de déblatérer inutilement. La réaction fut instantanée : avec sa rapidité surnaturelle, la sangsue se retrouva dans le dos de la louve. Provocation. Nouvelle menace à peine voilée. Evelyn serra les dents, serra le poing droit.
- Ecoutez-moi très attentivement. Je ne veux faire aucun mal aux chiens de mon père. Mais ne m’obligez pas à vous dresser. Alors soyez une bonne fifille et je partirais dès lors que vous m’aurez indiqué où se trouve mon père.
Dresser un loup? Un court rire sortit des lèvres d’Evelyn devant cette ineptie. Impossible, que la blonde essaie donc pour voir ce qu’il allait lui en coûter!
Evelyn se retrouva alors un genou à terre et un grondement bestial se fit entendre. Elle dû faire alors un effort pour calmer sa respiration, éclaircir ses idées. Sombres idées, lugubre pensée, l’envie de se transformer et de faire un carnage. Elle inspira, expira, se calma légèrement, le brouillard dans son esprit se dissipa. Elle desserra le poing.
- Ça suffit, maintenant, dit la sangsue. Non. …Non. Si cela lui suffisait, la sangsue aurait quitté les lieux. Ce n’était pas suffisant. Et Evelyn n’était pas satisfaite. Le brouillard, de nouveau, vint obscurcir le jugement de la louve.
- Au contraire, gronda-t-elle au même moment de foncer sur le zombie avec la ferme intention de la plaquer au sol, l’intention de lui étamper son poing au visage. Intentions malveillantes. À sa décharge, pour lui rendre justice, Evelyn faisait là preuve d'une retenue remarquable.
Théoriquement morte. Oui et non. Elle n’avait certes pas tort en un sens, mais ce n’était là qu’une image faussée que bien des abrutis avaient à notre encontre. Nous étions bien loin d’être morts. Et je ne comptais certainement pas rejoindre une tombe avant un certain temps. D’ailleurs, à bien y réfléchir, sûrement la chienne la rejoindrait-elle avant moi. Après tout, les lycans n’étaient pas immortels, eux. Je grondai néanmoins quelque peu à sa remarque solaire. Effectivement. Je n’avais pas tout mon temps, et je m’étais visiblement pris assez tard pour ne pas pouvoir m’attarder des heures face à ce Yorkshire qui essayait d’aboyer. Bras croisés, je levai les yeux au ciel. Mon niveau d’agacement l’indifférait ? Parfait. Nous allions nous entendre sur un point : notre indifférence la plus totale. Et cela aurait, d’ailleurs pu s’arrêter là. Mais elle en décida autrement. S’il y avait une chose que je ne supportais pas, c’était bien cela. Elle venait de me toucher, et pas seulement pour m’embrasser. La « violence » de son geste n’aurait pu passer inaperçu, tant et si bien que je réagis presque immédiatement. Mes menaces prononcées, voilà que je mettais le chien à genoux, là où était sa place : à mes pieds.
Pensais-je que cela allait lui servir de leçon ? Oui et non. Non car je savais pertinemment que cela risquait de « l’agacer », mais… Oui car j’avais encore une once d’espoir quant à une intelligence existant chez elle. Espoir bien rapidement mis à mal alors qu’elle venait me foncer dessus. Sans avoir le temps de réagir, voilà que je me retrouvais bientôt au sol, n’ayant que le temps d’un mouvement de tête pour voir son poing s’écraser dans le sol près de moi. Sifflant de colère, je la repoussai alors violemment, droit dans une porte fermée qui s’ouvrit sous le choc. Me remettant sur mes jambes, les yeux plus rouges que deux rubis et les crocs sortis, je m’approchais de ladite porte. Visiblement, je n’y avais pas été de main morte. Le cadre en avait été abîmé, et j’espérais bien que le chienne aussi. M’adossant au bois je ricanai alors rapidement.
- N’ai-je pas dit que ça suffisait ? Maintenant avant que nous détruisions cette niche. Où est mon père ?
Une chance et une seule m’était donnée : elle ne s’était pas transformée. Je restais donc plus forte qu’elle à tous les niveaux pour le moment. Plus rapide, plus puissante. C’était là ma seule chance et mon seul espoir de sortir plus ou moins indemne si nous venions à nous battre. Je savais néanmoins que les chiens pouvaient être particulièrement… Instables. Ainsi, redoutant une transformation, je me préparais au pire, mais non à la retraite car il était tout à fait hors de question que je doive plier le genou face à telle créature.
-If you kick a dog, it’ll crawl back, lick your foot, begging for forgiveness. Kick a wolf, and he’ll rip your face off.-
Un rire désagréable aux oreilles de la louve. Elle s'aida de l'étagère murale à sa gauche pour se remettre sur ses pieds. Son cœur palpitait furieusement. - Allons discuter dehors, prononça la louve d’une voix grondante, profonde. Une invitation claire, sans ambiguïté, à se battre dans un endroit approprié. Elle pourrait mettre le problème du cadre de porte sur un état d’ivresse; on n’aurait aucune difficulté à la croire. Mais Evelyn préférait ne pas avoir à expliquer un mur défoncé. Elle préférait ne pas avoir à entreprendre de grandes rénovations en urgence. En fait, si Evelyn avait la présence d’esprit de vouloir conserver les murs du manoir intacts, du reste elle n’arrivait pas à réfléchir calmement. Elle se répéta : - Oui, sortons. Cela nous évitera de détruire cette niche, acerbe était le ton de la louve en prononçant les deux derniers mots. Elle digérait mal cette insulte. – Allons nous balader. Nous avons de magnifiques fleurs, votre père voudrait que vous les voyiez. Elle sentait un picotement aux niveaux de ces dents, passa sa langue sur sa canine gauche, imaginant le bonheur que ce serait de refermer les crocs sur la nuque de la vermine blonde. – Oui, allons attendre votre père à l’extérieur. Attendons qu’il revienne. On vous trouvera un coin à l’ombre d’un arbre. Un coin, sous un arbre, sous terre. La louve avança à pas lents vers la sangsue, un pas de prédateur. Sa main droite amorça une transformation. Sa mâchoire s’élargit, ses dents s’allongèrent. Un craquement fut audible. Une transformation lente, contrôlée, douloureuse. –Sortons, conclut-elle d’une voix caverneuse, prête à escorter elle-même l’intruse jusqu’à l’extérieur si cela s’avérait nécessaire. Prête à compléter sa transformation ici-même, et au diable la conservation des lieux; elle était ici chez elle, et elle ne laisserait pas un vampire avoir ici le dernier mot, ni rire d’elle.
Dehors. Elle désirait se battre. Il ne fallait pas être devin pour le comprendre. Mais je me connaissais. Mes aptitudes au combat n’avaient jamais été élevées. Et je ne connaissais pas les compétences de cette chienne. Le risque, alors, était particulièrement gros à la suivre à l’extérieur. La répétition dont pouvait faire preuve le Yorkshire me prouvait, par ailleurs, que mes attaques n’étaient pas tombées dans l’oreille d’une sourde. Prises en compte, remuées, repensées, mon dernier affront physique avait eu l’air de la secouer assez pour qu’elle ne se tienne plus. Immobile, les yeux rivés sur cette chienne, j’esquissai un sourire mauvais. Voilà qu’elle se transformait. Incapable de se contenir. Des bêtes dangereuses et incontrôlables. Des bêtes de foires, en fin de compte. Voilà ce qu’était cette race de sous homme-animal. Grimaçant de dégoût, je me tenais prête à la moindre esquive. Une attaque ? Je n’en ferais rien. Si je n’appréciais pas réellement, quoique cela soit un euphémisme, les chiens, je connaissais néanmoins leurs capacités. Plus forts, plus rapides. Je n’aurais aucune chance face à un louve, notamment en extérieur. Et elle avait l’avantage du terrain. Somme toute, j’étais très certainement dans l’une des pires passes que j’avais pu être jusqu’à aujourd’hui. Et encore une fois, ma fierté en avait été l’une des causes.
- Incapable de respecter jusqu’à son alpha. Raillai-je. Je croyais que les toutous étaient fidèles à leur maître. Je vois que vous n’êtes même pas capable de respecter sa propre famille.
Plissant les yeux, je soulevai rapidement ma jupe pour y attraper la dague que je gardai toujours plaquée contre ma cuisse, en toute occasion. Seule arme avec laquelle je me sentais plus ou moins à l’aise, je savais qu’elle ne me serait d’aucune utilité pour battre une chienne enragée comme ce que je pouvais avoir en face de moi. Mais il était tout à fait hors de question que je plie le genou face à elle ou que je me laisse entraîner vers un destin qui semblait être sanglant. Non. Je me battrais jusqu’au bout, quoiqu’il puisse arriver. La fuite étant hors de propos et, de toutes les manières, impossibles désormais, sa rapidité allant bientôt dépasser la mienne, je sifflai alors un coup.
- C’est à la niche que je risquerais de vous envoyer.
Menace inutile, évidemment, mais menace tout de même, alors même que je savais qu’il me faudrait un miracle pour m’en sortir vivante désormais. L’arrivée de mon père, peut-être…
-If you kick a dog, it’ll crawl back, lick your foot, begging for forgiveness. Kick a wolf, and he’ll rip your face off.-
- Incapable de respecter jusqu’à son alpha.
La sangsue avait raison sur ce point, il fallait le lui concéder. Evelyn ne tenait pas Victor en haute estime. Pour certaines raisons qu’Evelyn n’allait pas débattre aujourd’hui avec la fille de son Alpha. La fille de son Alpha… Une véritable peste. Une éducation ratée.
- Je croyais que les toutous étaient fidèles à leur maître. Je vois que vous n’êtes même pas capable de respecter sa propre famille.
Ce n’était pas ainsi que fonctionnait le respect; le respect se gagnait, se méritait. Mais Evelyn ne répondit rien, elle n’était pas là pour donner un cours sur le respect. Elle ne répondit que par un grognement.
La lente transformation de la louve était un message, un avertissement. Au lieu de reculer, la vipère sortit une arme. Une bien jolie dague. Evelyn aussi en possédait une; une longue dague de combat irlandaise. À un autre moment, dans d’autres circonstances, la louve aurait pu proposer un combat à l’arme blanche. Pas aujourd’hui. En ce moment, les intentions de la louve étaient assez claires: expulser l'intruse à coup de griffes. Le sang allait couler; celui de la sangsue, peut-être même le sien – peu importe. La louve avait cessé de raisonner.
La vampire était téméraire, désirait mourir la tête haute. Qu’il en soit ainsi, il était trop tard pour reculer maintenant, et ce n’était pas dans les intentions d’Evelyn.
- C’est à la niche que je risquerais de vous envoyer.
Un sourire mauvais étira les traits déformés de la louve. – Et moi, dans votre caveau, furent les derniers mots qu’elle fut en mesure de prononcer. Sa transformation n’était pas entièrement complétée lorsqu’elle sauta sur sa cible. Elle sentit la brûlure de la dague et sentit également ses crocs se refermer sur la sangsue.
L’anniversaire de mon père… Je l’avais complètement oublié. Enfin. Je devais admettre que cela faisait tout de même près de cent cinquante ans que je ne le lui avais pas fêté, ce qui convenait tout à fait à ma défense. C’est pourquoi j’étais tout à fait en retard pour le lui souhaité. Pire. Je n’avais aucun cadeau à lui faire. Mais… Au moins allais-je le lui souhaiter de vive voix. Pour cela, ce fut la direction de sa meute que je pris lorsque je quittai le restaurant à la fin du service de nuit. Trente minutes de voiture et quelques feux plus tard, j’entrai enfin et pour la première fois dans la propriété. Terre de loup, j’espérais que ces derniers soient aussi tolérants que mon père, certes, mais il allait falloir que je reste sur mes gardes. Ne savait-on jamais.
Je ne pus m’empêcher de remarquer la voiture de luxe déjà parquée dans la cour. Fronçant les sourcils, je secouai alors la tête. Au moins ne manquaient-ils pas d’argent au sein de cette meute. Tant mieux. Je préférais savoir mon père hors de la misère, et cela, surement, en était la preuve. J’arrêtai le moteur. La musique cessa. Ce fut à cet instant que mon oreille fut attirée par quelques bruits sourds. Qu’était-ce ? Je n’en avais pas vraiment d’idée. Fronçant les sourcils, je quittai l’habitacle pour m’approcher de la porte, étrangement soucieux. Quelques coups sur celle-ci, et je secouai la tête avant d’ouvrir prestement la porte. Nul doute supplémentaire sur la nature de l’affaire. Un combat. Ce n’était que des bruits de combats à l’intérieur de la demeure. A quatre heure du matin passée.
Une demeure de loups. Je venais de pénétrer sans autorisation et en plein combat dans une demeure de loups. Pourtant, ce ne fut que l’adrénaline que j’écoutai, espérant que la surprise de mon arrivée suffise à ne pas me faire agresser. Ainsi, je me précipitai alors entre les deux assaillants, un lycan et ce qui semblait être une vampire à l’odeur. Chacun leur tour, je les envoyai dans le décor. Le premier dans l’encadrement d’une porte visiblement déjà abimée, la vampire contre un mur dont les cadres se décrochèrent.
Grondant furieusement, j’observai l’un et l’autre des assaillants, le regard rougeoyant.
- Ne sommes-nous pas censés être dans une meute pacifiste ?! Grondai-je en me tournant vers le loup, prêt à me défendre avec toute mon expérience militaire. Où est votre alpha ?! Que penserait-il de cela ?! Je doute que mon père puisse accepter une telle violence ! Ce fut alors le tour de l’intrue, car la vampire était bien l’invitée ici, une invité qui ne s’était visiblement que trop mal comportée. Et vous ! Comment osez-vous attaquer un loup dans sa propre dem…
Alors que je m’étais approché de l’assaillante, je me stoppai net, surpris de ce que j’avais devant les yeux.
- Banfhlath… Prononçai-je du plus bel accent écossais que je pus. Tha thu beò…*
Si la chevelure de feu de celle que je cherchais avait aujourd’hui disparu, je n’avais aucun doute sur qui se trouvait face à moi et cela malgré, même, les yeux rouges qu’elle arborait. Quelque peu interdit, je me retournai pour lui faire dos, fronçant les sourcils afin de tenter de remettre mes idées en place.
- Ma sœur s’excuse de son comportement. Dis-je sérieusement en m’inclinant légèrement. Je pense pouvoir imaginer que nous pouvons compter sur vous pour que mon père ne sache rien de ce qu’il vient de se passer ici. Vous comme moi connaissons son pacifisme. Un œil vers Elizabeth et je sifflai un coup. Tha sinn a ’dol a bhruidhinn, Ealasaid.*1
J’avais expressément fait le choix de lui parler écossais, priant le ciel pour qu’elle se souvienne de cette langue que nous avions appris plus jeune, pour espérer ne pas me faire comprendre de le lycan. Elizabeth, aussi loin que je me souvienne, avait toujours été une personne fière, et j’étais là en train de la gronder. Nul doute qu’elle n’allait pas l’accepter si facilement, et même si elle était trop douce pour s’en prendre véritablement à moi, il fallait que je prenne en compte son ressenti et j’espérai donc que le faire sans que le loup ne puisse comprendre serait une idée plutôt judicieuse…
Néanmoins... Mieux valait prévoir toute attaque de la part du loup, ainsi m'étais-je mis en position de défense, prêt à faire reculer le lycan en cas d'attaque sur moi ou sur ma petite soeur.
Traductions:
* « Princesse… Tu es vivante… *1 Nous allons avoir une discussion, Elizabeth.
J’avais fortement serré les dents lorsque les crocs du chien s’étaient refermés sur mon bras. La douleur était telle que je n’avais pas réellement fais attention à l’endroit où s’enfonçait ma dague. A vrai dire, je savais une chose : je ne faisais pas le poids face à elle. Les lycans sous leur forme animale étaient naturellement plus forts, plus rapides que nous, vampires. J’ajoutai à cela mon incapacité à me battre et les faits étaient ainsi là : je m’étais engagée dans une bataille dont l’issue était particulièrement mauvaise pour moi. Mais même si je savais cela, même si je me doutais de la finalité de cette histoire, une chose était : je savais que ma mort ne resterait pas impunie et que j’emporterais cette chienne avec moi dans la mesure du possible. Ce que je n’avais pas prévu, néanmoins, fut l’arrivée impromptue d’un inconnu qui me sépara de mon assaillante. En quelques secondes, je la vis repartir là où je l’avais précédemment envoyé avant de me faire moi-même projeter violemment contre un mur. Le souffle coupée, à terre, je peinai à me remettre assise tandis que l’inconnu, l’homme, venait à… Je fronçai les sourcils, désormais assise, le regard plus que perplexe. Ce vampire était-il réellement en train de gronder la louve ? Un instant, j’eus envie de rire. Un instant fugace qui s’effaça au mot « père ». Ce vampire avait donc un père qui vivait à la meute ? Le monde était donc bien petit. M’aidant douloureusement du mur, je grondai alors en me remettant debout, n’imaginant certainement pas la chienne se laisser insulter de la sorte. Mais en attendant, c’était vers moi que le vampire s’était tourné, pour espérer me gronder à mon tour ?
Prête à répondre, à riposter et à lui arracher sa jolie tête rousse, je me stoppai alors soudainement tandis que ses yeux verts croisaient les miens. Que faisait-il là ? Non. Ce n’était pas la question. Plutôt… Il n’était pas mort ?
- Comment ?...
Je n’eus le temps de poser davantage de question que mon frère se retourna vers la louve pour… Je sifflai furieusement en me redressant. Peu de temps pour les questions et les retrouvailles. J’avais bien d’autres chats - ou plutôt chiens - à fouetter.
- Je t’interdis de parler en mon nom, Louis. Sifflai-je de nouveau en retour. Agus nach leugh thu òraid dhomh idir.*
Je n’avais certainement pas oublié notre langue presque natale. Ni ce comportement moralisateur. Les yeux rougeoyants, je m’avançai alors vers la chienne, sans dépasser Louis. Une chose était certaine. Il venait de me sauver la vie, et je ne le savais que trop. Néanmoins… Néanmoins la fierté était une chose bien compliquée et je ne désirais certainement pas perdre la face devant un simple animal de compagnie.
- Apprenez à recevoir vos invités. Grondai-je à l’égard de la chienne. Je pensais d’ailleurs que les chiens savaient remuer de la queue.
Au moins pouvait-elle attaquer de nouveau. Je n’étais plus seule, et donc en force. Plus ou moins.
Traduction:
*Et ne t’avise pas de me faire la moindre réflexion.
-If you kick a dog, it’ll crawl back, lick your foot, begging for forgiveness. Kick a wolf, and he’ll rip your face off.-
Sérieusement. Evelyn était impulsive, incapable de résister à la provocation. Elle se contentait souvent d’insultes et de menaces. Ce n’est pas toujours suffisant : parfois, le sang doit couler. Comme aujourd’hui. La louve avait un goût d’hémoglobine en bouche; celui du vampire femelle. Si un jour quelqu’un lui posait la question, elle dirait que les vampires ont un goût de mort. Un mensonge, une exagération, car elle ne portait pas les vampires dans son cœur. Il y avait des exceptions; rare exceptions, car la plupart des sangsues lui inspiraient ce que cette sangsue blonde lui inspirait : le dégoût et la haine. Elle ressentit une douleur au flanc droit, ni porta pas davantage attention; son corps à la mi-chemin d’une transformation complète n’était que douleur.
Elle sentit son corps partir vers l’arrière de manière inexpliquée, son dos heurter quelque chose de solide et lui couper le souffle. Elle ressentit de l’incompréhension, davantage que de la colère. Et la crainte que son Alpha n’ait décidé d’écourter sa nuit de travail. Une courte seconde, car le nouveau venu empestait le vampire. Et Evelyn se maudit intérieurement : elle avait été si occupé à plonger les crocs dans la chair molle de son adversaire, qu’elle n’avait pas senti la présence de l’homme. Une erreur. Elle commettait beaucoup d’erreurs, Evelyn. Une longue vie; une longue liste d’erreurs. Oublier son environnement peut être fatale.
C’était une invasion d’insectes. Aussi apprécié que des larves dans un champ de maïs. Aussi plaisant qu’avoir des coquerelles dans sa résidence. Aussi distrayant qu’une armée de mouches lors d’un repas en plein air.
Une veine battait furieusement à la tempe de la louve. Ses muscles, tendus par la colère et la mauvaise surprise de la présence d’un témoin. Elle allait devoir creuser un plus grand trou dans la terre. De biais, la grande horloge du salon lui indiquait le temps qui passait. Elle se demanda alors si elle pourrait les tuer tous les deux sans tout démolir dans le manoir, et se demanda encore plus si elle aurait le temps de tout nettoyer avant le retour des autres. Tout nettoyer et creuser une tombe pour ses victimes. Elle éprouvait une douleur diffuse dans tout son corps: ses muscles étirés, ses mains et son visage déformés par la transformation, son épiderme couvert de poils noirs; sa transformation bloquée, la louve figée. Et elle sentit sa colère retomber subitement, être remplacée par la stupéfaction, son corps reprendre forme humaine, à peine caché par ses vêtements déchirés.
Une meute pacifique. Oui… Oui, en effet. Un oubli, minime oubli de la part d’Evelyn. Et les paroles du vampire, frère de l’intruse, fils de son Alpha, avaient trouvé le chemin vers la raison de la louve. Il s’était incliné; celui-là avait reçu une meilleure éducation.
Mais c’était une plaisanterie. Avoir un enfant vampire était déjà une honte; mais deux? D’où sortaient tous ces enfants? Le regard d’Evelyn dériva une courte seconde en direction de la porte d’entrée; elle s’attendait presque à voir un troisième vampire envahir les lieux. Jamais deux sans trois, que l’on dit parfois.
Une douleur aiguë persistait, malgré qu'Evelyn avait repris forme humaine; elle saignait, sentait son sang couler tranquillement, descendre le long d'une cuisse. Elle ne regarda pas, mais elle savait déjà qu’elle aurait besoin de recoudre la plaie. Elle décida de ne pas s’en préoccuper; elle désirait ne pas montrer sa douleur, ni aucune faiblesse face aux intrus. L’homme avait raison, Evelyn détesterait que Victor soit mis au courant de tout cela. Et eux aussi détesterait ça. Le pacifisme de Victor… s’il devait apprendre cette scène, il serait certainement moins pacifique.
L’autre ne put s’empêcher de la ramener : - Apprenez à recevoir vos invités. Je pensais d’ailleurs que les chiens savaient remuer de la queue.
Elle aimerait peut-être avoir le dernier mot, mais Evelyn n’était pas impressionnable.
- Invité? Je ne vous ai jamais invité à entrer, vous avez forcé votre chemin.
Et elle continua, rétorqua :
- Les chiens, oui. Les loups, non. Votre cerveau en décomposition ne sait pas différencier l’un de l’autre. Un jour, cela vous coûtera la vie.
Une constatation, davantage qu’une menace. Puis elle tourna son attention vers le nouveau venu, à qui elle adressa les paroles suivantes :
- Vous semblez… raisonnable? Puis-je vous conseiller de partir en emportant votre sœur, avant que je ne change d’avis?
Elle serra les poings; non pas pour démontrer qu’elle était prête à continuer à se battre si nécessaire, même si cela envoyait cette image, mais bien parce que la dague l’avait blessée et que la louve contenait ainsi sa douleur, en enfonçant ses ongles dans ses paumes. Aucune expression sur le visage d’Evelyn; lorsqu’elle le désirait, son visage pouvait être impénétrable.
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