Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n'y est pas.
Si le loup y était il nous mangerait.
Mais comme il n'y est pas il n'nous mangera pas.
"Loup, y es-tu ? Entends-tu ? Que fais-tu ?"

Dans la villa de Sofia, Evelyn posa un long regard sur les deux pleines valises de Sofia et sur son étui de violon. – Tout ça?, demanda-t-elle. Deux valises et un étui; les humains avaient besoin de beaucoup d’objets pour survivre à une journée de camping sauvage. Evelyn avait emprunté un petit sac à dos d’écolier, glissé en bandoulière sur son épaule droite. À l’intérieur du sac, vêtements de rechange, couteau à lame pliante et bouteille d’alcool. Rien d’autre. Et c’était déjà beaucoup. – J’ai oublié de te demander si t’aimes les reptiles…, une question innocente. Des reptiles dans la forêt? Non… Non… Juste quelques-uns. – Comme repas, précisa-t-elle. Mais il vint alors à l’esprit d’Evelyn que Sofia avait peut-être des vivres dans ses valises. Et ce serait dommage, cela tuerait un peu l’esprit du camping.

Elle aida Sofia à mettre les valises dans la voiture. Demanda : - Est-ce que c’est moi qui conduis? Elle s’essayait une nouvelle fois; et à nouveau une réponse négative. Elle ne pouvait pas vraiment blâmer Sofia de ne pas vouloir partager sa voiture. Surtout considérant qu’Evelyn lui avait clairement laissé sous-entendre qu’elle était une folle du volant.

Leur destination n’était pas loin; 2 heures de route en direction du Soto National Forest. Il y avait des chemins balisés pour les petits marcheurs, mais les chemins crées par les humains n’avaient jamais intéressé Evelyn. Elle voulait être au cœur de la forêt; sentir l’âme de la forêt, répondre à l’appel des autres loups. Enfin… avec Sofia à ses côtés, Evelyn allait être plus sage, faire preuve de retenue si elle le pouvait.

Sans savoir pourquoi, cette journée était importante pour Evelyn. Elle désirait que tout se passe bien. …Que tout se passe le mieux possible, en tout cas. Cette journée serait intéressante, ou elle serait une épreuve. Sofia était intéressante. Sofia lui ressemblait un peu. C’était peut-être ce qui lui plaisait. La louve apportait de l’alcool dans ses bagages, elle désirait jouer à un jeu d’alcool. Elle aimait jouer.

"Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n'y est pas."

Elle demanda à Sofia de conduire pour le trajet; une femme était en droit d’espérer. Elle eut droit à petit rire amusé et un demi-refus :

"Peut-être au retour, d'accord ? Mais tu me promets d'être sage au volant !"

Promettre d’être sage au volant pour avoir la possibilité de conduire au retour? Impossible. C’était comme promettre de ne rien salir chez Sofia. Impossible également. Promettre d’essayer, c’était tout ce que pouvait faire Evelyn. Elle aurait pu hocher la tête, promettre tout bonnement, sans considération; la louve ne faisait pas de fausse promesse. Elle disait la vérité, mentait si nécessaire. Et ce n’était pas une nécessité. Alors, elle secoua négativement la tête.

Evelyn resta muette durant le trajet. Elle regarda la paysage défiler, écouta le moteur gronder et la musique en fonds sonore. Sofia disait être contente de cette sortie, et en réponse Evelyn lui offrit un sourire. Génial, oui. Du moins, c’était le but recherché. Et elle se questionna brièvement, sur le contenu des valises, sur le fait que Sofia apportait avec elle un katana et un pistolet pour une balade dans les bois; et peut-être que la femme ne sortait jamais sans ses armes.

Arrivée à bon port, l’automobile bien garée, le paquetage sortit, Evelyn s’appuya à un arbre et attendit. Attendit que Sofia recouvre sa voiture d’une bâche. Pour protéger la voiture des… oiseaux, peut-être. C’était une belle voiture, de l’avis d’Evelyn, mais ce n’était que ça : une voiture, de la tôle. La voiture vieillirait puis finirait sur un tas de ferraille. Enfin, peu importe, Sofia venait de terminer l’emballage de la mustang.

- Prête? , lui demanda Evelyn. Puis, obtenant une réponse positive, elle prit son sac, attrapa une valise et ouvrit la marche. Il y avait un semblant de sentier, puis il n’y avait plus de sentier, juste un tapis d’aiguilles de pins. Un bien joli tapis. Evelyn marchait d’un pas tranquille.

- Dis-moi… Cette valise, elle pèse. Tu y as mis quoi, des briques? Tu as prévu de rester une semaine?

Elle avait dit elle pèse, même si elle ne fournissait aucun réel effort pour transporter ladite valise. Et, si ce n’était pas des briques, et ce n’était évidemment pas des briques, Evelyn désirait en connaître le réel contenu.

"Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n'y est pas."

C’était bien ce qu’Evelyn pensait : le sac aurait dû peser le un huitième de ce qu’il pesait. Sofia avait apporté tout un tas de choses inutiles. Le strict minimum, selon elle. Dieux, heureusement, Sofia n’avait apporté "que le minimum"; qu’est-ce que ça aurait été sinon?

Evelyn ralentit le pas. Elle écouta, de plus en plus surprise, l’énumération du contenu de ladite valise. Un kit de couture? Coudre? Pourquoi? Quoi? Kits d’entretien et de nettoyage pour ses armes? Ça, d’accord. Peut-être que Sofia planifiait de tirer de petits animaux et ensuite de les ouvrir avec son katana. Plusieurs bas? Pourquoi? Combien? Cinq? Six? Une seule paire de rechange n’aurait-elle pas été suffisante? Trois, à la limite?

Evelyn arrêta ses pas. Avait-elle bien entendu? Huile de massage? Euh… Ok… ? Est-ce que cela voulait dire que Sofia voulait…? Un instant… Un service à thé? Pourquoi diable…? Un tapis de yoga? À ce stade, Evelyn commençait à avoir de la difficulté à suivre; cette liste ne faisait pas beaucoup de sens pour elle. Et d’ailleurs, après le mot yoga, Evelyn cessa carrément d’écouter. Elle n’entendit même pas l’humaine lui dire qu’elle avait apporté de la bière et du whisky, telle que promis.

La louve reprit la marche quand Sofia arriva à ses côtés. Son visage cachait mal sa perplexité, mais elle ne fit aucun commentaire. De l’huile de massage?

"C'est un Bunnahabhain 36 ans Canasta Finish... Je ne sais pas trop ce que ça vaut mais bon, tu me diras."

Extirpée de ses pensées, Evelyn cligna des yeux et essaya d’assimiler cette nouvelle information. Un Bunnabab-quoi? C’était quoi cette chose encore? Elle hocha la tête, vaguement, en réponse au « tu me diras »; elle n'avait aucune idée de ce qu'elle était censée lui dire concernant ce Bunna-truc.

Evelyn fut contente d’arriver au lac. Ses lèvres s’étirèrent dans un léger sourire. Un oasis, son oasis... même si, en vrai, elle n’y allait que rarement. Elle déposa la valise et son sac contre un arbre.

- Je suis contente que ça te plaise, répondit-elle. - On sera tranquille, ici. À moins qu’un ours décide de nous rendre visite, dit-elle tout bonnement.

La louve se tint au bord du lac. Elle comptait retirer son haut, se dénuder pour plonger à l’eau, quand une voix interrompit ses mouvements :

"Bon, plus qu'à monter la tente !"

- Monter la tente?, répéta Evelyn. Ah. Oui, pour que Sofia y dorme. - Tu as besoin d’aide?, demanda-t-elle tout innocemment, espérant secrètement une réponse négative. …Mais il semblait qu’effectivement Sofia avait besoin d’aide. Evelyn obtempéra. Aller camper avec un humain, c’était bien plus compliqué qu’elle ne l’avait imaginé.

Lorsque la corvée fut accomplie, Evelyn rejoignit de nouveau les berges du lac. – Je vais nager un peu, annonça-t-elle rapidement, avant que Sofia n'ait l'idée de lui demander d'installer le hamac. Elle retira ses souliers et ses bas; son gilet et ses pantalons rejoignirent rapidement le sol. Et c’est finalement avec seulement son collier au cou qu’elle plongea tête première dans le lac. L’eau était froide, ce qui ne dérangeait pas Evelyn. Elle émergea à la surface de l’eau à une dizaine de mètres de la berge.

"Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n'y est pas."

La louve s’amusa ainsi à plonger, à retenir son souffle le plus longtemps possible dans l’eau, à effrayer quelques poissons, à faire quelques longueurs pour dépenser un surplus d’énergie, puis à faire la planche. Elle perdit un peu la notion du temps, avait l’impression de n’être restée dans l’eau qu’une dizaine de minutes alors que cela faisait en réalité une bonne cinquantaine de minutes.

Evelyn sortit de l’eau comme elle y était entrée, c’est-à-dire nue. Comme si c’était naturel. Et ce l’était, naturel, d’une certaine façon, pour elle, mais elle oubliait que les humains pouvaient être pudique. L’eau glissa, évidemment, sur ses jolies courbes et sur ses muscles bien taillés, et elle n’eut pas conscience de son indécence. Elle attrapa la serviette que Sofia avait, visiblement, mise à sa disposition; ainsi, elle n’aura pas besoin de se sécher le corps au soleil. Elle s’enroula dans la serviette et s’assit en tailleur sur le rocher. Remarqua alors seulement, avec surprise, qu’une petite fée avait plié ses vêtements. Elle passa une main dans ses longs cheveux mouillés pour les ramener vers l’arrière et ferma les yeux un instant, profitant simplement de la sensation du soleil sur son visage.

- Tu aurais dû venir. L’eau est froide, mais on s’y fait rapidement.

Tu aurais dû venir, et la louve avait dit cela sans arrière-pensée. Oui, elle avait été nue, complètement, bien à la vue, dans l’eau du lac, mais à sa décharge elle n’avait pas apporté de maillot dans son sac. D’ailleurs, elle n’avait tout simplement pas de maillot dans les tiroirs de sa commode.

Elle ouvrit les yeux, tourna la tête vers la femme assise non loin.

- Que lis-tu?

La louve ne lisait pas pour le plaisir, jamais; elle n’y trouvait aucun intérêt. Cependant, elle était curieuse, toujours, en toute circonstance; curieuse, car le type de lecture pouvait en révéler sur la personnalité d’une personne.

"Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n'y est pas."

"Ca parle d'une invasion de zombies, d'un début d'histoire d'amour entre deux survivants..."

Une histoire de zombies et d’amour. Hm. Si la lecture d’une personne dévoile sa personnalité, Evelyn ne savait pas exactement ce que cela dévoilait sur la personnalité de Sofia. Qu’elle était une survivaliste sentimentale?

- Intéressant…, prononça Evelyn sans certitude.

Et puis, elle retourna à sa petite méditation. Elle reprit sa position, referma les yeux, pris de lente et profonde inspiration. Elle écouta, le bruit du vent dans les feuilles, le clapotis de l’eau, le bruit de la mouche qui… Evelyn secoua l’air devant elle; saleté de moustiques!

"Dis... Je comptais rester juste pour cette nuit et repartir demain matin mais..."

De l’hésitation? Pourquoi? Evelyn ouvrit les yeux à nouveau, leva la tête vers l’humaine. Mais quoi…?, semblait demander son visage. Mais Sofia avait changé d’avis et la nature, ce n’était pas pour elle? Trop d’insectes? Trop de saleté? Trop de femme nue?

"Ca te dirait de rester plus longtemps ? Un jour de plus ? "

Ah bon! Ce n’était que ça; Sofia désirait rester un peu plus longtemps. Un jour de plus? Evelyn s’était inquiétée, pendant une seconde. Ce n’était pas une demande très extravagante de la part de la femme, pourquoi alors tant de timidité? Bien sûr, qu’Evelyn acceptait de rester un jour de plus; cette forêt, c’était son milieu naturel. Elle se sentait toujours plus détendue, plus sereine, dans les bois.

"J'aime vraiment ce coin et ça me fait du bien d'être loin de la ville, alors... Je me disais que..."

- Ok, lui dit-elle avec un sourire. - Comme tu veux. Moi, tu sais, je pourrais passer la semaine ici. Alors, on reste autant de temps que tu le désires.

Evelyn se pencha, étira son bras pour attraper une bière. Finalement, Sofia avait apporté des choses intéressantes, dans son paquetage. Bien des inutilités, mais aussi de l’alcool, alors ça allait.

- J’ai apporté une bouteille de whisky, l’informa-t-elle sans savoir que l’humaine aussi en avait apportée une; elle avait manqué ce passage dans le monologue de Sofia. – On pourra jouer?, demanda-t-elle, pareil à un enfant, avec son sourire et ses yeux pétillants. On pourrait alors oublier qu’elle avait depuis longtemps dépassé le cap des cent ans.

"Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n'y est pas."

Peut-être, effectivement, qu’il était un peu tôt pour boire. En fait, à en croire la position du soleil, il était dans les alentours de 13 heures. Mais n’étais-ce pas, en quelque sorte, des vacances? Et, en vacance, il n’y a aucune heure réglementaire pour boire. …Ok, oui, on pouvait aussi considérer qu’Evelyn était de manière permanente en vacance, n’ayant aucun travail qui l’attendait. De toute façon, Evelyn ne s’était pas posée la question; la bière avait été à porter de main, alors elle avait pris la bière, l’avait ouverte et en avait pris une gorgée. Et de toute façon, puisqu’Evelyn supportait mieux l’alcool que Sofia, elle devait prendre un peu d’avance.

Sofia proposait d’aller chercher des plantes et des champignons dans la forêt. Maintenant?, semblait demander le visage de la louve. Maintenant, tout juste quand Evelyn commençait à se détendre, assise en tailleur sur son rocher? Clairement, il n’y avait pas le feu. Clairement, la forêt, les plantes et les champignons n’allaient pas s’envoler. Evelyn ouvrit la bouche et… prit une courte seconde pour ravaler les mots de refus qu’elle allait prononcer. Elle pourrait toujours méditer plus tard; elle ne souhaitait pas décevoir Sofia si tôt dans ce petit trip camping. Elle referma la bouche, se contenta d'hocher doucement la tête, s’empara de ses vêtements et se dirigea vers la tente.

À l’intérieur de la tente, elle constata que Sofia avait aménagé les lieux, mais ne s’attarda pas aux détails. Elle s’essuya rapidement et enfila à nouveau ses vêtements, ses souliers. Elle était de nouveau présentable. Tant qu’à aller se balader dans les bois, elle aurait préféré le faire sous sa forme de louve, mais elle n’était pas ici seule.

Elle se présenta devant Sofia, et seuls ses cheveux mouillés trahissaient le fait qu’elle s’était baignée. – Et pour accompagner les champignons, tu prévois quelle viande? Peut-être Sofia avait-elle apporté de la viande séchée dans ses valises; peut-être voudrait-elle que la louve aille chasser le souper?

La louve récupéra son couteau à lame pliante, puis toutes deux quittèrent le campement. Légèrement distraite, Evelyn, au départ. Elle pensait à un jeu d’alcool, sa bière dans sa main droite. Bière-Pong? Non, Evelyn était trop bonne à ce jeu. Ce ne serait pas amusant. À Je n’ai jamais… Non, Evelyn avait peut-être un peu trop de vécu, elle finirait saoule avant la fin de la soirée.

L’attention d’Evelyn se focalisa soudainement, lorsque son regard perçu un plant de Lamium purpureum, ou communément appelé le lamier pourpre. Elle informa l’humaine de sa découverte, et ne put s’empêcher de lui faire un petit cours théorique; sur les propriétés générales de la plante, sur le fait qu’elle pouvait être mangée entièrement, sur le fait que même si le lamier pourpre appartenait à la même famille que la menthe, elle ne goûtait pas la menthe, parfait pour le thé, d'ailleurs.

"Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n'y est pas."

Elle aimait les plantes. Connaissait leurs noms. Il lui semblait qu’elle avait passé toute son enfance dans les bois – ce qui n’était pas tout à fait exact. Elle était près de la nature, mais elle était également lycan de naissance, alors ce n’était pas étonnant. Les plantes, cela lui rappelait également sa mère; ses enseignements, sa dévotion envers les malades – sa mère qui était morte le cœur brisée. Elle aimait les plantes. Connaissait leurs vertus. Il lui semblait qu’elle avait passé toute sa vie à en apprendre le plus possible – et il lui semblait aussi qu’elle avait tant à apprendre encore.

Elle releva les yeux vers l’humaine qu’elle apprenait tranquillement à connaître. Il lui semblait qu’elle connaissait beaucoup de choses sur cette femme, et à la fois si peu. Que cette femme connaissait beaucoup de chose sur elle, et à la fois rien – une goutte d’eau dans l’océan. Il y avait tant à découvrir, de part et d’autre. Ce n’était pas nouveau pour Evelyn; se lier avec d’autres, apprendre à les connaître, partager… puis les voir partir, ou partir elle-même. Parfois, elle avait la sensation d’être prise dans un éternel recommencement, de vivre dans l’attente d’être surprise; mais la surprise valait toujours l’attente. Evelyn ne le savait pas encore; l’humaine était peut-être la surprise qu’elle attendait. Il était un peu tôt pour le dire, mais ça y ressemblait; l’humaine apportait peut-être avec elle un grand vent de surprise et de changement. …Ou bien, ce ne serait qu’un intérêt passager.

Évidemment, se trouver ici en compagnie de Sofia pouvait avoir sa part de risque, si on était du genre méfiant; et Evelyn était du genre méfiante. Elle avait dit qu’elle se rendait à Desoto, mais n’avait pas spécifié qu’elle y allait accompagnée. Si Sofia décidait d’utiliser son sabre et d’enterrer son cadavre, personne ne le saurait.

- Une soupe me convient, répondit Evelyn sans émotion. En fait, salade ou soupe lui importait peu, mais puisqu’il fallait trancher, alors se serait une soupe.

Elle posa son regard sur un renard qui détala aussitôt. Si Sofia ne lui avait pas parlé de lard fumé, il était certain qu’elle aurait eu envie de faire de ce renard le souper. Elle reposa ensuite son attention sur le parterre de fleurs et en repéra deux autres intéressantes. Elle passa à côté de plusieurs plantes qu’elle savait toxique, déposa sa bière un instant pour, à l’aide de son couteau qu’elle déplia, couper la tige de ceux qui l’intéressaient pour ensuite les mettre dans le jolie panier de cueillette.

Sofia lui parla de pastilles purificatrices. Évidemment, que n’avait-elle pas apporté dans ses valises? C’était ça, la bonne question.

- Camper avec toi, c’est du cinq étoiles, c’était un compliment et ce ne l’était pas, en même temps. Évidemment, Evelyn aimait le camping sauvage, le confort naturel sans étoile de la nature - à part les étoiles dans le ciel.

Il ne manquait plus que les champignons. Evelyn décida qu’il fallait marcher encore un peu, pour trouver leur bonheur. Dégustant sa bière, la louve promena son regard. Il y avait bien quelques champignons ici et là, mais aucun qu’elle ne conseillerait. D’ailleurs, elle avertit Sofia, qui semblait regarder en direction de quelques gros spécimens de champignons :

- Je te les déconseille fortement. À moins que tu désires mourir dans la souffrance, alors dans ce cas je te les conseille.

"Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n'y est pas."

Les messages de Sofia, tous les jours depuis leur rencontre, immanquablement. C’était mignon. Et Evelyn appréciait les messages, même si elle mettait parfois plusieurs heures pour répondre. Bien souvent, elle laissait son téléphone dans sa chambre. Et lorsqu’Evelyn répondait à Sofia, elle ne faisait pas de grand discours. Un Oui, un Et toi?, un Je chassais, parfois mal orthographié parce que la louve n’était pas familière avec le clavier de son téléphone, un émoticône ou deux de loup, parfois. Elle s’améliorait. Lentement mais sûrement. Elle avait même essayé d’envoyer un message à son fils. Il lui avait répondu dix jours plus tard avec un long monologue qui avait un peu découragé Evelyn, parce qu’après il lui avait bien fallu répondre quelque chose. Si on lui demandait sa préférence, elle répondrait qu’elle n’aimait pas particulièrement les messages, qu’elle préférait une vidéo, un face à face, qu’elle trouvait les messages impersonnels. Tout de même, ça restait mignon, et elle était contente lorsqu’elle constatait qu’elle avait un nouveau message.

"J'ignore si ton estomac de lycan est plus solide que le notre mais... En ce qui concerne l'eau, je suis obligé de la purifier…"

- Disons que je me facilite la vie, habituellement, en changeant de forme.

Ce qui réglait bien des problèmes de consommation. Et ce n’était pas encore exclu qu’Evelyn se contente de prendre sa forme de loup pour boire directement au lac. En réalité, elle n’était présentement sous forme humaine que parce qu’elle était en compagnie de Sofia.

Cueillir des champignons dans la nature pour se nourrir comportait une part de danger; intoxication ou la mort dans le pire des cas. Il fallait vraiment vraiment s’y connaître. Les champignons, ces petits traîtres, pouvaient sentir la rose et tuer. Parfois,  seulement quelques détails permettaient de faire la distinction entre deux types. Et c’était le cas, pour la Girolle que tenait fièrement Sofia. Très comestible, mais il ressemblait à la Clitocybe de l'olivier qui était mortel.

Evelyn dut s’approcher pour regarder de plus près la trouvaille de Sofia. Elle se saisit du champignon, le regarda sous toutes ses coutures et déclara :

- C’est bon, il est comestible. La Girolle, à ne pas confondre avec son cousin Clitocybe qui lui, est très toxique.

Elle déposa le champignon dans le panier, et coupa quelques autres spécimens de la même espèce pour les rajouter au panier. Elle essuya son couteau, le replia et le rangea dans une poche arrière de son pantalon.

- Les champignons, c’est un peu comme les gens. Il ne faut pas se fier à l’apparence.

Elle posa une main sur l’épaule de Sofia, possiblement pour attirer son attention, et pointa de son autre main vers un champignon pas très beau, à la couleur brun-gris. - Celui-là, excellent. Puis elle attira l’attention de la femme vers un autre type de champignon, tout mignon, petit, blanc : - Celui-là, très mauvais.

"Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n'y est pas."

Bordel de..??! Mais Sofia n’avait pas du tout écouté! C’était le champignon blanc mignon, le champignon dangereux! Et elle l’approchait de sa bouche? Bordel! Evelyn s’approcha rapidement et… S’arrêta brusquement, décontenancée devant le rire de Sofia.

"Si tu voyais ta tête, Eve' ! C'est vraiment trop drôle !"

Evelyn et Sofia n’avaient peut-être pas la même conception de ce qui était drôle et de ce qui ne l’était pas. Ce qui expliquait pourquoi Sofia riait de sa plaisanterie et qu’Evelyn ne riait pas du tout. La louve se contenta de soupirer de soulagement. Un peu de contrariété en elle; il ne fallait pas rire, les champignons, c’étaient sérieux! Tiens… la prochaine fois, elle devrait peut-être laisser Sofia manger un champignon non comestible, pour qu’elle soit un peu malade, et réalise sa bêtise.

- Ne refais pas ça, prévient Evelyn. Parce que, quand même, la louve avait eu une petite frousse.

Elle porta ensuite son regard sur le contenu du panier. Ça allait faire l’affaire. Et puis, mieux valait rentrer, avant que Sofia ne décide de lui faire d’autres blagues pas vraiment drôle. Et si c’était pour tester l’humour d’Evelyn… eh bien, autant le préciser tout de suite, Evelyn n’avait pas le sens de l’humour.

- Retournons au camp. Je crois que tu as manipulé assez de champignons pour aujourd’hui, dit Evelyn sur un ton plus léger. Elle aurait peut-être dû rabrouer l’humaine, comme on le ferait d’un enfant qui fait un mauvais coup, mais le sourire de Sofia l’en empêcha.

De retour au camp, Evelyn rangea dans un coin sa bière vide, puis décida d’en prendre une deuxième. Pourquoi purifier l’eau? Y’avait de la bière, du whisky… Et un cercle de pierre pour le feu, apparemment, que Sofia avait, semblait-il, préparé elle-même. Peut-être quand la louve se baignait? La bonne initiative! Alors, Evelyn alla récupérer des brindilles des arbres et du lichen, accepta le briquet de Sofia et s’installa. Deux minutes plus tard, le feu brûlait joyeusement. Evelyn prépara trois paquets de bois de grosseur variés, puis récupéra sa bière et prit un instant pour contempler son beau travail.

"Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n'y est pas."

Une odeur fleurie, exotique, vint aux narines de la louve. Une odeur agréable. De l’huile, que Sofia étendait sur ses longues jambes. De façon plus légère était habillée Sofia. De jolis motifs japonais. …Et de longues jambes, oui, sur lesquelles la lumière du feu brillait. Assise face au feu, Evelyn se sentit soudainement trop habillée; retira ses pantalons, ses chaussettes et souliers ce qui était un début. Le regard d’Evelyn se détacha des jambes de Sofia pour aller se poser sur le flacon. Elle s’en saisit, le regarda de près. Huile essentielle d'Ylang Ylang. Elle ne connaissait pas. Une odeur puissante, un parfum intense et voluptueux. Elle redéposa le flacon là où elle l’avait pris.

Sofia l’accompagnait avec une bière. Oui, pour une fille qui disait ne pas boire… Evelyn commençait à douter. L’humaine vivait dans le déni, peut-être? Ça pouvait arriver, et ça expliquerait la cave pleine d’alcools, supposément pour les invités. …Non pas qu’Evelyn jugeait, au contraire elle s’en moquait. Elle remarquait, par contre, que Sofia lui avait dite une chose et qu’elle faisait l’inverse.

"Alors, tu as réfléchis à un jeu pour ce soir ? J'en connais un assez drôle. Enfin..."

Drôle, drôle, allez savoir ce qui était drôle pour Sofia. Faire semblant de manger des champignons toxiques l’amusait, alors drôle… Evelyn attendait de savoir quel était ce jeu supposément drôle que Sofia connaissait.

"Ca s'appelle le jeu du menteur. Chacune notre tour on énonce quelque chose, ça peut-être privé ou général, par exemple, si je dis... Que le kiwi c'est aussi un oiseau, tu dois me dire si je dis la vérité ou si je mens. Si tu gagnes, je bois. Si tu n'arrives pas à deviner si je mens ou non, tu bois !"

Le regard sérieux, un léger hochement de tête, Evelyn trouvait que ce jeu était intéressant. D’ailleurs, elle réfléchissait déjà à toutes les possibilités qui se présentaient à elle. Vérité ou mensonge, privé ou général; ah, les possibilités étaient infinies! Evelyn sentait qu’elle allait adorer ce jeu.

La surprise captiva soudainement son attention; le bandeau s’était envolé. Des yeux bleus. Le miroir de l’âme de Sofia. Des yeux hypnotiques. C'était dommage que Sofia gardait toujours ses yeux cachés derrière un bandeau. Enfin, dommage ou heureusement, on ne sait pas trop. Evelyn fut un instant déroutée... et alla remettre du bois dans le feu.

En revenant s'asseoir, elle dit :

- Alors, je vais commencer. Hm. J’ai déjà joué à la roulette russe.