Je ne suis pas sûre que Lucio soit vraiment dupe. C'est quand même la troisième ou quatrième fois que je me faufile en dehors de la maison, passant par l'arbre devant ma chambre. Pour le concert, une fois. Pour aller voir Mia une autre. Et là. Je sais très bien que Lucio m'accompagnerai volontiers, surtout ici où j'ai déjà été agressée. Je n'ai certes pas de souvenirs de cela, je n'arrive pas à m'empêcher de frissonner en poussant la grille. Sauf que la c'est justement de Lucio, de Kaia, de mes doutes et mes incertitudes que je veux parler à mes mères. Je sais qu'elles ne me répondront pas. Contrairement à Mama je ne crois pas qu'elles veilleront sur moi après leur mort. Mais faire comme si... Disons que ça m'aide à me concentrer, tout simplement. Il serait peut être plus juste de dire que ma tête sait. Mon cœur croit encore.
Je me faufile jusqu'à la tombe à l'ange en larmes. Une des choses qui faisait que Mama aimait bien cet emplacement quand elles l'ont choisi. Elles espéraient que je ne sois pas seule. Bon au final c'est l'impression que j'ai souvent. Moins depuis quelques temps, et c'est paradoxalement ce qui m'effraie.
"Bonsoir Diane. Vous veillez sur elles ?"
Question idiote et en même temps un peu rituelle, tandis que je passe devant l'ange pour rejoindre la tombe à côté, toute simple avec juste une photo de mes mères sertie sous verre. Et deux pots remplis de terre.
"Salut M'man, salut M'ma... J'ai apporté des iris. Ils avaient plus de muguet par contre, sauf en graines et je peux pas les faire germer chez Lucio."
Tout en parlant doucement, parce que la nuit les sons portent, et que j'ai pas envie de tomber encore sur des chasseurs, je creuse de la main un trou dans le pot pour y déposer quelques bulbes, que je recouvre de terre. Ouais non faire germer des graines j'ai pas la main assez verte pour ça... Je relève la tête... Et me fige en voyant le garçon qui me fait face, sous l'ange qui pleure. Mais je peux même pas être tranquille avec mes mères cinq minutes ?! Méfiance. Euh... Il est pas un peu tout nu, la ?! Curiosité. Levant un bras devant moi, à la fois en protection au cas où et pour éviter d'avoir le bas de son corps dans mon champs de vision, plus le second que le premier, Je me redresse, prête à prendre la tangente au moindre mouvement. Et puisant du réconfort dans le poids de ma gourde en bandoulière, et dans celui du téléphone dans ma poche.
La voix est rauque. Mais les mots et les yeux d'ambre me détendent, paradoxalement. Ouais parce qu'il menace en un sens de me chasser... C'est pas un chasseur, comme ceux qui m'ont poursuivit. Plutôt un autre type de chasseur, et qui se contrôle pas du coup. Et pas en forme vu la quinte de toux. On parle d'un mec à poil, il doit faire 12°... Ca t'étonne?
Je perçois bien plus que ses mots ne disent. L'amertume. L'abandon. La honte? Et une forme d'agressivité pour masquer le tout. Partir et me laisser? Oui, j'ai besoin de parler avec mes mères, et oui, je suis pas très à l'aise à l'idée qu'un total inconnu m'entende. Seulement... Les fleurs qui l'ornent datent de quelques jours déjà. Des cyclamens, je crois. Toujours les mêmes fleurs. Et les ex-voto mentionnent "à ma fille", mais jamais "à ma mère..." Sans compter qu'on est en pleine nuit, et que le mec a quand même des traces de larmes sur les joues... Eh ouais, coco, tu n'échappe pas à ma super vision nocturne! Quand je prends la parole à mon tour ma voix est un peu plus mesurée, même si mon bras est toujours positionnée de manière à m'épargner la vue d'un truc que je sais à quoi il sert mais dont je raffole pas.
"Je ne sais pas si les morts peuvent se mêler des affaires des vivants. Ce serait vite le bazar. Mais en théorie qu'est-ce qui les empêche de soutenir les uns les autres? Maman disait que ça marchait ainsi."
Maman disait qu l'ange veillerait sur moi en attendant qu'elles me rejoignent... Je ne sais pas si c'est très clair, mais en disant ça mon regard à dérivé quelques secondes sur la statue, tandis que ma main libre effleure les noms gravés l'un sous l'autre.
"Ca va. Je te laisse la place. Je dois juste arroser les bulbes si je veux qu'ils fleurissent. Est-ce que tu peux me laisser faire cinq minutes? Et euh.. Tu pourrais cacher ça?"
Ai-je besoin de préciser "ça"? Ou mes joues un peu rouges suffisent? Non, parce que j'ai pas peur de lui. Il s'est donné du mal pour me rassurer. Mais quand même c'est perturbant...
Je dors de jour moi, pas de nuit ! Moi je dors on peut pas en dire autant de toi. Faut pas se moquer du vaudou ! C'est dangereux ! Autant de réponses qui sont sur mes lèvres. Il est en rage il est en pleurs. Trop d'émotions pour son corps. Je serre les poings pour encaisser, et laisser glisser les mots durs et agressifs. Il crache sa colère, sauf que c'est pas moi le problème ! Et puis il mélange pas un peu tout, la ?
"Tu te sens mieux, bounty ? Non parce qu'au cas où t'aurais pas vu, j'suis plus noire que toi."
Bounty oui. Blanc en dedans, n'est-ce pas ce qu'il est pour se déprécier lui même de sa couleur de peau ? Je serais pas vraiment en position de le juger.
Il se détourne et disparaît derrière la statue. Et je soupire. C'est pas très agréable d'entendre cracher sur ses croyances. Je l'entends pas parler plus. Ni de pas qui s'éloignent. Fronçant les sourcils, je m'approche pour le trouver en sueur, cherchant à se redresser. J'ai pas besoin de plus. Je sais que les loups garous sont facilement en colère. Je sais aussi que la colère c'est pas génial. Ça épuise les ressources du corps et il suffit de voir ses côtes pour deviner qu'il n'a pas des masses de ressources à dépenser. Il s'épuise tout seul cet idiot... Combien de fois j'ai fini dans le même état ? A vouloir hurler et à ne même pas pouvoir... Voir cet endroit. M'a mis au monde. Les ex votos. Et une anecdote que m'a raconté ma mère...
"Te met donc pas en colère, mon frère, c'est pas une alliée de choix. Elle est extraordinaire, c'est clair mais elle met ton corps aux abois. Elle te laisse pantelant, sans forces, et chancelant. Mon frère crois moi la colère, c'est vraiment pas le moment. Calme ta flamme calme ton âme, te laisse pas empoisonner. Dis ta peine, dis ta haine, de toi laisse la s'écouler."
Je ne le regarde pas dans cet état. Je suis simplement allée chercher de l'eau en fredonnant sur un air de rap ces paroles qui avait fait le tour du groupe de sophrologie. Je lui laisse le temps de, hein, je passe bien 5 minutes pour remplir mon arrosoir, avant de me dire que 5 minutes c'est long pour moi, que s'il suit mon conseil c'est surement pas assez pour lui et que quitte à laisser du temps, autant être constructive et efficace. Quand je reviens avec mon arrosoir dan une main c'est en traînant des pieds sur le gravier histoire de bien annoncer mon retour. Je ne l'entends pas alors soit il n'a pas écouté ma chanson qui après tout ne s'adressait absolument pas à lui n'est ce pas ? soit il s'est cassé... Pour en être sûre il suffit de demander.
"T'es parti ?"
Je crois que le j'espère que non est assez perceptible dans ma voix... Nan parce que genre dans mon sac y a 3 bigmac récupérés au Mac do d'en bas de la rue, et que moi j'en ferais rien...
La voix qui me répond est bien différente de celle, agressive de tout à l'heure. Tout n'est plus prétexte à mordre, ou il n'en a plus la force. Par contre il est toujours tout nu! J'admet je ne m'attends pas non plus à ce qu'il aie trouvé des vêtements dans un cimetière... A moins d'en piquer au gardien? Est-ce qu'il a des vêtements, lui? Les miens dans tous les cas, il aurait du mal. Pas juste parce que je porte une jupe patchwork orange et un pull trois quart orné d'une tête de minnie, mais surtout parce que je crois qu'on a pas DU TOUT la même taille. Bref.
J'approche donc en évitant soigneusement de porter mon regard sur la zone stratégique, et m'assoit à côté, celui d'où vient le peu de vent qui souffle. Manière de le couper un peu puisque outre le fait d'être habillée, je ne crains pas le froid. Mon sac en barrière visuelle entre nous (à défaut d'une feuille de vigne), j'en sors un des bigmacs et lui tend sans façons.
"Kaia dit qu'un loup garou bien nourrit risque moins de me croquer. C'est une louve garou, avant que tu demande. Moi j'suis une vampire, ce qui veut dire que je risque pas de te mordre. J'touche pas aux humains, d'façons."
C'est un peu mal dit, un peu simpliste, mais bon. Je sors de mon sac les deux autres bic mac que j'ai acheté un peu plus tôt, encore chaud, et un gobelet de chocolat, brulant lui aussi, que je pose à côté du sac, à un endroit où il a qu'à baisser la main pour le prendre... Et s'il en veut pas, ben... ca, je peux le boire. Même si j'y préfère ma gourde de sang, dont je bois d'ailleurs volontiers une gorgée. Et puis je regarde avec un peu de curiosité, beaucoup de compassion, ce garçon en colère.
"Ca va mieux?"
Oui, bon, c'est pas la meilleure des questions à poser, je sais. Je risque de refaire flamber la colère. D'un autre côté, la question est sincère.
J'éclate de rire quand il décrit Kaia. Ouais c'est bien de mon amie louve qu'on parle. Et oui je sais qu'elle a un caractère de bull-dogue.
"Ne l'appelle jamais 'poupée' devant elle...
Elle me taperai peut être pas dessus, elle me voit comme une petite chose faible, mais lui... Je lui tend les deux autres burgers, un après l'autre. Secoue la tête à la demande de cigarette. Tu demande beaucoup la ! Et hoche la tête quand il parle de trop plein d'émotions. J'avais le bon diagnostic !
"Je connais ça. En général tu te sens mieux une fois que t'as sorti la vapeur... Enfin, quand t'as pas accumulé au point d'être vidé de toutes forces."
Non, je le regarde même pas. Mais c'est bien à moi que je pense sur la dernière partie. Parce que j'ai déjà tenté et ça m'a pas fait du bien... Bref. De la tête je désigne le gobelet, avant de lui proposer. Proposer, pas ordonner. Ca aussi, c'est un conseil de Kaia.
"Tu devrais ptet boire le chocolat. Y a pas mieux pour lutter contre les détraqueurs."
D'autant que le chocolat je l'ai volontairement prit avec 3 sachets de sucre (que je sors d'ailleurs de mon sac et lui tends) et un supplément crème chantilly (un peu gachée par le couvercle du coup). Une manière de lui donner de quoi pas choper la crève, quoi. Mama appelait ça le calin liquide! Ouais parce que là un calin lui ferait pas de mal, mais... Mais il est toujours tout nu! Un regard à la statue, puis je regarde le garçon avec un air de curiosité teintée de mélancolie.
"Alors comme ça t'es le fils à Diane? Maman aurait aimé te rencontrer... Elle a méchamment fait la gueule quand elle a finalement trouvé l'orphelinat où t'étais, et qu'ils lui ont dit que t'avais été adopté... C'est quoi ton nom, alors?"
Oui, parce qu'au final, Maman me l'a jamais dit... Le regard qu'il m'adresse est... Je suis pas sure qu'il aie compris un seul mot, là...Je crois que tu devrais commencer par le début... Je soupire. Et je commence à parler, doucement.
"Désolée. J'imagine que du coup tu risque pas d'être au courant... Je sais pas tout non plus, tu me diras..." Par où commencer? "Quand mes mères ont acheté cet emplacement, j'étais en réa. J'avais fait un arrêt cardio-respi la veille, autant dire que Maman était pas jouasse du tout. Elles ont choisi cet emplacement à cause de ta mère. De la statue. Et elle se sont méchamment fritté avec sa mère. Je sais pas ce qu'elle a pu leur dire exactement, un truc sur moi en tout cas, mais... Maman lui a cassé le nez." Oui, j'ai un léger ton fier. Fier d'une maman qui sort les crocs pour moi. Fier... Et triste. "Elle a été condamnée, derrière. Une sacrée amende, et elle a été rétrogradée. Elle était furieuse. Je sais pas trop comment, elle et mama ont pensé qu'il y avait un truc bizarre. Elles ont enquêté. Maman avait pas mal d'amis parmi ses collègues. Et la plupart trouvaient ça moche que maman soit punie à cause d'une..." Je m'interromps, mais le mot doit être devinable. Indice? Il commence par P et termine par asse. "Surtout que la plupart me connaissaient. Même le collègue raciste de maman trouvait que c'était limite, de s'en prendre à moi. Comme tirer sur l'ambulance. Maman a mené l'enquête. Elle a mis le temps. Avec l'amende, elles galéraient à payer mes soins. Mais finalement elle a retrouvé ton existence. Et..."
Je m'interromps, ne sachant comment continuer. Je crois que c'est la première fois que tu parle autant. C'est vrai. Que ce soit à Lucio, ou même à Kaia, je ne parle pas de mes mères ou très peu. Est-ce que c'est le cimetière, ou la volonté de faire comprendre à ce garçon ce lien avec Maman? Toujours est-il que je continue à raconter, doucement, frôlant de la main la statue de l'ange et me levant pour rejoindre la tombe de mes mères. M'assoir dessus et caresser le verre de la photo du bout des doigts, sans plus regarder le garçon à qui je me confie, mais plutôt leur sourire.
"C'était un truc de Mama, ça, tu sais? "D'une mère à une autre", elle disait. Une sorte de solidarité entre mères, un service rendu, un retour de flamme. Elle a demandé à Maman de te chercher. De garder un oeil sur toi. En espérant que Diane ferait de même pour moi. Moi j'étais jalouse... Je l'ai traitée de... C'est comme ça que j'ai su, en vrai. Maman m'a expliqué tout ça à ce moment là. Et puis il y a un an, elle a réussi à trouver l'orphelinat où tu avais été. Sauf que ils ont dit que t'avais été adopté il y a longtemps et que c'était hors de question de nous dire ton nouveau nom de famille ou quoi que ce soit... J'ai rechuté un peu après, et ensuite..."
Ensuite il suffit de voir la date commune à mes mères inscrite sous l'image. Je n'ai conscience que je pleure qu'en m'essuyant les yeux. Inspire... Mes yeux rouges, et pas à cause des larmes. Souffle, doucement. Et de revenir vers mon sac, prendre une de mes sucettes au sang et la fourrer dans mon bec. Plus pour mordiller le bâton que pour le gout.
Je laisse parler le loup garou à son tour, me concentrant sur ses mots pour empêcher le chagrin de m'emporter. Il est sympa dis donc! Moi j'ai pas été aussi mesurée dans mes propos Ou poli. Raciste et mauvaise. Parce que franchement des consignes pour qu'il ne soit pas adopté? Qu'est-ce que ça pouvait lui faire à la vieille peau? Une tatie danielle ou un détraqueur quoi, qui se repait du malheur des autres. Par contre ses propos suivants m'etonnent. Elle a cherché pour rien? Mais euh c'est qui pour me dire ça? "Par ma faute". Ca, c'est un truc que j'aurais pu dire... Et ma réponse ressemble un peu à celle que m'avait fait Mama il y a quelques temps.
"Mes mères étaient de grandes filles. Capables de nouer leurs lacets toutes seules, et de faire leurs choix. Si elles ont décidé de te chercher, c'est qu'elles ont estimé que ça valait le coup."
Donc s'il te plait ne crache pas sur ce qu'elles ont fait. Ca, je le dit pas. Parce que c'est un ordre. Parce que je sais pas trop. J'ai pas envie qu'il les dénigre. Est-ce elles ou lui, qu'il dénigre? Les deux, je dirais.
"Et à moins d'être une vieillePétassemal baisée, j'ai du mal à voir en quoi ce serait ta faute. Elle a pas attendu qu'on découvre ton existence pour me mettre en danger."
Et vous devriez passer à autre chose, avant de vous remettre en colère l'un et l'autre... J'ai effectivement mordu tellement fort dans ma sucette que je l'ai éclatée... Et cette imbécile en vaut pas la peine. Une inspiration et une expiration plus tard, je reprends, plus sereine.
"Du coup, je me présente. Alyssa Snow. Enchantée. Tu as des vêtements quelque part? Ou besoin que j'appelle Kaia?"
Oui, le pragmatisme revent vite. Et il parait que les vampires peuvent plus tomber malade, mais les loups garous, SI!
Je me tais et j'écoute. Et je serre doucement les poings. Je sais que j'ai eu de la chance. Visiblement lui en a eu moins. Beaucoup moins. Et encore c'est une chance qu'il aie pas fini vendu purement et simplement, comme cet ado allemand je crois. Ou qu'il soit tombé aux mains d'un réseau de prostitution ou de vols comme celui qui a été démantelé il y a 3 ou 4 ans. Tout juste si j'ai un rire approbateur pour son commentaire. Enfin proposition alléchante... Je sais pas si Mama aurait voulu l'adopter. Disons que je le vois comme ça, il est pas vraiment en demande de. Ou trop abîmé pour penser y avoir droit. Mais Mama est patiente. Elle m'a apprivoisée après tout. Mais oui présente comme ça d'emblée...
"Si ça a l'air trop beau pour être vrai... C'est que ça l'est sûrement ?"
C'est une question rhétorique. Juste une reformulation de ses propos. Après tout les voleurs qui embrigadaient des gamins mineurs pour faire des vols d'abord mineurs puis de plus en plus risqués, il doivent bien appâter leurs recrues... Et ça doit être pareil pour les autres. J'suis sure qu'il y a même des gens qui disparaissent et qui "donnent" leur sang pour des vampires. Les besoins sont pas totalement couverts par les dons volontaires. Et quand il parle de Kaia, je perçoit cette défiance aussi. Est-ce qu'elle se moquerait ? J'en doute. Elle ne l'a jamais fait quand je trebuchais ou laissait échapper ce que je tenais à cause d'une faiblesse de mon corps. Et pour ce qui est de mon contrôle, à part me dire que le premier qui me touchera elle en fera de la chair à pâté je crois pas qu'elle se soit moquée non plus. Est-ce que elle le traiterai différemment parce que c'est un garçon ? Elle déteste qu'on la traite en faible, parce qu'elle est une femme. Je ne la vois pas trop reproduire le schéma sexué et se moquer d'un mec parce qu'il a pleuré.
La boulangerie rue Saint aimée. "Celle avec le gâteau de mariage dans la devanture ?" Gâteau en plastique d'ailleurs. Je confirme je pense pas qu'il soit en état d'y aller. Et il risquerait de s'attirer des ennuis, à poil. Si j'ai pris mon temps pour aller au Mac do (à l'opposé d'ailleurs) je peux parfaitement courir pour aller chercher ça. Je reprends mon sac, et cherche rapidement sur mon téléphone le plus court chemin. C'est pas prudent de sortir ton téléphone comme ça. Je hausse intérieurement un sourcil à cette idée. Il connaît Kaia, il est fatigué et je crois pas que ce truc vaut assez cher pour qu'il veuille courir le risque que je me plaigne à la louve. Pas que je le ferai mais ça il peut pas savoir.
"J'devrais pouvoir y être en 5 minutes. Fini le chocolat pendant ce temps, ça sert à rien qu'je cours si t'es un glaçon quand j'reviens !"
Je remet mon sac et cours vers l'entrée est du cimetière. Je passe le portail, et referme le verrou (qui sert surtout à l'empêcher de s'ouvrir n'importe comment). Les rues sont désertes, tant mieux parce que je cours certes moins vite que Mia ou Kaia, mais bien plus qu'un humain. Et assez pour me dire que la jupe est pas hyper adaptée. J'arrive au point indiqué et il me faut quelques minutes de recherches pour trouver le sac derrière la bouche du climatiseur pompe à chaleur truc bidule chouette. Je l'ouvre évidement. Je voudrais pas ramener un sac d'ordures ménagères quoi ! Bon c'est du tissus, qui sent un peu le moisi, mais apparament c'est ça. Je suis en train de le mettre dans mon sac quand j'entends une interpellation. Un mec a la barbe poivre et sel qui parle créole. Version bourré. J'attends pas de savoir ce qu'il veut. Je déguerpis. Vampires rois de la nuit tu parle ! Le retour est de ce fait plus rapide que l'aller. Mine de rien j'ai du mettre 20 bonnes minutes pour revenir. Vers l'entrée du cimetière. Et je passe pas par le portail. Des voix m'ont fait stopper net avant d'y arriver.
Des gens de mon âge. Garçons et filles qui parlent sans se cacher, détendus. Je sais pas ce qu'ils font la mais ils sont en train de batailler avec le verrou. J'l'ai pourtant pas serre si fort ? Bon dans tous les cas on va les éviter hein ? Dans le doute. Je rebrousse chemin, longeant le mur jusqu'à un portail plus petit, mieux fermé... Mais plus simple à escalader. Et sitôt à l'intérieur je cours vers la statue de l'ange.
"Grouille, y a des gens qui viennent !"
Merde quoi c'est un cimetière et le repos des morts !? Pendant qu'il s'habille, je fais le "guet", en buvant une gorgée de ma gourde, pour apaiser mon cœur dans ma poitrine. Encore un peu plus vite et on me croirait humaine... Et bradycardie. Et mal attifee. Mon regard est attiré par une tâche en plein milieu de l'allée. Merde. Une chaussure. J'ai du la faire tomber en venant. Je vais la chercher apparament j'ai perdu que ça. Je ramène donc la chaussure... Et me fige alors qu'une lampe torche m'éclaire et m'eblouit. Tu parle d'un garde. ta gueule ! Tiens pour une fois que c'est dans ce sens... Bref c'est le groupe de tout à l'heure donc. Je les vois mal, éblouie que je suis.
"oh, tiens salut beauté !"
Urgh. Bon aux voix je sais qu'il y a au moins une nana avec eux. Et je sais que c'est pas sympa pour mon acolyte...
"Raph, j'ai ta chaussure !"
Comment ça il s'appelle pas Raph ? Merci je sais mais il a oublié de me dire son nom ! Et je sais qu'une fille isolée c'est en danger. Je préfère leur dire que je suis pas seule. Et je sais aussi que je parle pas dans la bonne direction. Par contre la suite...
"Ouaaaaaah, ton mec et toi vous l'avez fait ?! Ici ?! Putain faut des couilles !"
Fait quoi? Attend QUOI ?! Le cerveau que vous demandez n'est pas disponible.
Je ne comprends pas, la. J'ai du mal entendre, c'est pas possible ? Il parle quand même pas de COUCHER dans un CIMETIÈRE ?! Bon en même temps tu l'as fait dans une réserve de films radios, hein... Sérieusement mais faut être barge? Et la réaction de mon complice m'atterre encore plus. Mais... On pèle dehors ! Et c'est des cailloux et de la pierre ! Déjà que je vois mal l'intérêt en temps normal alors la... Euh... Cadavre ?! D'autant plus que j'ai depuis longtemps décidé de renoncer à l'utilisation première. Trop risqué. On sent que le loup a mes côtés est orphelin, parce qu'il hésite pas à briser le "tabou" du "on avait dit pas les mamans." Et pendant qu'un des garçon serre les poings, moi je face-palm. J'peux les gifler à toute volée ? Mauvaise idée, tu ne gère pas ta force. Je crois que la crainte de blesser est ce qui me retient. Raison de plus ? T'es une vampire mince ! Ouais supposément les rois de la nuit... Tu parle. Bref.
En face les lampes se sont baissées et je distingue mieux nos interlocuteurs. Deux garçons, un qui nous regarde alternativement comme s'il buguait, le second qui serre les poings et va pour en mettre une à 'raph' et une fille, qui porte d'ailleurs un pack de bières. Ah ben bravo, tiens les mecs laissent la nana porter le stuff! Et qui si elle semble aussi étonnée que le premier, n'a pas l'air de tenir à rester par la plus longtemps... Voire à peur... Pas moi qui le lui reprocherai vu la tronche du loup garou. Le même sourire que Kaia ou Lucio. Celui de "j'vais tuer tous ceux qui s'en prendront à toi" qui me fait peur à moi aussi du coup.
"Espèce de..."
"Non mais gueulez plus fort le gardien a pas entendu."
"C'est bon, stop. Laisse tomber on va ailleurs. Le cimetière est assez grand pour ça."
L'autre fille et moi avons parlé en même temps où presque. Elle y a un brin de peur dans sa voix, moi je suis plutôt... Blasée? Il faut dire que si Valentin n'a pas eu besoin de parler fort, l'autre commençait à un peu trop élever la voix. Ils s'éloignent donc, le mec expliquant clairement à la nana que c'est bien parce qu'elle le veut mais que sinon il l'aurait démoli cet enculé... J'ai un gros doute et je crois qu'elle aussi... Quand à moi je me retourne vers le loup garou, et lui colle une gifle. Oh je suis sûre que Kaia frappe plus fort. Et avec plus de précision.
"Le cadavre te dit merde."
Bon OK y a pas que ça. C'est pas possible des branques pareils ! Et moi aussi de les avoir induit en erreur... Et Lucio croit que je suis aussi... Débile ?! C'est pas un mot assez fort. Mais bon je continue de mal apprécier ma nature, en plus de me sentir dépréciée par ce mec tout à l'heure dans la ruelle, par ces ados qui se font des idées sur moi... M'enfin de projeter leurs idées débiles sur moi oui ! Du coup puisque je peux pas coller un pain au crétin libidineux, et non je voulais pas d'une bagarre, j'en met une à celui qui m'a blessée dans ma nature. Avant de me détourner vers la tombe de mes mères. "Et j'ai oublié de te le dire mais Kaia se moquera pas de toi. Pas si elle sait qu'c'est un truc de famille."
J'entends a nouveau des crissements sur le gravier et un faisceau de lampe qui se dirige vers nous. Encore les crétins ? Ah non vu les marmonnements c'est pas eux. " bouge pas, tais toi, je gère." Je reconnais la la voix du gardien du cimetière. Et vu le manque de diplomatie et la dégaine du loup, mieux vaut que je parle. Ou alors il se cache?Et si il a croisé les ados, qui sont parti dans cette direction, il va savoir qu'on est deux. Je rajuste rapidement ma tenue, un peu dérangée par la course et l'escalade. Et je reprends l'arrosoir comme si je venais d'arroser mes bulbes.
"On vous a dit de nous fiche la paix! C'est trop demander de se recueillir tranquille?"
C'est pas lancé au hasard hein? C'est juste que je cherche à désarmer de suite une accusation de "foutage de bordel". Je veux dire le gardien du cimetière, c'est pas comme si je l'avais pas déjà salué avec Lucio lors de visites précédentes. Et des adolescentes qui viennent se recueillir la nuit sur une tombe il en a pas des masses. Le grommellement est indistinct, mais les mots "sale gosses" "profanent" "sacré" sont à peu près compréhensibles.
"Laissez moi deviner, vous avez choppé les trois Bekeles avec leurs bières, ils étaient vexés de s'être fait chopper, du coup ils ont prétendu qu'y avait 2 noirs qui faisaient des conneries ou un truc du genre?"
Le gardien est métisse, comme le loup à mes côtés. Pas pour rien que je joue un peu sur la dichotomie "noir blanc". Et que j'embraye aussitôt, sans lui laisser le temps de.
"Je suis désolée que vous ayez été dérangé pour ça. Je suis juste venue voir mes mères. Ces imbéciles sont venus nous insulter... Franchement comme si parce qu'ils sont une fille deux mecs j'leur demandaient s'ils allaient faire une partouze! Dans un CIMETIERE, quoi! Faut être cinglé quand même! J'espère vraiment qu'ils reviendront pas, merci!"
Il a rien foutu? Oui merci, je sais! Mais bon, la flatterie ça fait de mal à personne! Et j'ai pas besoin de forcer pour sembler indignée. Je le SUIS! Ce monde est peuplé d'obsédés!
"Et le garçon?"
Ben quoi le garçon? Il est venu au cimetière aussi? Il a dit que sa grand mère voulait pas qu'il les approche. Dans le doute, je mens. Le tiers de mensonge, avec les deux parts de vérité.
"Raph? C'est un copain de classe. Mon tuteur pouvait pas m'accompagner, et je sais très bien qu'une fille toute seule... J'crois qu'ils auraient été plus... Agressifs si j'avais été seule".
Et de baisser le regard et frissonner. Pas totalement feint non plus. Après tout c'était y a pas si longtemps que je me faisait agresser dans ce même cimetière. Mais c'est aussi comme ça que les gens s'attendent à voir une fragile fille réagir n'est-ce pas?
Les meilleurs mensonges comportent une part de vérité. Le gardien reste suspicieux. Ne le laisse pas réfléchir. "C'est pas la première fois en plus. Pas pour rien que mon tuteur ne veut pas que je sorte seule !" D'ailleurs c'est parce que je suis un danger ou parce que je suis en danger ? Pour le moment c'est pas la question. Pour le moment on embrouille le gardien. Je rebondis sur les répliques de mon acolyte, cherchant à empêcher le gardien de réfléchir. Ce qui semble quand même insuffisant puisque le gardien pointe l'espace avec les deux pots en terre, que j'ai retourné. Alors euh, c'est une partie de la concession de mes mères, donc oui j'en fais ce que je veux et ce pour le siècle à venir. Cette fois ci c'est lui qui embraye, jouant au passage un numéro de gentil noir serviable digne de la case de l'oncle Tom. J'espère que le gardien l'a jamais lu celle là... A nouveau je rajoute mon grain de sel par ci par là, entre deux phrases de sa part. Ne pas laisser le gardien penser. "Des Iris!" et "Et ça doit être plus beau le jour!" pour finir par un "Pardon pour le dérangement m'sieur. D'toute façon, sa grand mère Kaia s'inquiètera si on rentre trop tard, déjà qu'ils nous ont mis en retard!" Cette dernière phrase est la plus risquée. Continue à jouer le jeu, s'il te plait ne te braque pas... En parlant je me suis avancée vers le gardien pour masquer le loup au cas où. Je sais que j'ai pris la peine de nommer Kaia, d'ailleurs quelqu chose me dit que Miss Orlov me sermonnerai pour mon manque de prudence, précisément pour aussitôt montrer que non je ne parle pas de sa grand mère et que c'est un pur mensonge. Mais s'il se met en colère ou s'il explose de rire à l'idée de Kaia inquiète, hein, il ruinera un peu l'effet.
Et ça marche en tout cas. Le gardien nous laisse, sur une injonction que je comprends comme étant de remettre l'arrosoir à sa place. Bon, eh ben c'est mort pour passer du temps avec mes mères. En même temps, c'était mort depuis le moment où tu as vu qu'il était là... Je souffle doucement pour évacuer le stress. Et puis je serre doucement le loup dans mes bras.
"Je suis désolée."
Je le lache rapidement, surtout que j'ai bien senti qu'il s'était tendu. Et puis j'essaie de lui expliquer, en finissant d'arranger les bulbes et en vidant l'arrosoir.
"J'ai pensé qu'il valait mieux pas dire. Tu as dit qu'elle serait en colère si tu l'approchais. Alors que s'il croit que t'es un copain à moi sans rien à voir, il risque pas de rapporter? Seulement... J'ai peur que du coup ça te rende encore plus suspect si tu reviens tout seul. J'aurais du chercher un meilleur mensonge..."
Oui, je me sens piteuse. N'y a-t-il pas de quoi? Je range l'arrosoir près d'un robinet, a quelques pas à peine de la tombe. Parce que oui, bien sur qu'il y avait plus près. Et je ramasse les emballages de mac do que je remet dans un sac, pour les jeter à la prochaine poubelle. Et j'espère vraiment qu'il a compris. parce que moi même j'suis pas sure... C'est une sorte d'instinct qui m'a poussé. Et je sais jamais les expliquer! bon et puis euh... On va pas rester là dessus, non?
"Et du coup, 'Raph', tu m'as pas dit comment tu t'appelle?
Je hausse les épaules. Oui il est pas super propre. D'un autre côté... Je réfléchis rarement à ce genre de choses. Quand à l'idée de demander des faveurs, je n'ai absolument aucune idée de quoi il parle. Ça ne me vient même pas à l'esprit. Je préfère cependant ne pas commenter et expliquer mon impression, peut être paranoïaque. Demander au gardien de surveiller un ado seul et typé se recueillant sur une tombe en particulier est simple. Et gardien de nuit n'est pas un poste très bien payé et ce genre de chose arrive tout le temps dans les films !Oui, dans les films.
J'hoche la tete. "Valentin. Cool." Il s'excuse et j'hausse à nouveau les épaules. Le racisme, le sexisme, l'homophobie... Je vis avec depuis trop longtemps. J'arrive à l'ignorer généralement. Principalement parce que ceux qui les jugent n'arrivent pas à la cheville de mes mères. Et que malheureusement, je n'ai pas le pouvoir de péter la gueule à tous ces imbéciles Il ne se sent pas le droit d'être ici? Je suis pas sûre que les trois imbéciles seraient d'accord avec sa définition. Il est parti pour repartir. Où, je sais pas mais il repart.
"Eh. Si t'as faim un jour prochain, passe à l'église après la messe du dimanche soir. J'y apporte de la bouffe pour ceux qui veulent."
Je ne vais pas le retenir. Encore moins l'obliger à faire quelque chose qu'il ne désire pas faire, j'suis pas sa mère non mais oh! Mais disons que c'est une porte que je lui propose. Pour me revoir, où juste pour avoir une opportunité de bouffer. Je lui laisse choisir ce qu'il préfère. Parce que ce garçon reste plutôt fier. Et que je sais très bien qu'à lui montrer de la pitié, je risque de le braquer.