Les clients d’aujourd’hui ne sont guère appétissants.

Elle qui aimait son travail pour ses proie faciles, il faut croire que ce qu’il y avait sous les yeux ne lui donnait pas plus envie que ça. Lana n’avait pas une faim de loup, mais prévoir son futur repas ne lui ferait pas de mal. Il faut croire que dans ce bar attirait pas mal de monde alors pourquoi se priver d’un petit moment de pause ? Elle venait dans Royal Street parce qu’elle s’ennuyait, et évidemment trouver un potentiel repas pour la nourrir pendant deux ou trois jours. Heureusement, ce soir elle n’était pas de service au Garden’s Pub, lui donnant la liberté de faire ce qu’elle souhaitait de sa soirée.

Elle ne portait rien d’extravagant, simplement un débardeur avec quelques ornementations en dentelle, un simple pantalon moulant et une veste en laine. Le tout en noir évidemment, avec ses fidèles lunettes de soleil qui lui permettent de cacher la teinte de ses yeux. L’ambre ne passe évidemment pas inaperçu et n’importe qui pourrait se doutait de quelque chose. La succube assumait sa nature mais peut-être que les personnes qui se trouvait dans ces lieux n’était pas favorable à sa présence. Oui, Lana peut être parano pour beaucoup de choses, ou nerveuse ? Peut-être même méfiante, ou les trois à la fois.

Mais bon, même si elle appréciait le petit verre d’alcool à sa table, elle guettait le bar. C’est souvent là-bas où les belles proies se posent en premier, et pourtant rien de bien intéressant. Quelle déception. Elle regrette presque d’avoir pris sa soirée, au moins dans le pub dans lequel elle travaillait, elle avait l’embarras du choix. Pourquoi n’était-ce pas la même chose ici ? C’est un bar assez fréquenté pourtant.

La « jeune » femme lâcha un soupire chaud s’échapper de sa bouche. Elle s’ennuyait. Il n’y avait même pas une seule personne qui avait bougé le petit doigt pour lui offrir un cocktail. Lana pendait que la simple odeur de sa fragrance suffirait pour en faire flancher au moins un, mais que dalle.

« Qu’est-ce que je fais là… » Fit-elle, lançant un dernier regard aux environs. Peut-être que la seule solution serait de fréquenter un autre bar ou pub. Des humains, il n’en manquait pas après tout. « Je perds mon temps. »

Elle s’était levée, déposant un simple billet à sa table après avoir pris le soin de prendre ses affaires. Mais en quittant sa table, elle renifla une petite odeur masculine parmi les autres en passant devant le bar. En inspectant derrière elle, elle remarqua un homme blond. Plutôt dans son genre. Bingo. Le voilà son repas de la soirée. La succube avait fait un petit tour aux toilettes, remettant ses cheveux en place, prête à user de ses charmes. Il ne lui suffirait que d’un seul contact. La démarche qu’elle allait suivre était très simple : l’aborder, jouer la comédie, s’approcher et lui embrasser la commissure des lèvres. Après tout, elle ne connaissait pas la sensibilité de l’inconnu qui avait été ciblé par cette femme.

Elle sortit de la salle de bain, sa cible en vue. Elle s’apprêtait à s’imposer à sa table, comme n’importe qui essaierait de draguer quelqu’un, mais elle heurta un passant. Ou plutôt, elle l’avait bousculé. Sérieusement, il n’aurait pas pu se décaler de quelques millimètres ? C’était si compliqué de faire un pas sur le côté ? Le pire, c’était que la personne en question venait de la faire la réflexion de regarder où elle marchait. Quel culot !

« C’est moi qui devrais dire ça ! Regardez où vous mettez les pâtes. » Peut-être qu’elle venait vraiment de lui foncer de dedans et qu’elle était la fautive ? Dans tous les cas, elle ne savait pas vraiment à qui elle avait à faire, et venait peut-être de se mettre dans la merde.

Les mondanités politiques ... voilà bien un aspect du métier dont je me passerai bien ... Et depuis quand un adjoint au maire fréquente ce genre de bar? Il ne peut pas nous inviter au restaurant comme tout le gratin? Bien sûr que non. Ce gros porc libidineux doit forcément allier alcool et présence féminine pour montrer qu'il peut bander.

Dante observait du coin de l'oeil cet ancien joueur de rugby à la carrure large qui, depuis qu'il disposait de fonctions auprès de l'édile, avait pris de l'embonpoint. Sa nouvelle position et le pouvoir qu'elle lui conférait, mélé à sa tendance naturelle à tirer sur la bouteille et les histoires sans lendemain l'avait lentement fait glisser du trentenaire sympathique à la roulure politique sans vergogne. Adjoint à la sécurité pour la ville, sa réussite était majoritairement due à l'efficience des policiers et notamment le capitaine Vindish qui tenait la baraque au niveau judiciaire.
Pourtant, ce dernier ne semblait pas exprimer la moindre jalousie quand à ce rayonnement dont jouissait le politique. Il ne voulait absolument pas de ce simulacre de privilèges accordé par une fonction uniquement représentative et inutile pour les habitants. Lui préférait de loin avoir à se salir les mains en les rudoyant sur la tronche des criminels. Ce type de soirée, sans être un calvaire total de par la gratuité des services, n'étaient appréciables qu'à petite dose.

Elégant dans sa chemise blanche rehaussée d'un perfecto noir qui cachait assez sommairement le holster de cuir contenant son arme de service. Le lycan écoutait sans trop broncher les divaguations de Joe le techno. Son jean coupé slim, ses chaussures blanches immaculées et sa coupe de cheveux récemment raffraichit l'aidait à avoir l'air présentable et, par ricochet, rendait l'adjoint à la sécurité fréquentable. Tel des faire valoir, l'apparence mais également la qualité des policiers à peine dissimulée des officiers, comme des gardes du corps autour de la célébrité locale, attirait les regards vers lui. Autant dire que son claquoir était grand ouvert.

Il en débite de la connerie. Plus qu'il ne descend de verre d'ailleurs. La soirée promet d'être plus longue que prévue. Puisque le sujet ne tourne plus trop autour du boulot, je vais en profiter pour prendre l'air.

Dante s'éclipsa une paire de minutes hors du bouge, les yeux dans le vague, reposant son esprit avant de devoir fendre la foule une seconde fois et faire acte de présence. C'est lors de cette percée qu'il se fît percuté par une jeune femme visiblement obnubilée. Lorsqu'elle effleura son flanc droit, lieu où se situait son arme, le lycan eût un reflexe de recul et quelques mots maladroits.

"Attention ! Regardez où vous marchez!"

Mais très vite son ton redescendit lorsqu'il comprit que l'objectif n'était ni son arme, ni son attention particulière. Il prît le temps de découvrir une sublime créature tout de noir vétue mais à la silhouette affriolante. Son visage, lisse, laissait entrevoir une fine bouche ciselée et vindicative tandis que les yeux étaient occultées par des lunettes de soleil.

"Non ... Oubliez. Ce n'est rien ..."

Tandis qu'il formulait une ébauche d'excuses, il terminait de la détailler. Sa tenue n'indiquait rien de particulier mais ses yeux occultaient une part de vérité. Pourquoi porter cet accessoire dans un lieu si mal éclairé? Il avait bien vu de complets idiots porter des casquettes pensant avoir l'air "cool" mais jamais des lunettes. Il crut déceler une couleur particulière derrière les verres fumés et, conscient du caractère surnaturel de bons nombres d'habitants du coin et ne pouvant identifier de source sûre que les vampires, il se demanda si elle n'était pas une démone, ou une succube.

Voila une jolie mignonette. Elle pourrait m'aider à faire taire Johnny ou, à minima, m'offrir une petite énigme pour occuper une partie de la soirée.

Une beau sourire ravageur s'installa sur son visage tandis qu'il réajusta sa veste.

"Je suis tout autant fautif pour cet accident. permettez que je vous paye un verre et vous invite à ma table en guise de dédommagement."

D'un geste de la main, il lui indiqua sa tablée contenant le politicien et 2 autres collègues policiers.

"Que buvez-vous?"

Lana n’avait pas perdue sa cible de vue. Elle n’était pas obsédée par sa proie, après tout elle pouvait encore attendre deux ou trois jours avant son prochain repas, mais il serait très dommage de laisser filer un beau morceau comme celui-là. La succube n’écoutait que d’une oreille ce que l’inconnu disait, le blond qu’elle avait repéré avait commencé à prendre ses affaires. Non ! Son repas commençait à décamper ! Elle se mordait doucement la lèvre inférieure avant de reporter son attention vers celui qu’elle avait percuté.

Plutôt grand, et sûrement ou presque le même âge qu’elle. Il fallait l’avouer qu’il avait aussi son charme celui-là, en plus d’être élégant. Le seul problème c’est qu’il venait au pire des moments, il faut croire que ce soir elle ne devra se contenter que d’un repas qu’elle cuisinera elle-même en rentrant. Elle soupire. Décidemment, ça lui avait coupé l’appétit. Une prochaine fois peut-être. Elle reporta son attention vers le brun qu’elle écoutait toujours à moitié, cette fois avec un peu plus d’attention. Lana avait croisé des bras, d’un côté, curieuse de ce qu’il lui veut. Pourtant elle ne parlait pas, la succube fit légèrement la moue mais en le voyant aussi galant… Il serait impoli de sa part de refuser une telle proposition, surtout lorsqu’elle était aussi fautive que lui dans cette bousculade.

« Eh bien… » Sa voix était douce, signe qu’elle commençait à jouer la comédie comme elle l’a toujours fait. « Si vous le souhaitez, pourquoi pas. » Elle avait de nouveau haussé des épaules, puis regarda la table.

Elle ne savait pas vraiment ce qui l’attendait, mais Lana n’allait sûrement pas refuser une boisson. Et puis si la soirée ne se déroule pas comme elle souhaite… Elle n’aura qu’à partir, dans un lieu public comme celui-ci, il suffirait de se mettre à crier et simuler de fausses larmes pour que les consommateurs crient au scandale. En soit, tout était plus ou moins à l’avantage de Lana.

« Et ces personnes-là, sont vos amis ? » Fit-elle, en fixant la fameuse table. Peut-être que finalement le repas ne sera pas reporté, bien qu’ils étaient loin d’être son genre. Enfin bon, elle n’allait pas cracher dessus non plus.

« Un simple cocktail fera l’affaire, peu importe lequel. » Cette fois-ci, elle avait tourné son regard vers son interlocuteur, prête à le suivre à sa table.

Une petite pensée parano ne put s’empêcher de lui venir à l’esprit. Avait-il des arrière-pensées en l’invitant ainsi ? Bien sûr, comme tout le monde en voyant Lana. Mais ce sont des pensées plus sombres qui avaient envahit sa tête. Certes, il était galant et charmant, mais tout ce cirque peut cacher un double jeu, et la jeune femme n’avait aucune envie de refaire la même erreur.

« Je ne souhaiterai pas vous embêter trop longtemps, et user de votre temps qui doit être précieux et encore moins vous déranger trop longtemps. »

Une chose était sûre, durant cette soirée elle allait devoir être vigilante, même si elle avait accepté ce début de soirée. Il valait mieux être méfiante et être parano que aveugle et insouciante.

Sans grande surprise, la jeune femme se montra un premier temps rétissante à accepter une invitation si furtuite. Elle posa plusieurs questions et son regard scruta longuement chaque détail afin de tenter de déceler un piège éventuel. Dante ne cachait pourtant aucun vice en lui. Son invitation était totalement désintéressée ou mue de mauvaises intentions. Son intention de se divertir autrement qu'en écoutant un politicien était réelle. Son regard ne trahissait aucune entourloupe et son sourire ravageur n'avait aucune micro-expression qui puisse lui mettre la puce à l'oreille.

"Parler d'amis est un peu superlatif. Il s'agît plutôt de collègues de travail plus ou moins indirects. L'un d'entre eux est à ce point bavard que j'ai dans l'idée de lui offrir un tout autre public."

Même dans son discours il ne camoufla aucune malice. Il éditait très précisément son intention première tout en donnant des gages de bonne foi.

"Le temps de te prendre un petit russe blanc au bar et je reviens vers vous pour vous introniser."

Il ne tarda pas à passer sa commande avec son charisme naturel et sa puissance vocale pour heller le serveur qui réagit au quart de tour et fit glisser les 2 cocktails le long du bar en échange d'un billet sur lequel le capitaine n'espérait aucune monnaie pour gagner du temps.

"Je suis ravi de faire votre connaissance. Je suis Dante Lucian et espère que je ne vais pas prendre trop de votre temps que j'estime précieux.Puis-je vous devancer? Mademoiselle...?"

Il attendait évidemment une ébauche de présentation en retour et entama le trajet retour vers sa tablée.Ses collègues et surtout Johnny le rugbyman écarquillèrent les yeux en voyant le capitaine revenir en si charmante compagnie. Tous stoppèrent net leur stérile conversation et suivirent l'arrivée de cette nouvelle protagoniste avec une attention décuplée. Comme si un ralenti venait de se déclencher dans leur étroite caboche.Fier, torse bombé, un large sourire carnassier sur le visage, Sieur Lucian allait enfin s'amuser.

"Permettez moi de vous présenter une jeune femme dont je viens de faire la connaissance. Tâchez de lui faire un bon accueuil."

Imperturbable, Dante agissait comme si le charme de Lana le laissait insensible. Bien que totalement faux et tout aussi perturbé par sa féminité exacerbée, l'horizon prometteuse de ridiculiser un peu cette bande de tanches était largement plus séduisante.A l'aide d'un grand geste assez ample, il s'autorisa à pousser l'un de ses collègues policier afin qu'il libère le passage et une place non loin du trublion de service.

"Dites donc les hiboux, vous comptez faire les statues de cire encore longtemps ou vous allez finir par vous présenter?Et Joe, fais gaffe à ton verre, t'es en train d'en mettre partout."

En bon bodyguard qu'il était, il matérialisa une belle place lui et invita la jeune femme, sans la toucher, à y poser son séant. Puis il prit place face à elle afin de mieux profiter du spectacle.
A peine avait-il trempé ses lèvres dans le précieux liquide alcoolisé que déjà les ébétés ouvraient leur claquoir à merde.

"Bonsoir ! Je suis Capitaine de police, je gère la brigade des délits mineurs...."

"Moi je suis Brigadier major exceptionnel et je dirige plus de 60 gars dans une unité d'elite..."

Chacun y allait de son petit jeu de dupe et ne se privait pas d'exhiber fièrement leurs armes de service tout en roulant des mécaniques. Seul Joehnny resta une seconde en retrait.

Tiens tiens ... Voila qui est surprenant.
Je m'attendais à ce qu'il soit le premier à lui sauter à la gorge tel le fauve qu'il est. Mais serait-il plutôt du style vautour à attendre son tour? A moins qu'il ne soit impressionné par la demoiselle qu'il connait déjà par l'intermédiaire d'une passe payante? ou un membre de sa famille ... voire les 2 !Ah ah ... cette expérience sociologique devient vraiment passionnante.

Puis le coup d'éclat ! Joe leva ses 2 bras tel un messie et, de sa forte voix de sportif bourrin, exigea le silence.

"Messieurs ! Ce n'est pas une manière de se présenter!"

Puis il se leva très théâtralement, bombant le torse à son tour puis fît face à Lana de son imposante carrure. Il lui adressa une courbette digne des pires films indiens et mima un baise main au comble du sensuel.

"Joe Nedib, supérieur de ces messieurs et adjoint à la sécurité de la mairie. Pour vous servir."

Dante ne put se retenir d'éclater de rire en applaudissant devant les yeux interloqués de ses collègues. Joe, quand à lui, tourna légèrement la tête et lui adressa un regard des plus menaçants, visiblement contrarié qu'il soit le seul à ne pas être subjugué par ses talents d'acteurs où il prétendait être leur supérieur.
Le capitaine resta tranquillement assis, le sourire en coin, le verre à la bouche, jambes croisées, et attendait la réaction de la jeune muse avec impatience.