Encore une autre histoire avec une fin heureuse. Je ne savais pas vraiment si je les appréciais ou non. Je pensais que oui, au moins un peu. Cela changeait des dramas, ces histoires tristes et obscures nous poussant dans des retranchements plus désagréables les uns que les autres. Mon client du jour venait ainsi de me raconter l’histoire de sa grand-mère, Meemaw de son petit nom affectueux. Une femme adorable, de ce que j’ai pu voir, aimante et décédée dans des « circonstances étranges ». Circonstances que j’ai pu, moi-même, résoudre grâce à quelques visions. Laissez moi vous raconter.
Mon client m’a donc contacté par téléphone la veille de notre rendez-vous pour me demander d’écrire un article sensation sur le décès de sas grand-mère dont l’appartement semblait avoir été vandalisé. En tant que journaliste consciencieuse, et surtout ayant des objectifs financiers et de vente à atteindre, j’ai donc évidemment accepté une rencontre, fixée au domicile de ce Monsieur pour le lendemain.

Lorsque je me rendais chez un client, plusieurs choses m’accompagnaient à chaque fois, à savoir : une petite bombe lacrymogène, un canif et mon carnet de note. Mes papiers restaient, quant à eux, toujours dans ma voiture. C’était peut-être idiot, mais je préférais protéger mes arrières – mon identité, quoique toujours connue par mes clients, ces derniers venant à moi –, et mes avants grâce à mon couteau, mon physique frêle n’appelant que rarement à la méfiance. Ou seulement de la part des enfants ou des personnes atteintes de nanisme. Et encore.
Enfin. Arrivée dans le salon, l’histoire me fut rapidement comptée. Si rapidement que vous en savez à cet instant autant que moi au même moment : rien. Enfin si. Sa Meemaw était morte et il en était malheureux. Ce qui… ne me faisait rien. Absolument rien. Mon manque d’empathie était d’ailleurs flagrant face à cet homme épleuré. Enfin bref. Vint enfin le moment fatidique, celui attendu et redouté par tous mes clients. Le moment où l’on m’apporta, enfin, les effets personnels de la morte. Pardon, il paraîtrait qu’il est plus convenable de dire « la disparue », ce qui était, à mon humble avis une idiotie pure et dure. Après tout, les « disparus » n’étaient-ils seulement pas mort. Décédé. KO. Parti aux cieux. Bref plus vraiment vivants. Devant moi se trouvaient donc plusieurs objets lui ayant appartenu : son journal intime, sa tasse préférée, le bijou qu’elle portait chaque jour et, étrangement, la vieille culotte qu’elle portait lors de son décès.
Un à un, évitant parfaitement la vieille culotte, je manipulai chaque objet en posant des questions : qui était-elle, que faisait-elle dans la vie, ses occupations, ses hobbies, qui était sa famille et ses relations avec ? Pourtant, et malgré toutes les précisions que je pouvais avoir, rien ne se passait. Pas la moindre vision, ni même une toute petite sensation.

- Auriez-vous une chose à forte valeur sentimentale ? Quelque chose qui me relierait à son existence.

L’homme sembla perplexe.

- Je vous ai donné tout ce qui se rattachait à elle. Ce journal et ce bijou était traîné partout et c’était sa culotte préférée. Je n’ai rien d’autre. Désolé.

Ok… La culotte. Je retins une grimace. Il n’y avait qu’à espérer qu’ils l’aient lavé avant de me l’apporter… Ce qui était fortement improbable : la plupart des gens pensaient qu’il fallait que le vêtement ait encore une empreinte physique, ce qui était faux et généralement dégoutant. Mais je devais le faire. Tentant par tous les moyens de masquer mon dégoût, j’attrapai ainsi le sous vêtement. Je ne sais toujours pas ce qui la reliait tant à cette culotte de grand-mère, mais, le souffle coupé, je me retrouvai instantanément dans une chambre, en compagnie de Madame la morte toujours vivante. Je jetai un coup d’œil à l’horloge. Vingt-deux heures trente-trois. Vingt minutes avant sa mort. Il ne m’en fallut pas trois pour comprendre ce qu’il s’était passé. La femme grimaça soudain, se relevant de son lit en sursaut, le bras gauche visiblement douloureux. Une crise cardiaque. Seulement. Dans sa douleur, elle envoya valser sa table de chevet ainsi que d’autres meubles et bibelots jusqu’à la porte d’entrée en passant par le salon. Puis, la vision se flouta, me ramenant dans le monde réel, face à l’enfant attentif à mes gestes.

- Crise cardiaque. Dis-je froidement. Il n’y a rien à écrire. Votre mère a seulement trébuché sur des meubles, faisant tomber ses effets personnels avant de se retrouver dans l’entrée où elle est enfin décédée après de longues minutes de douleurs atroces.

Je me relevai immédiatement. Je n’avais rien à faire ici et m’attarder ne me ferait que perdre mon temps : je n’écrirais rien sur cette mort naturelle et particulièrement idiote. Saluant mon hôte rapidement, je quittai alors les lieux. Il était peut-être vingt-trois heures. Ou un peu moins. La nuit était en tout cas tombée. J’était visiblement restée plus de l’heure que je m’étais fixée. Tant pis. C’était seulement une soirée de perdue. Je soupirai en retournant près de ma voiture garée deux rues plus loin – une mauvaise habitude que j’avais prise afin que mes clients ne voient jamais ma voiture.

- Merde. Où est-ce qu’elles sont ?

Mes clés… Je les avais oubliées chez le client. Je soupirai en faisant demi-tour. Idiote que j’étais.

Plusieurs fois, je clignai des yeux. Je ne comprenais pas réellement ce qu’il se passait, ni qui était cette femme, ni ce qu’elle faisait là. A vrai dire, je m’en moquais un peu. Je désirais seulement qu’elle quitte le toit de ma voiture, prendre cette dernière et rentrer chez moi au plus vite pour me poser devant la télévision avec un thé bien chaud, histoire d’oublier cette mort idiote qui ne ferait absolument pas la une du journal le plus minable de la Nouvelle-Orléans.

- Malheureusement, je n’ai aucune envie d’avoir une quelconque invitée aujourd’hui. A moins que vous n’ayez de quoi payer ou une histoire à me raconter, il vous faudra rentrer à pied.

Enfin, elle quitta le sommet de ma voiture. Une mauvaise chose, à vrai dire, elle semblait plus agressive encore en étant sur la terre ferme. Je ne me laissai néanmoins pas effrayer. Je n’avais pas l’intention de lui accorder la moindre attention ou le moindre plaisir. Ce n’était pas la première fois que je croisais ce type de personne. Humains ou non humains, ils étaient tous les mêmes et ne désiraient qu’un peu d’attention, c’est pourquoi je ne faisais généralement que les ignorer. Cette fois ne ferait pas exception.
C’était néanmoins sans compter le désir de rapprochement de la femme qui m’attrapa le bras. Je fronçai les sourcils.

- Les rues seraient sûrement plus sûre si vous n’étiez pas aussi cons. Maintenant si vous voulez bien m’excuser…

Je tentais de me libérer de son emprise. Ce fut chose impossible. Elle était visiblement dotée d’une force qui me dépassait. Usant de la seule technique d’auto-défense que je connaissais – quoique connaître était un grand mot, j’avais vu une vidéo une fois et je m’en étais inspirée, je me retournai alors, lui empoignant la seule chose que je pouvais : un pendentif à son cou. Je n’avais qu’à tirer, cela lui ferait, au pire, mal, au mieux cela la ferait basculer en avance. Ce que je n’avais pas prévu, c’est ce qu’il se passa au moment même où je touchai le bijou.

Rapidement, j’observai autour de moi. J’étais visiblement dans une maison. Une maison vraiment pas moderne d’ailleurs. Je pencherais pour les années 1990 ou 2000 mais sûrement pas plus à en croire la télévision du salon. Un bruit. Je fis volte-face en me plaquant contre le mur, oubliant un instant où je me trouvais. Trois lycans. Qu’est-ce qu’ils faisaient là ? M’approchant doucement, je les suivis jusqu’à une pièce, de l’autre côté du salon. Ce que je vis me fis grimacer. Ces lycans avaient si faim qu’ils s’en prenaient à un simple enfant, un petit enfant qui ne suffirait pas à les nourrir d’ailleurs. Je soupirai. Je ne donnerais pas cher, non plus, de la peau des parents sur ce coup. En parlant de parent, ce qui me sembla être la mère hurla derrière moi. Un sourire amusé se fixa sur mon visage lorsque j’aperçu le sien. Comme par hasard. Evidemment. Si je me retrouvais ici, ça n’était pas pour rien. Croisant les bras, j’observai alors la scène, surprise de sa suite. Je n’aurais, à vrai dire, pas pensé qu’une seule femme puisse venir à bout de tels bêtes enragées. Mais ce fut le cas. Le désespoir d’une mère valait visiblement mille hommes. Je la vis alors tomber, blessée, mourante. C’était fini. Ou presque.

Je me retrouvai à nouveau face à elle, l’air légèrement hagard.

- Aleksi ? Murmurai-je en me redressant sans chercher davantage à me détacher de sa poigne. Tu ne l’as pas sauvé, n’est-ce pas ?

A vrai dire, une seule et unique pensée me vint en tête : l’histoire que je venais dont je venais d’avoir la vision pouvait me faire un article parfait ! Et je comptais bien mettre cela à profit. Me dégageant enfin de sa prise, je me glissai dans la voiture, côté conducteur.

- Montez. On va chez moi.

J’avais visiblement touché une corde sensible. Parfait, c’était tout ce qu’il me fallait pour la faire vaciller et éviter de me voir égorger par une simple suceuse sans intérêt. Après tout, quitte à mourir de la main d’une créature, je préférais encore que cela soit des mains de quelqu’un d’important. Mon dos heurta néanmoins violemment la portière de ma voiture, m’arrachant un soupire de douleur. J’oubliais toujours la force de ces abrutis. Me reprenant néanmoins rapidement, je l’invitais à monter dans la voiture.
Je ne sais pas si ce fut la surprise du nom que j’avais prononcé ou juste l’envie de me tuer dans un endroit tranquille, mais elle me suivit jusqu’à mon appartement, non sans une insulte à laquelle je ne répondis pas, trop absorbée par mes pensée, et dans lequel elle prit visiblement ses aises bien rapidement, au grand dam de la politesse. Enfin. Rapidement, je préparai un café, dans toutes les bonnes convenances de l’hôtesse de maison. A vrai dire la politesse et moi, cela faisait deux. Plus que ça même. Mais disons que jouer ma propre vie m’aidait à réfléchir un peu plus rapidement qu’habituellement, je n’allais donc vraisemblablement pas m’en plaindre.

Déposant la tasse devant la vampire, je vins m’installer face à elle pour l’observer, elle et son médaillon. Un médaillon ouvrant. Parfait. J’allais même pouvoir avoir la photo du gosse pour mon article avec un peu de chance. Il me suffisait de la jouer assez finement pour la pousser à me raconter son histoire sans qu’elle n’ait envie de m’arracher la gorge. Ce qui serait, à vrai dire, un peu ennuyant pour écrire ce récit. Doucement, je vins prendre ma propre tasse. Elle avait l’air triste. Un sentiment que je ne connaissais plus réellement depuis des années, un sentiment, à vrai dire, que j’évitais surtout, préférant rationnaliser les événements qui se produisaient dans ma vie.

- Ça fait combien de temps ?

Demandais-je simplement sans la quitter des yeux. Cette fois, je ne pourrais pas prendre de notes, au risque de me faire surprendre à écrire sur quelque chose dont, certainement, elle ne désirait pas parler, en témoignait sa réaction lorsque j’avais prononcé le nom d’Aleksi.

- Vous n’auriez rien pu faire pour le sauver. Continuai-je dans un ton neutre. C’est déjà un miracle que vous vous en soyez sortie.

Je réfléchissais un coup. Il me fallait dire quelque chose de gentil, pour la mettre dans de bonnes dispositions. Mais je n’étais pas des plus habituées aux gentillesses. J’étais plutôt du style factuel. Il était mort, il ne reviendrait pas, donnez-moi votre histoire que je gagne de l’argent et dégagez de chez moi. Voilà ma façon de penser, une façon qui risquait de ne pas lui plaire.

- Est-ce que je pourrais voir son visage ? Demandais-je alors.

Bon. Je l’avais déjà vu, du moins éparpillé dans la gueule des lycans, mais cela me permettrait au moins de reprendre l’objet en main pour me replonger dans son passé.

J’haussai les épaules. Ça ne me regardait pas vraiment, et elle se moquait visiblement de moi avec sa question. Elle savait ce que j’attendais comme réponse et de quoi je parlais. Je restai néanmoins de marbre en l’observant sans un mot.
Encore une menace masquée ? J’allais finir par être habituée. Je soufflai d’ailleurs en secouant la tête. Ramenant mes jambes en tailleurs dans le fauteuil j’attrapais ma tasse pour la boire doucement sans cesser de l’observer. Etrangement, je commençais à croire que j’allais m’en sortir ce soir. Et dans le pire des cas, ce ne serait là que la fin de ma vie. Dommage, mais inévitable si le destin était écrit de la sorte.
Il sembla qu’elle entendit mes pensées. Elle n’allait pas me laisser en vie ? Nous verrons bien. A vrai dire je n’étais pas angoissée à l’idée de mourir. J’avais d’ailleurs vu bien des morts, peut être cela biaisait-il mon idée. Tant mieux, en un sens. Je n’allais pas dire que j’étais tête brûlée et inconsciente, malgré tout, mais cela me permettait de garder une certaine détente dans n’importe quelle situation, les plus périlleuse comme celle-ci comprises.

- Des lycans. Dis-je simplement avant de boire une nouvelle gorgées. Ils étaient trois sont venus chez vous et ont tué votre fils sans aucun état d’âme, en plein milieu de votre salon. Ils ne se contrôlaient pas. Mais vous les avez tués. Je mettrais ça sous le coup de l’adrénaline, à vrai dire. Je soufflai quelque peu. Vous n’étiez pas dans un bon état, à vrai dire. Et je ne sais pas comment vous vous en êtes tirée.

Une légère moue au visage quant au manque de la fin de cette histoire, je réétendis mes jambes au sol pour me pencher vers elle.

- Je ne donne jamais mes secrets. Dis-je l’air le plus sérieux du monde fixé au visage. Maintenant si vous voulez me tuer faites le vite, je n’ai pas que ça à faire.

Peut être était-ce risqué de la provoquer de la sorte. Sûrement, d’ailleurs. Mais je n’avais pas non plus envie d’attendre mon sort sans rien faire. Se savoir, ou s’imaginer, condamnée sans pouvoir rien faire… Là était la sentence la plus difficile, et ce que j’aimais le moins : l’attente de l’avenir.

- Votre fils doit vous regarder de là-haut, de toutes les manières. Je suppose que je pourrais lui dire bonjour de votre part.

Qui ne tentait rien, n’avait rien. Au moins serait-elle pressée de me faire taire et à défaut d’avoir son médaillon qu’elle tenait alors sans même faire attention à moi, je pourrais peut être savoir, après la mort, la fin de l’histoire.